Les torturés persistent et signent

PROCES AFFAIRE TKOUT

Les torturés persistent et signent

Le Soir d’Algérie, 24 novembre 2004

«Nous avons bel et bien été victimes de dépassements de gendarmes ! Nous avons été torturés.», ont affirmé, hier devant le juge et le procureur de la quatrième chambre, près le tribunal de Sidi-M’Hamed, les témoins qui se sont succédé à la barre lors du procès qui opposait le ministère de la Défense nationale (MDN) au journal Le Matin . Le directeur de cette publication et l’une de ses journalistes y comparaissaient pour diffamation. Le parquet se contentera de demander «l’application de la loi». Les délibérations sont pour le 7 décembre prochain.
Saïda Azzouz – Alger (Le Soir) – Les deux journalistes qui comparaissaient hier devant le tribunal de Sidi-M’hamed pour diffamation suite à une plainte du MDN n’ont pas eu grandchose à dire lors de leur procès. Audience au cours de laquelle il ressort que Abla Chérif n’a rien inventé dans son papier intitulé «Comment j’ai été torturé», publié dans le journal Le Matin, qui lui a valu la plainte pour diffamation et qui rapportait les dépassements des éléments de la Gendarmerie nationale lors des évènements de Tkout, dans la wilaya de Batna. Les victimes qui se sont succédé à la barre pour raconter une fois encore les abus commis par certains gendarmes de la brigade de Tkout ont répondu sans sourciller aux questions de la juge, de la magistrate et des avocats de la défense, ceux de la partie civile étaient absents lors de l’audience d’hier. Pour rappel, c’est à leur demande que ce procès qui devait se dérouler le 9 novembre dernier a été reporté, et ce, bien que les accusés et les témoins fussent présents. Modestes citoyens, qui n’ont pas hésité à refaire le trajet Batna-Alger pour raconter aux magistrats ce qu’ils avaient confié à la journaliste et déjà raconté aux juges près le tribunal d’Arris. Hier, la famille Izza, dont le fils Salim, animateur du mouvement citoyen de cette localité, est recherché, est venue une seconde fois dire ce qu’elle a vécu. Stoïques, le père et la mère ont raconté ce qu’ils ont enduré. «Quand ils sont venus de nuit et qu’ils ont tenté de défoncer ma porte, je leur ai demandé s’ils avaient une autorisation. Je passe sur les insultes et les grossièretés qu’ils ont proférées devant ma femme et mes deux filles. Ils étaient à la recherche de Salim, comme ils ne l’ont pas trouvé ils ont emmené son jeune frère» raconte le vieux Izza, qui a passé 40 jours en détention préventive, et qui, à la demande du juge, revient sur son arrestation et la bastonnade qu’il a reçue. «Quand ils ont pris mon fils, j’ai tenté de m’interposer, ils m’ont frappée et insultée. Cela m’a fait très mal. En 1959, les Français ont tué mon père devant moi et ces soldats ne m’ont pas frappée», confie cette vieille femme venue de ce lointain village des Aurès raconter ce que certains gendarmes, fils de l’indépendance, lui ont fait. L’horreur, son jeune fils sodomisé par un gendarme l’a racontée à sa manière par bribes, mais aussi en exhibant certaines parties de son corps qui témoignent encore de ces exactions. Gestes que fera un autre témoin après avoir répondu aux questions du procureur qui lui demandait s’il avait un lien quelconque avec le mouvement citoyen de Tkout. Un autre témoin reviendra sur les causes qui ont poussé les jeunes de cette localité à se révolter : l’assassinat d’un jeune de ce village par un garde communal. La terreur vécue par les citoyens de cette commune de la daïra d’Arris est évoquée par un autre témoin. Le doyen du mouvement citoyen rappelle ce qu’il a entendu quand il s’était déplacé à Tkout pour s’enquérir de la situation. Il est à noter qu’un des avocats de la défense, qui est aussi avocat des détenus du mouvement de Tkout, a fait remarquer à l’assistance que ses clients n’ont jamais été vus par un médecin si l’on en juge par le dossier qui lui a été remis par le parquet et dans lequel il n’y avait aucun certificat médical. Une précision qu’elle a jugée utile d’apporter compte tenu du fait que le juge demandait à chacun des témoins qui racontait son calvaire s’il a été ou non vu par un médecin quand il a été présenté devant le parquet. Elle a tenu aussi à rapporter et à traduire un graffiti écrit sur l’un des murs du village de Tkout et qui disait : «Cette Algérie qui hurle en silence». Ecriteau qui a inspiré Mohamed Benchicou qui en a fait le titre de son papier. Article qui lui a valu cette énième plainte pour diffamation. Pourtant, comme le fera remarquer un des avocats de la défense, «Benchicou a, dans son écrit, souhaité que ce qui s’est passé à Tkout soit le fruit d’une affabulation du journal et non le résultat d’actes de gendarmes appartenant à ce corps républicain». Mohamed Benchicou, qui, pour répondre à une question du juge, s’est interrogé sur le rôle du journaliste : «Quand il y a des exactions, avons-nous le droit de dissimuler cela au détriment des citoyens ?» La question reste posée.
S. A.