Colloque euroméditerranéen des médias

COLLOQUE EUROMEDITERRANEEN DES MEDIAS

Un pas en avant, deux pas en arrière

De Notre Envoyée Spéciale A Marseille : Ghania Oukazi
Le Quotidien d’Oran, 19 octobre 2005

La Commission européenne refuse d’admettre l’échec du processus euroméditerranéen mais semble plutôt chercher un bouc émissaire pour expliquer son inertie.

Le colloque euroméditerranéen, qui a débuté lundi à Marseille et qui a pris fin hier, a eu le mérite de permettre à de nombreux participants venus des deux rives de la Méditerranée d’apprécier, de commenter et de critiquer un processus

dont la réussite est loin de faire l’unanimité.

« La réalité du partenariat euroméditerranéen et de la politique de voisinage dans les médias» est le premier thème abordé. Diplomates, chercheurs, universitaires et journalistes ont eu à en faire le constat, chacun pour ce qui le concerne. Les nombreuses remarques et rebondissements des représentants de la Commission européenne, après les interventions de ceux qui ont constaté l’échec patent du processus de Barcelone, sont la preuve d’un refus de Bruxelles d’assumer un tel constat. «La responsabilité est partagée», lance François Gouyette, ambassadeur de France chargé du processus de Barcelone, en réponse à une question sur qui est responsable, des politiques ou des journalistes, de l’échec de l’Euromed. «Celle des Etats est établie, celle des médias, ils ont leur part de chemin qu’ils choisissent de faire», a-t-il ajouté.

Chef d’unité à la direction générale des relations extérieures de la Commission européenne, Laura Baeza affichera même un air énervé lorsqu’elle a entendu discourir sur le manque de concret du processus euroméditerranéen. «Nous à la Commission, nous travaillons d’arrache-pied, nous faisons beaucoup de choses concrètes mais nous travaillons sur le moyen et le long terme, nous ne pouvons dans ce cas parler aussi facilement d’inertie ou d’échec», a-t-elle affirmé. «La construction d’un processus sur des bases solides est longue», reconnaît-elle, tout en tenant à mettre en exergue le taux de décaissement de l’Union européenne en direction des projets lancés dans le cadre Meda.

«Le taux de décaissement de l’Union européenne en Méditerranée est un taux record», affirme Baeza. Plus loin, et pour en avoir été la coordinatrice, elle énuméra de nombreux projets entrepris notamment au Maroc. François Gouyette relèvera «le paradoxe» entre le fait de vouloir tisser des liens entre trente-cinq partenaires des deux rives de la Méditerranée et les montants considérables qui ont été mobilisés pour la réalisation de divers projets. 9,5 milliards d’euros déboursés entre 1995 et 2006 au titre des programmes Meda, auxquels s’ajoutent 11,2 autres milliards mobilisés pour la réalisation du programme pour les cinq années à venir. «Ce qui donne plus de 20 milliards, ce qui n’est pas rien», s’est-il exclamé.

«Nous avons abordé ces derniers temps des sujets tabous comme les droits de l’homme ou le terrorisme, c’est un pas significatif dans le sens de la création d’une grande zone de libre-échange», commente-t-il en confortant ses propos par un rappel de la conclusion d’accords d’association, sans compter «les plans d’action actuellement en discussions avec les pays signataires d’accords». Il vantera les mérites des négociations tripartites (France-Espagne-Maroc), parfois bipartites (France-Maroc) sur l’élaboration d’une charte euroméditerranéenne sur l’émigration. Il avouera cependant que «ce qui a manqué au partenariat euroméditerranéen est un visage humain», probablement en gardant à l’esprit le drame des Africains à Ceuta et Melilla. Ce à quoi Laura Baeza répondra: «Jusqu’à maintenant, le processus est intergouvernemental. Aujourd’hui, il est temps de rapprocher le processus de nos concitoyens et c’est ce que vise la Commission à travers l’initiation d’un programme de coopération sur les cinq années à venir qui concernera essentiellement les droits de l’homme, la démocratie, les réformes économiques et l’éducation».

Même s’il est reproché implicitement aux médias de n’avoir pas su expliquer ni faire assimiler le processus aux opinions publiques des deux rives, les arguments de nombreux participants au colloque de Marseille attestant son échec n’ont pas manqué. «Si le dialogue n’a jamais été interrompu, les déceptions sont nombreuses», a souligné le représentant du Conseil régional de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Pour lui, le drame de Ceuta et Melilla en montre le degré.

Il ne manquera pas de s’interroger sur l’existence ou pas d’un lien entre le processus de Barcelone et l’espace Schengen et en appelle aux politiques européens pour un peu plus de fermeté en matière de prise de décisions, en rappelant à ceux qui veulent l’occulter que «les Américains, avec leur projet le Grand Moyen-Orient, avancent bien eux».

Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), l’a fait d’une manière «soft».

«Il est difficile de montrer un processus, on montre un événement mais pas une action de prévention et Barcelone est un processus de prévention sur le long terme», a-t-il dit. Pour lui, «la diversité des idées et des acteurs rend difficile le fait de trouver celui qui symbolise le tout». «L’Euroméditerranéen, c’est quel numéro de téléphone, avec quelles frontières ?, s’interroge-t-il.

«Les fruits n’ont pas tenu les promesses des fleurs», conclut-il en proposant de créer une avant-garde de journalistes spécialistes de l’Euromed.

Abdelkader Chabani, professeur à la Faculté des sciences politiques et de l’information d’Alger, soulignera l’importance de la conceptualisation du processus. «Une fois c’est un processus, une autre c’est un projet: il est important de s’entendre sur les concepts pour pouvoir avancer dans leur réalisation et atteindre leurs objectifs», a-t-il fait remarquer, en ajoutant que «s’il y a bien quelque chose qu’on peut et qu’on doit montrer et suivre, c’est bien un processus».

Juan Prat, ambassadeur en mission spéciale pour les affaires de la Méditerranée, coordinateur espagnol pour le processus de Barcelone, fera remarquer que «l’Europe a eu des sommets avec tout le monde sauf avec la Méditerranée». Il propose que la Commission européenne nomme un commissaire spécialement pour la Méditerranée.

Driss Khrouz, secrétaire général du groupe d’études et de recherches sur la Méditerranée, estime pour sa part que non seulement «les politiques n’ont pas su communiquer», mais aussi que «le processus n’est pas le quotidien des populations du Nord et du Sud». Il signale en outre que «le contexte et les élites qui ont porté le projet se sont essoufflés».

«Même si elle est la cheville ouvrière de la mise en oeuvre du processus, la Commission est une mauvaise communicatrice», reconnaît Laura Baeza.

Yves Gazzo, chef de la représentation de la Commission européenne en France, fera part d’un nouveau plan de communication bâti sur trois D à savoir Débat, Dialogue, Démocratie. «C’est un peu l’échec du vote de la Constitution européenne aux Pays Bas et en France, qui nous a montré qu’il y a un véritable déficit en communication», a-t-il reconnu.

«Si on est incapable de clarifier une vision, de la traduire dans les faits par des mesures concrètes, le processus n’aura jamais la compréhension dont il a besoin», a affirmé Renaud Muselier, premier adjoint au maire de Marseille, ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. Il est convaincu qu’on ne peut initier des politiques «sans l’assentiment des peuples». Il estime que bien que «nous ayons beaucoup de choses communes, très peu d’entre nous ont une conscience commune», en précisant qu’il faut «populariser les réalisations du processus».

Comment faire ? Il en appelle tout simplement aux médias «parce que beaucoup a été dit sur les insuffisances politiques et économiques de l’Euroméditerranéen, mais pas sur les médias comme vecteur indispensable des ambitions du processus qui ne doit pas s’arrêter à l’institutionnel.»


«Nos partenaires du Sud ne font jamais de propositions concrètes»

Les Européens reprochent à leurs partenaires de la rive sud de la Méditerranée de n’avoir jamais pu formuler des propositions concrètes susceptibles de consacrer le partenariat euroméditerranéen dans les faits.

Présents au colloque de Marseille, certains politiques européens n’ont pas hésité à pointer du doigt le manque d’imagination de leurs partenaires de la rive sud en matière d’idées, de propositions concrètes et de décisions.

A une remarque sur le fait que «ce sont uniquement les Européens qui décident, élaborent et donnent à signature aux pays de la rive sud», Juan Prat, ambassadeur en mission spéciale pour les Affaires de la Méditerranée, coordinateur espagnol pour le processus de Barcelone a tout de suite répondu: «je n’arrête pas de me déplacer dans tous les pays de la rive sud, je n’ai jamais pu avoir des propositions concrètes», a-t-il affirmé.

Pour être plus précis, Prat note que «mes amis du Sud me disent nous sommes incapables de faire des propositions concrètes parce qu’entre nous, nous qui sommes au Sud, n’arrivons pas à nous entendre». Aux dernières nouvelles de milieux diplomatiques européens, la déclaration politique, le programme de travail pour les 5 années à venir ainsi que le code de conduite contre le terrorisme sont strictement «d’esprit européen». «L’ambassadrice britannique auprès de la Commission européenne en confirme presque le fond. «Ce n’est pas très faux, c’est un peu vrai ce qui est dit», dit-elle mais «le code de conduite contre le terrorisme est une vieille demande de l’Algérie».

Cette dernière information peut bien montrer que du côté du Sud, il y a des demandes qui sont faites, même si elles sont qualifiées de «vieilles». Pour sa part, Renaud Muselier, premier adjoint au maire de Marseille, ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères énumère les problèmes qui bloquent la réalisation des objectifs du processus de Barcelone. Problèmes inter-religieux, conflit israélo-arabe, émigration clandestine et bien d’autres. Mais il ne manquera pas d’intégrer dans sa longue liste, la position du Président Bouteflika sur la guerre d’Algérie. «La position du Président Bouteflika sur la guerre d’Algérie par rapport à l’Algérie ou par rapport à la France, c’est un problème!» a-t-il souligné. Sans plus. Muselier qui a précisé qu’il ne parlait pas au nom de l’Etat français, a noté qu’au plan financier la commission a de l’argent mais sa gestion est «trop bruxelloise», trop lourd comme mécanisme. Il estime en outre que «les approches du Sud et du Nord ne sont pas toujours les mêmes». Au plan politique, il est convaincu que l’Europe ne pourra pas réussir si elle n’a pas une vision euroméditerranéenne et pas de réussite sans régler les problèmes existants. Muselier souhaite une chose: «qu’on ne dise pas que tout va bien».

Avant lui, François Gouyette, ambassadeur de France chargé du processus de Barcelone avouera au sujet du terrorisme et de la disponibilité de l’Europe à en parler que «l’Algérie avait dans les années 90, refusé qu’on aborde avec elle, officiellement, le sujet du terrorisme».

Autres propos sur l’Algérie dans le colloque de Marseille, ceux tenus par Thierry Fabre, rédacteur en chef de la «Pensée de Midi», Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme. «La réconciliation au Maroc est un moment extrêmement important pour la mémoire et l’histoire, c’est une initiative qui doit être encouragée, et le processus descendant référendaire qui a été fait en Algérie n’a rien à voir avec la démarche du Maroc».

Marc Pierini, ambassadeur, chef de la délégation de la Commission européenne en Tunisie et en Libye lâchera à propos de la liberté d’expression que «nous avons abordé le sujet, ces derniers temps, parce que nous ne pouvons le traiter qu’avec le consentement des pays du Sud, il y en a qui la consente, c’est le cas de la Jordanie et du Maroc. Pour les autres «tant pis!», ajoute-il.

L’institutionnalisation de la culture dans le processus euromed a été, selon un intervenant «catastrophique». Par contre, il relèvera «une liberté de ton, une analyse et une sophistication très remarquable des émissions culturelles diffusées par la radio algérienne». Evoquant le sommet célébrant les 10 ans du processus de Barcelone, Thierry Fabre dira: «on ne célèbre pas un échec, on doit aller vers une refondation du processus».

Ghania Oukazi