Non, je ne demande pas la fermeture de la chaine Ennahar

Non, je ne demande pas la fermeture de la chaine Ennahar (Opinion)

Abed Charef, Maghreb Emergent, 3 juin 2017

La mort d’un média, c’est toujours un peu de liberté qui disparait. Il y a d’autres moyens, plus efficaces, pour réduire certaines chaines marginales à leur véritable dimension.

Non, je ne demande pas la fermeture de la chaine Ennahar.

A qui demander une telle décision, au fait ?

Au gouvernement ? Il est à l’origine du succès, et donc des dérapages de cette chaine. C’est le gouvernement qui a couvert l’apparition des ces chaines grises, en marge de la légalité, afin de pallier au manque de crédibilité des chaines publiques, de permettre à sa clientèle d’occuper le terrain audiovisuel, et de pouvoir dire au monde qu’il y a une pluralité dans le monde de la télévision en Algérie.

Il a délibérément maintenu ces chaines dans une zone grise afin d’exploiter leur précarité. Soient elles sont aux ordres, auquel cas elles deviennent puissantes et riches, soit elles désobéissent, et elles voient la manne publicitaire se rétrécir, si elles ne sont pas tout simplement fermées.

Le gouvernement a empêché M. Isaad Rebrab d’acheter une chaine de télévision, en faisant prévaloir la loi (une mauvaise moi, mais c’est une loi), qui interdit de détenir un journal et une télévision en même temps. Mais ce même gouvernement a fermé les yeux sur le groupe de M. Ali Haddad, qui détient une chaine de télévision et deux journaux. Pourquoi un gouvernement, qui a délibérément agi de manière à favoriser ses amis et à bloquer ses supposés adversaires, au mépris de la loi et de l’éthique, pourquoi prendrait-il aujourd’hui une décision positive?

Loi et éthique

Demander la fermeture de la chaine Ennahar au président de la République ? Il faudrait d’abord lui demander, à lui, de respecter la loi et l’éthique du poste qu’il occupe, un poste symbolique, prestigieux et doté d’immenses pouvoirs. Comment pourrait-il imposer à une chaine de télévision une légalité et une éthique auxquelles lui-même se refuse de se plier?

Avant de fermer la chaine Ennahar, le président de la République devrait lui-même se conformer à la loi, en quittant un poste qu’il n’est légalement plus en mesure d’occuper ; se conformer aux règles de l’éthique, en admettant qu’une personne très diminuée physiquement na moralement pas le droit de participer au délitement institutionnel que subit le pays depuis des années, et particulièrement depuis le début du quatrième mandat ; il devrait aussi, avant de prononcer le mot éthique, présenter aux Algériens ses excuses pour le préjudice subi durant toutes ces années.

Absence d’arbitre crédibles

Demander a fermeture de la chaine Ennahar à la justice ? Il faudrait pour cela avoir une justice indépendante, et des lois claires. Faut-il rappeler que certaines chaines de télévision privées ont un agrément provisoire, d’autres non, sans qu’on sache pourquoi les une sont agréées, d’autres non ? Faut-il rappeler qu’elles ont été créées selon une formule unique au monde : elles sont en fait des bureaux d’une société initialement basée à l’étranger.

Peut-être alors faudrait-il s’adresser au DRS (on garde ce sigle par commodité), car tout semble indiquer que c’est lui qui a inventé cette formule tordue, unique au monde, alors qu’il suffisait simplement de faire une loi d’ouverture de l’audiovisuel et de l’imposer dès le départ.

Je n’ose pas suggérer qu’il faudrait s’adresser l’ARAV (agence de régulation de l’audiovisuel) ou au ministère de la culture. La première pour exercer son rôle de régulateur, le second pour protéger accessoirement un écrivain, titre dont se prévaut également le ministre de la culture en poste. Mais qui oserait penser que ces deux structures peuvent avoir une démarche autonome en et absurde quatrième mandat ?

Un ma pour un bien ?

Et puis, franchement, je ne peux demander qu’on ferme un média, aussi odieux soit-il. Je n’aime pas l’interdit. Je préfère la loi, la liberté, et le respect de la norme. Je préfère militer pour l’émergence d’un autre système médiatique où Rachid Boudjedra serait invité à parler de création, de liberté de conscience, de philosophie et d’histoire.

Demander des sanctions contre Ennahar, c’est admettre que ce pouvoir absurde est capable de quelque chose de positif. Cela rejoindrait l’attitude de tous ces militants qui passent leur vie à s’opposer au pouvoir, avant de l’applaudir quand il prend des mesures qui les avantagent.

Demander des sanctions contre Ennahar, c’est aussi entretenir des illusions. Il n’y a pas de système médiatique acceptable avec le système politique actuel. Quand le président de la république ne respecte pas la constitution, quand le président du conseil constitutionnel accepte un faux évident, quand la justice ferme les yeux sur des faits dûment établis et documentés, la fermeture d’une chaine de télévision devient une revendication dépourvue de signification.

A l’inverse, quand le chef de l’Etat respectera la constitution, quand toute l’action des acteurs exerçant du pouvoir politique, économique et social s’inscrira dans le cadre de la loi, on ne se rendra même pas compte de l’existence d’une chaine comme Ennahar. Il faudra même, à ce moment là, défendre l’existence d’une chaine comme Ennahar, mais elle agira dans une sphère limitée, sans influence sur la vie du pays. Un peu comme les chaines x en Occident.