Comment Hocine Aït Ahmed a pensé la révolution algérienne (1948)
Quelques extraits du rapport de Zeddine (1re partie)
El Watan, 29 décembre 2015
Décembre 1948, alors âgé de 22 ans, Hocine Aït Ahmed, président de l’Organisation Secrète et membre du bureau politique du PPA, expose un rapport aux membres du comité central élargi, à Zeddine, sur les problèmes stratégiques et tactiques pour le déclenchement de la Révolution. Dans son rapport, riche en références et très dense, Hocine Aït Ahmed «pense» la Révolution dans tous ses aspects : politique, militaire, financier et diplomatique. C’est le document référence qui a tracé la voie du combat libérateur du peuple algérien.
En voici quelques extraits.
Nous nous proclamons un parti révolutionnaire. Le mot révolutionnaire est dans les propos de nos militants et de nos responsables. Notre vocabulaire est dominé par des formules à l’emporte-pièce, extrémistes, magiques, telles que «le problème algérien est un problème de force», «nous sommes pour l’action, contre les discours», en attendant, nous ne cessons de discourir. (…)
Aujourd’hui que nous sommes tous d’accord pour reconnaître que le mouvement de libération tourne à vide, qu’ile st bloqué, il importe que nous débloquions d’abord notre circuit théorique, notre pensée des usages frelatés que nous faisons de quelques notions abstraites afin de permettre à ce mouvement de reprendre son moment historique. Aujourd’hui, nous devons faire notre examen de conscience, nous avons le devoir de nous remettre en cause, de remettre en cause sans faux-fuyants notre orientation et nos conceptions de travail. (…) Des idées fumeuses, voire saugrenues, bouchent notre conscience.
En parlant de soulèvement, certains y voient une forme d’insurrection «généralisée», à l’exemple de celle de 1871, étendue à l’ensemble du territoire national. D’autres croient au terrorisme «généralisé». On nous parle de «zone franche», à «généraliser» aussi probablement. Il a été question récemment d’une espèce de seconde mouture de la Révolution française. Il paraît qu’il faut et qu’il suffit d’organiser des manifestations grandioses autour du palais Carnot pour obliger «l’Assemblée algérienne» à se proclamer Assemblée constituante souveraine. (…)
Les réponses à ces questions soulèvent en toile de fond le problème de l’orientation idéologique et politique de notre mouvement. Le peuple algérien s’interroge sur le genre de cité, les valeurs sociales et politiques pour lesquelles nous lui demandons de se battre. Il ne peut se contenter de recettes sentimentales, de «lendemains qui chantent ou qui dansent». Il faudra épuiser le débat pour trouver l’expression juste des intérêts et des sentiments populaires.
Certes, le but de ce rapport est limité au cadre de notre organisation. Mais les tâches qui lui ont été confiées débordent les aspects techniques : elles posent le problème de la révolution dans toutes ses données, idéologiques, militaires et politiques. Le but de ce rapport est de préciser la donnée principale de la révolution : la ou les formes de lutte que doit revêtir la lutte de libération. (…) L’heure de solutions inconséquentes, des hésitations et de l’empirisme borné est passée, si le parti veut vraiment réponde aux exigences de la libération.
1re partie – Quelle forme prendra la lutte de libération ?
La lutte de Libération ne sera pas un soulèvement en masse. L’idée de soulèvement en masse, est en effet courante. L’homme de la rue pense que le peuple algérien peur facilement détruire le colonialisme grâce à sa supériorité numérique : 10 contre 1. Il suffira de généraliser à l’Algérie entière un soulèvement populaire. Au lieu de libérer la pensée des masses de cette fraction simpliste, de ce rapport mystificateur, les militants du parti semblent céder à son pouvoir. C’est beau d’être optimiste, mais penser qu’il n’ y a plus de problèmes oui d’équation, c’est de l’inconscience. (…)
1- Evoquant l’histoire militaire de l’Europe, Clausewitz accorde une grande importance à la supériorité numérique, mais quand il s’agit d’«armées qui se ressemblent au point de vue de l’équipement, de l’organisation et des connaissances techniques de tout genre»… et qu’il s’agit de batailles stratégiques. L’insurrection de 1871 a échoué, moins parce qu’elle était géographiquement limitée qu’en raison de son caractère spontané, improvisé et des conceptions militaires erronées de ses dirigeants.
Outre qu’elle fut conduite par des féodaux qui n’ont pas su préparer et mobiliser les paysans en profondeur, sur le plan militaire elle fut une régression par rapport à la guerre de résistance conduite par Abdelkader jusqu’en 1847 et poursuivie en Kabylie jusqu’en 1858. La bataille d’lcherriden en est un témoignage. Les Algériens, en s’y engageant, ont signé leur perte. ( …) Aux yeux des militants qui ont éprouvé directement les conséquences de· «l’ordre et du contre-ordre d’insurrection», l’histoire «du cheval blanc» et du «drapeau vert» est plus qu’une anecdote humoristique. «La guerre reste toujours un moyen sérieux en vue d’un but sérieux.»
2. La lutte de Libération ne sera pas le terrorisme généralisé
De nombreux dirigeants préconisent le terrorisme, c’est-à-dire la liquidation physique des agents colonialistes les plus nocifs, commissaires de la PR07, «auxiliaires indigènes». Certains prêchent l’assassinat d’adversaires politiques. En somme, le combat libérateur se résumerait à faire disparaître les méchants et les traîtres, sans se soucier du système et des forces sociales qui les sécrètent. (…) Se faire justice soi-même fait partie des réflexes des Maghrébins, mais ne participe nullement d’une réflexion sur les conditions et les forces qui doivent conduire au succès l’entreprise de libération. (…)
«Pourquoi risquer ma vie dans un combat truqué ou le vainqueur est connu d’avance, je préfère prendre des risques pour quelque chose qui en vaille la peine.» Telle est l’opinion courante des Algériens, des militants et de nombreux dirigeants ici présents qui se sont retrouvés à Barberousse et non au palais Carnot Il y a incontestablement, impasse, usure et danger de démoralisation. (…)
Le terrorisme ne peut être qu’une aventure sans issue et tragique, conçue comme moyen de détruire le système colonial. (…) L’expérience irlandaise des combats patriotiques nous apporte de riches enseignements dans ce domaine. Elle a connu sa phase terroriste. Mais n’allons pas si loin, l’expérience du soulèvement avorté du 23 mai 1945 est plus proche de nous, que l’échec de la révolution en 1905, ou la débâcle des patriotes irlandais lors de l’insurrection de Pâques 1916 et du terrorisme qui la suivit. De plus, c’est notre propre expérience; elle a profondément marqué les militants qui l’ont vécue et qui en ont tiré les leçons pour eux-mêmes et pour le parti. (…)
Dans le meilleur des cas, réussirions-nous aujourd’hui à liquider tous les auxiliaires indigènes des autorités coloniales, à terroriser nos adversaires politiques, nous ne ferions que précipiter l’épreuve avec l’armée française. A la tête de chaque douar, elle enverrait un officier. Nous revoilà au temps des «bureaux arabes». Et après ? A quoi le terrorisme nous aurait alors avancés ? Au contraire, l’armée française, qui est une machine écrasante, se verrait disposer de l’atout stratégique: l’initiative du «où ?», «quand?», «comment ?» Cette triple détermination qui, selon Clause Witz, confère la victoire.
En termes politiques, ce sera une provocation qui nous mettra en face d’une machine de guerre contre laquelle il nous faudrait tout le souffle de la nation et toutes les ressources techniques et tactiques dont nous pouvons disposer. La forme de lutte individuelle conduit à nous mettre en position de moindre efficacité et de moindre résistance. Le peuple essoufflé et l’organisation réduite au départ par les foudres de la répression. Nous devons rejeter sans ambages l’action terroriste comme vecteur principal du combat libérateur.
L’histoire a fait justice des conceptions «élitistes» car elles sont incapables de mobiliser les masses. Elles germent dans l’ambiance de la petite bourgeoisie qui ne fait pas confiance à ces masses de peur d’être dépassée par elles. Par contre le terrorisme sous sa forme défensive ou d’appoint c’est-à-dire le contreterrorisme peut jouer un rôle dans le cadre de la guerre populaire comme en Indochine. (…)
3. La lutte de libération ne peut se résumer en la constitution d’une zone franche
Il existe une «marotte» chez certains responsables, c’est l’idée de «zone franche». Partant de quelques données — faiblesse de nos effectifs, présence de régions montagneuses peu habitées où, par défaut, la population n’aurait pas à souffrir — on conclut qu’il faut concentrer nos éléments pour plus d’efficacité dans une zone déterminée. Cette conception se base sur des références historiques. Exemples de la Grande Marche chinoise et de la résistance yougoslave. La question qui vient à l’esprit est d’abord : a-t-on une connaissance sérieuse des exemples cités pour en tirer des enseignements ? Quelles formes de luttes principales y-a-t-il eu dans ces cas ? Si «zones franches» il y a eu, où, quand et comment par rapport à ces formes de lutte principale ?
Si l’exposé d’un cas historique doit prouver quelque vérité d’ordre général, ce cas doit être développé avec exactitude et minutie sur tous les points qui se rapportent à l’affirmation… De fait, un exemple historique peut étayer les opinions les plus contradictoires ; la traversée des Alpes par Bonaparte (ou, ajouterons-nous, par Annibal et ses guerriers Iguechthoulen) peut être soit une merveille de résolution, soit un coup de tête de véritable extravagance. Le risque d’extravagance est plus grand quand l’inspiration provient d’une vision cinématographique.
Simplifier l’héroïque et complexe guerre populaire des peuples yougoslaves et la réduire à un parachutage de la RAF dans une zone franche, c’est choisir un angle de vision frivole et dangereux. Les idées (les images) fixées tiennent lieu de réflexion. En Chine comme en Yougoslavie, il y a eu guerre populaire sur l’ensemble du territoire, avec des formes de luttes multiples.
Dans le cas de la Chine comme dans celui de la Yougoslavie, la «zone franche» n’est pas une forme de lutte. C’est une phase de la lutte, phase stratégique ou tactique. (…) La défense d’une zone libérée suppose l’appui des masses, une armée déjà dotée d’une puissance de feu minimum, des défenses naturelles : forêts vierges, immensités montagneuses, frontières communes avec une puissance amie capable de prendre des risques militaires et diplomatiques afin d’assurer un appui logistique permanent, entre autres.
4.Réédition technique de la Révolution française
Enfin, conception de dernier cri, il faudrait et il suffirait d’organiser autour du palais Carnot des manifestations populaires gigantesques pour obliger l’Assemblée algérienne à se proclamer Constituante. Un 1789 algérien ? Avec prise de Barberousse, serment du jeu de paume et tout. (…) La considération qui saute aux yeux est que la Révolution française est un événement intérieur, un phénomène français. Elle n’est pas un conflit entre pays ou peuples différents ; elle n’oppose pas un peuple opprimé à la puissance coloniale, elle oppose des classes sociales. (…)
Une mitrailleuse à chaque carrefour suffit à bloquer la démonstration populaire la plus puissante et quelle barricade arrêterait un blindé ? Tous les bidonvilles de la cité Mahieddine n’arrêteraient pas la soldatesque coloniale, même et surtout avec leur population. Une manifestation insurrectionnelle autour du palais Carnot aboutira à un carnage, elle sera impitoyablement réprimée en quelques heures.
Les massacres de Mai 1945 son encore un témoignage tout chaud du sang des 45 000 morts ; le colonialisme ne lésine pas. (…)
La guerre est un instrument de la politique. Les formes du combat libérateur doivent «se mesurer à l’aune de la politique». La conduite de ce combat est « la politique elle-même» ; «la lutte armée devient politique à son niveau le plus élevé». L’essentiel donc, pour nous, est de ne pas mener une politique erronée. La seule politique juste est la politique révolutionnaire.
La lutte de la libération sera une véritable guerre révolutionnaire
Nous avons passé en revue les aspects négatifs de la question se rapportant à «ce que ne sera pas la lutte de Libération». Cette approche nous a permis de clarifier nos idées. Il faut éviter les mésaventures de la pensée pour éviter celles de l’action.
La lutte des peuples pour leur libération politique ou sociale doit être réaliste. Pas de ce réalisme-alibi qui sort souvent de la bouche de nos savants enturbannés qui trouvent facilement le rythme poétique pour prouver que «nous ne savons même pas fabriquer une allumette». Ni de réalisme pseudo-scientifique de leurs compagnons de route et de joute de l’UDMA qui font usage des mêmes arguments, c’est-à-dire de la puissance militaire ennemie afin de démoraliser les masses et décourager les jeunes cadres.
Notre réalisme est révolutionnaire car sans entamer en rien notre foi dans l’action des masses, il a pour souci constant d’élever le niveau stratégique et tactique de leur combat pour les mener au triomphe. La lutte de Libération, de l’humanité algérienne, sera donc une guerre. Elle assumera les proportions d’un conflit avec la puissance coloniale avec tout son potentiel militaire, économique et diplomatique, donc politique. (…)
Colonie de peuplement, d’exploitation, de prestige par excellence, terre française, la France ne le lâchera pas sans épuiser tous les atouts formidables dont elle dispose. (…) Par conséquent, c’est bel et bien face à l’une des plus grandes puissances du monde que nous aurons à arracher notre indépendance. Le rapport des forces en présence est effrayant par la supériorité écrasante du colonialisme dans tous les domaines sauf dans le domaine moral. Notre atout est donc un atout moral au sens de l’esprit de résistance, de foi patriotique, d’abnégation et de détermination qui doivent animer tous les Algériens et chaque Algérien. (…)
Par guerre populaire, nous entendons «guerre des partisans» menée par les avant gardes militairement organisées des masses populaires, elles-mêmes politiquement mobilisées et solidement encadrées. Par leurs origines et leurs rôles, les partisans sont à la fois des soldats et des éléments de Landsturm. M. Clausewitz admet qu’il est «impossible de mener des paysans armés comme une section de soldats qui se tiennent réunis en troupeau et qu’on mène par le bout du nez» et que «ces paysans armés possèdent l’art, par contre, de s’égailler et de se disperser dans toutes les directions sans se perdre et sans avoir besoin d’un plan élaboré».
Nous disons que le partisan est un paysan rompu à l’art d’attaquer en sections disciplinées et de se disperser avec un plan élaboré. Nous n’aurons pas l’armée de l’empereur ou du sultan avec ses mercenaires bien rangés devant l’ennemi et, derrière, cachés dans la nature, une multitude de Jacques prêts à harceler et à fixer les troupes ennemies dans des combats secondaires.
La guerre des partisans sera menée par les paysans organisés. Ils sont les seuls capables de la mener. (…) La guerre populaire sous cette forme s’inscrit dans notre génie historique le plus confirmé. C’est la guerre populaire qui a accouché de Takfarinas et de Jugurtha et qui a permis à nos paysans d’écraser des légions romaines et de résister pendant des décennies à la domination romaine. (…)
Les enseignements de la résistance algérienne qui s’est échelonnée sur près d’un demi-siècle doivent nous permettre de dégager les lignes principales de la Guerre de Libération. (…) La victoire de notre stratégie est l’indépendance de l’Algérie. C’est une victoire politique. «En stratégie, il n’y a pas de victoire militaire, le succès stratégique est la préparation favorable de la victoire tactique.»
La stratégie pourra multiplier ses forces. Les principes directeurs de notre stratégie sont :
1. L’avantage du terrain.
2. La guérilla comme forme de guerre principale.
3. La défense stratégique et non l’offensive.
4. La formation de bases stratégiques en certains points, forme des masses compactes d’où peut venir une foudre terrible.
Le principe directeur se rapportant à l’unité d’action avec le Maroc et la Tunisie se situe à la charnière des problèmes de stratégie intérieure et de stratégie extérieure. Nous préférons les situer à cette frontière. En vérité, le Maghreb est un tout stratégique par le relief, l’histoire, l’identité de l’oppression coloniale et les aspirations profondes des masses. A première vue, un combat libérateur qui n’envisage pas tout le Maghreb comme cadre stratégique apparaît un suicide, étant donné le rapport actuel des forces matérielles potentielles, et le danger de l’utilisation inévitable de cette unité «géométrique» contre l’Algérie. (…)
Cependant, l’Algérie se condamnerait à perdre davantage, c’est-à-dire tous les autres atouts, si elle faisait une condition sine qua non d’un dispositif maghrébin préalable. Ce dispositif suppose une identité de vues, de sentiments, d’intérêt chez les dirigeants. Nous n’en sommes pas encore làen dépit des déclarations. Faudra-t-il alors considérer les deux autres pays comme des alliés possibles ? (…) Ni condition sine qua non qui risque de devenir un prétexte à l’attentisme ni simple appoint, le Maghreb doit retrouver dans le combat son entité géométrique. (…)
En conclusion de ce chapitre, nous pouvons dire de nos perspectives révolutionnaires qu’elles ont pour objet de susciter un processus de guerre populaire digne des levées en masse qui ont glorieusement illustré l’histoire du Maghreb, de canaliser ce processus sous les formes les plus modernes possibles de la guerre des partisans comprise dans la théorie de la défense stratégique, de susciter à l’extérieur et même en France des mouvements de solidarité et de soutien efficaces. (…)
2e Partie – brève analyse
a) Aspect politique
Continuer à nous battre sur le terrain choisi pas le colonialisme par des moyens choisis par lui, et à des échéances choisies par lui naturellement, c’est renoncer à toute stratégie et accepter d’être manœuvrés, manipulés, et domestiqués par les piètres tacticiens des « affaires indigènes». Le Parti se coupera des masses, s’il ne répond pas à leur enthousiasme et à leur attente. La désillusion risque d’être terrible, s’il donne l’impression d’être un parti comme les autres, vieilli et en quête de sièges et de sinécures. « Il trahirait sa mission historique, s’il ne se met pas en prise directe, consciente et efficace sur le courant révolutionnaire. (…)
b) Aspect organisationnel
De sérieuses disparités entre différentes régions d’Algérie se développent en raison des niveaux différents d’expériences militantes et de maturité politique. L’empirisme de nos méthodes de travail est aussi un élément d’aggravation dans l’absence d’homogénéité et d’uniformisation de l’implantation de nos structures. (…) Il est permis de caractériser l’état de nos structures de la façon suivante :
1. Déséquilibre dans l’assise géographique rurale du mouvement de libération.
2. Manque de cadres et de formation idéologique.
3. Dispersion de nos structures organiques.
L’oOS se trouve devant des responsabilités écrasantes avec des moyens dérisoires. Si les décisions du Congrès concernant l’action légale sont relativement respectées, celles portant sur «les préparatifs techniques et matériels de l’insurrection» ne le sont pas. Notre mouvement a souffert jusqu’ici de l’absence d’une orientation précise du point de vue de sa stratégie révolutionnaire. Aujourd’hui que nous savons quelles formes revêtira la lutte de Libération, nous sommes plus conscients des exigences de cette lutte en potentiel moral, en cadres et en force matérielle.
L’OS doit devenir rapidement l’instrument capable de mettre en place le dispositif minimum d’une Guerre de Libération. (…) L’OS est une organisation d’élite, avec des effectifs forcément restreints à cause de son caractère ultraclandestin. Elle doit en premier lieu former les cadres du combat libérateur. Ce travail de formation a pour but d’élever le niveau technique et tactique de ce combat. Sur le plan technique, étude théorique et pratique du maniement des arme modernes et des explosifs, aspects principaux du combat individuel. Sur le plan tactique, nous avons choisi, dans les ouvrages récents traitant de la guérilla, de la guerre des partisans, des «commandos», des leçons s’adaptant le mieux aux données de notre pays et qui sont d’un niveau accessible à nos militants.
La formation tactique se fait en théorie et en pratique. Nous avons multiplié les stages de formation en campagne afin de familiariser les éléments avec les problèmes posés par la guérilla. (…) Bien que nous ne donnions pas de grades, notre ambition est de fournir des officiers à la Révolution, de petits et moyens cadres militaires au service du parti et des masses. La lutte seule et les mérites réels au feu justifieront les grades de demain. Le baptême du peuple et du combat seront de précieux critères. (…)
Néanmoins, une organisation de cette importance ne s’apprécie pas uniquement en fonction de ses effectifs et de son moral ; son efficacité dépend de l’ensemble dont elle dispose. Ici apparaissent les dangereuses faiblesses de l’OS. C’est la faiblesse mortelle de 1a Révolution. «Nous manquons d’armes et d’argent !» «Nous n’avons ni armes ni argent !» (A suivre)
R. P.
Comment Hocine Aït Ahmed a pensé la révolution algérienne (1948)
Quelques extraits du rapport de Zeddine (Suite et fin)
El Watan, 30 décembre 2015
En décembre 1948, alors âgé de 22 ans, Hocine Aït Ahmed, président de l’Organisation Secrète (OS) et membre du bureau politique du PPA, expose un rapport aux membres du comité central élargi, à Zeddine, sur les problèmes stratégiques et tactiques pour le déclenchement de la révolution. Dans son rapport, riche en références et très dense, Hocine Aït Ahmed pense la Révolution dans tous ses aspects : politique, militaire, financier et diplomatique. C’est le document référence qui a tracé la voie du combat libérateur du peuple algérien. En voici quelques extraits.
3e partie : perspectives
Si l’on examine froidement l’histoire militaire contemporaine, on ne découvrira pas un pareil état d’inégalité, tant du point de vue du potentiel politique économique et humain, que du point de vue militaire, effectifs, armements, entraînement. On chercherait vainement même dans les luttes des peuples coloniaux contre les puissances européennes.
Les conflits d’Indochine et d’Indonésie n’offrent aucune aubaine d’«équivalence» dans le rapport des forces, car outre les différences considérables dans les conjonctures politiques – avantages multiples tirés des contradictions impériales-coloniales (Japon contre non-asiatiques), puis intra-impérialistes (USA, France, Pays-Bas) – les peuples indochinois et indonésien bénéficiaient de l’importance de leur population, d’immenses espaces rendus stratégiques par le relief et les forêts vierges, de l’éloignement des métropoles et, par-dessus tout, de l’absence d’un peuplement européen qui, à l’instar de celui qui vit chez nous, fait la pluie et le beau temps en France. Ce rapport de force ne nous effraie pas. Mais nous devons le voir avec courage.
Des erreurs d’appréciation et d’orientation ont coûté la défaite à des pays pourtant équivalents par leur puissance, mais dont les chefs militaires se sont barricadés derrière des conceptions erronées. (…) Nous préférons nous mettre dans l’état d’esprit contraire, à la lumière des conséquences désastreuses engendrées par une doctrine à courte vue et des chefs bornés par la médiocrité et la suffisance. Nous ne voulons pas que notre combat soit «un feu de paille», nous reconnaissons au colonialisme sa nette supériorité matérielle. Nous n’avons ni aviation ni blindés, et ces deux armes sont décisives dans la guerre classique et terrifiante en rase campagne.
Nous ne ferons pas de «Don Quichotisme imbécile qui oppose le fantassin et le blindé dans un corps à corps (épique) toujours à l’avantage du premier». L’ère de «l’épée de Sid Ali» est révolue. Plus de deux décennies avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, Ernst Jünger, combattant héroïque de 14-18 et visionnaire en choses de la guerre écrivait au contraire des dogmatiques français : «Le tank réunit heureusement mouvement, efficacité, protection au même titre que jadis les éléphants de guerre des diadoques»… La prochaine guerre sera brève et violente, ce qui correspond au rythme de la machine.
(…) Quoi qu’il en soit, la guerre populaire de libération nous donne des atouts. D’abord la force morale d’une cause juste qu’une humanité écrasée et humiliée dans ses ressorts les plus intimes est résolue à défendre, plutôt que de se renier. Les vertus guerrières de notre peuple, le mépris du danger, la force de caractère et d’esprit, la persévérance trouveront dans l’islam bien exploité un élément de mobilisation et de soutien dans les vicissitudes, les revers, le deuil et les «hasards» de la guerre.
Ensuite, l’Algérie c’est notre pays. Le peuple algérien connaît ses moindres recoins. Il fait corps avec le relief. La guerre des partisans, avec ses fonctions de commandos dans les villes, ses actions de sabotage généralisées, nous permettra de tirer le maximum de ces atouts, c’est-à-dire de durer et d’atteindre les objectifs de la défense stratégique. Le troisième atout est d’intégrer la guerre populaire dans les contextes internationaux qui susciteront le plus de sympathies et d’appuis stratégiques possibles. Le contexte des peuples coloniaux en particulier et des pays révolutionnaires en général qui luttent contre les différents types d’impérialisme. (…)
1re perspective : aiguiser et approfondir la conscience révolutionnaire de nos masses
Il s’agit de combler nos lacunes et de travailler en profondeur nos masses rurales. Le patriotisme révolutionnaire est dans les campagnes, la paysannerie pauvre, la paysannerie des khammassine, les petits paysans, constitueront l’élément moteur de la guerre de libération. Leur tempérament, l’amour patriotique qui s’aiguise dans le nif et «la convoitise de la gloire», leur dévouement fanatique, gage de fermeté et d’obstination, toutes qualités et force d’âme qui les ont rendus jadis et les rendront encore maîtres dans l’art de la guérilla. (…)
Approfondir la conscience révolutionnaire, c’est rendre explicites et aiguës leurs aspirations sociales, leur soif de terre qui est plus que millénaire. Le mot d’ordre «La terre à ceux qui la libèrent», qui correspond aux aspirations de nos masses rurales, aura un effet multiplicateur, c’est-à-dire durablement mobilisateur. (…) Notre parti doit avoir pour tâche d’expliquer et de convaincre les paysans que les terres expropriées par les armes seront reprises par les armes, que les domaines des féodaux sont du domaine de la lutte de libération. (…)
Ce travail ne doit pas être fait au hasard. Il doit être conçu et entrepris méthodiquement. Il doit tenir compte des études faites par l’état-major en vue d’élaborer l’hypothèse de travail que constitue le Plan vert. C’est en fonction de ce plan que nous avons opéré un nouveau découpage du territoire. La définition et délimitation de «zones d’action», de «résistance», et de «protection» aura notamment pour avantage de libérer nos cadres d’une routine de pensée et d’action et de les familiariser avec les structures futures et la guerre de libération. Ces zones s’organisent autour des bastions ruraux les plus importants. La réorganisation du parti doit se fixer comme objectif une implantation profonde dans ces mêmes bastions. (…)
Aiguiser et approfondir la conscience révolutionnaire de nos masses, c’est aussi s’attaquer méthodiquement à la tâche d’implantation et d’organisation dans les milieux ouvriers et étudiants. (…) Quoique peu développée, la classe ouvrière peut être amenée à jouer un rôle important dans un contexte de lutte radicale aux objectifs révolutionnaire auxquels elle ne manquera pas de s’identifier. (…)
Au demeurant, l’expérience de nos travailleurs en France en matière syndicale doit permettre à notre mouvement d’élargir en Algérie des structures d’accueil à un mouvement syndical authentiquement national et révolutionnaire. Quant aux étudiants et aux lycéens, notre tâche est aussi de parvenir à les réorganiser afin qu’ils puissent être le ferment du patriotisme révolutionnaire en attendant de s’intégrer à la lutte libératrice. (…)
2e perspective : politique de renouvellement des cadres
Le parti doit pourvoir en permanents à plein temps ses structures organisationnelles ! Devenir permanent pour un cadre révolutionnaire est la forme suprême d’engagement ! (…) L’organisation de combat rationnelle et moderne que nous nous devons de mettre sur pied a besoin d’élites révolutionnaires sans cesse plus nombreuses, pour que la révolution, comme une «horlogerie bien remontée», perpétue son propre élan et son moment historique. (…)
3e perspective : des armes, des finances !
Nous avons écrasé l’UDMA et les Oulémas dans des combats électoraux. C’est un objectif important mais secondaire par rapport au but stratégique qui est de mettre notre peuple en position d’affronter le combat libérateur. Une équipe doit être chargée de trouver les armes et les finances qu’exige la conjoncture. Elle doit frapper à toutes les portes. Aller à Rabat, Tunis, Le Caire. Convaincre l’Istiqlal de construire moins de mosquées et de médersas, et de nous consentir un emprunt. Plaider notre cause auprès de la Ligue arabe dont les déclarations de solidarité avec le Maghreb ne manquent pas.
Le désastre de Palestine serait profitable s’il devait aider à l’élaboration d’une grande stratégie, d’une stratégie révolutionnaire à l’échelle du monde arabe. C’est au Caire que des rencontres fructueuses pourraient nous aider à solutionner nos problèmes. L’emprunt paraît d’ailleurs une excellente formule, elle sauvegarde notre amour-propre et le soin jaloux que nous avons d’assurer notre liberté de mouvement et d’éviter au parti et au pays toute espèce d’aliénation. (…)
L’envoi d’un émissaire par Abdelkrim ainsi qu’un contact pris à Alger par nous avec un représentant étranger nous ont donné l’impression que l’Algérie est un enjeu important en Méditerranée. Il suffirait d’examiner les possibilités qui peuvent s’offrir à nous du fait de cet enjeu. L’isolement a trop duré. Le parti qui a la lourde charge de libérer l’Algérie doit rompre cet isolement. (…)
4e perspective : unification du combat maghrébin
Le cadre maghrébin de la guerre de libération algérienne est un facteur si contraignant qu’il domine nos perspectives. C’est l’entité géométrique par excellence qui joue un rôle politico-militaire primordial dans la grande stratégie impérialiste française par rapport aux trois pays qui la composent, au continent africain et à tout le bassin méditerranéen. (…)
Pour utiliser une des notions nouvelles de la théorie militaire soviétique, notion dite de la balance, on peut redresser sensiblement la balance des forces en présence en mettant les poids du Maroc et de la Tunisie dans notre plateau après les avoir prélevés du plateau colonialiste. Il n’est pas toujours possible de porter ses propres forces au niveau voulu ; on peut réaliser un résultat équivalent en diminuant un élément de force correspondant chez l’adversaire et en provoquant la dispersion de son dispositif. (…) Le parti ne sera digne de sa mission d’avant-garde que s’il parvient à faire partager à l’Est et à l’Ouest son expérience et sa foi. C’est la tâche prioritaire de notre diplomatie ! (…)
L’os est prête à envoyer dans les deux pays frères des responsables compétents afin d’aider à l’organisation de structures analogues aux nôtres. Les trois états-majors pourraient même fusionner à un stade plus avancé, un Haut-Commandement maghrébin serait la pièce maîtresse de cette mise en scène historique qui doit mettre un terme à la tragédie du Maghreb. (…)
La lutte commune est non seulement gage de la victoire sur les forces coloniales, mais aussi garante de l’unité du Maghreb. C’est dans le combat libérateur que seront détruites les frontières artificielles qui morcellent cette entité. «La guerre, disait Napoléon, est un art tout d’exécution» ; nous pourrons ajouter la guerre révolutionnaire est une science toute de préparation. (…)
5e perspective : stratégie d’élargissement
Trois principes stratégiques doivent constituer les lignes directrices de notre action extérieure. Pour reprendre la formulation soviétique en matière militaire, «la force vitale» est constituée par le mouvement historique qui porte les peuples d’Asie et d’Afrique à combattre pour leur libération. (…) Cette force «émancipatrice» est vitale du point de vue strictement militaire, par la dispersion de la puissance et des efforts du colonialisme et l’affaiblissement de son potentiel économique. (…) La solidarité des peuples opprimés doit déboucher sur la constitution d’un Front révolutionnaire des peuples opprimés. (…)
Des relations sérieuses doivent être nouées avec les mouvements de libération à cet effet. Le Monde arabe et musulman assumera dans ce cadre un rôle de catalyseur. Nul doute que la résistance du Maghreb sensibilisera les musulmans au plus haut point. (…) Le Front révolutionnaire des peuples opprimés sera le stade suprême de la solidarité internationale. Les étudiants et les syndicalistes en seront les promoteurs, aux côtés du prolétariat rural. Le parti doit donc orienter son activité en France, en vue de bétonner nos relations avec les éléments les plus avancés de l’émigration africaine et asiatique. (…)
Notre stratégie suivra cette ligne directrice en matière diplomatique. Quand nous compterons mettre sur notre plateau le poids d’un acte de soutien d’un pays socialiste, nous penserons au même moment délester le plateau colonial du poids d’un appui occidental. Notre combat s’en trouvera renforcé doublement. L’élargissement de notre stratégie par l’isolement du colonialisme doit se poursuivre avec un esprit d’analyse rigoureux et la volonté lucide de ne jamais perdre de vue les conditions pratiques de notre combat qui se résument en l’efficience révolutionnaire. (…)
La révolution doit se fixer comme objectif d’exacerber et de faire éclater les contradictions impérialistes. (…)
Comme sur le théâtre de guerre, la stratégie diplomatique d’élargissement effectue ses options tactiques dans le mouvement. Cela implique deux choses. (…)
Premièrement, que nous soyons totalement libres de nos mouvements. Pas d’aliénation vis-à-vis de quiconque, notre capacité de manœuvre doit être assurée avec fermeté et souplesse. Nos relations avec les peuples, les partis et les gouvernements doivent être conçues dans cette optique d’indépendance. Deuxièmement, que nous élevions sans cesse le niveau de nos connaissances de la politique mondiale. Toutes les nations en subissent les contrecoups, sinon le conditionnement ; celles d’entre elles qui n’ont pas encore récupéré leur souveraineté s’en ressentent encore davantage.
Dès lors se contenter d’une vision schématique des développements internationaux, en plaçant «les bons d’un côté et les mauvais de l’autre» serait ignorer la complexité et l’ambiguïté des éléments qui déterminent l’intérêt de chaque pays ou groupe de pays. Notre action extérieure aura besoin d’analyses saines et sereines des courants internationaux et des forces en travail à l’échelle mondiale. Elle doit éviter les écueils sentimentalistes et les œillères du dogmatisme. (…)
6e perspective : l’action subversive en France
Saper la volonté de l’adversaire de poursuivre sa politique coloniale est l’objet de notre stratégie révolutionnaire. L’action politique à mener en France revêt dès lors une importance considérable auprès de l’opinion française en vue de démystifier l’Algérie française. Il convient de souligner inlassablement que les peuples algérien et français sont tous deux victimes du mensonge colonial, celui-ci étant obligé chaque année de payer l’ardoise qui permet aux gros colons de continuer à exploiter l’Algérie et les Algériens à leurs profits personnels et au profit de quelques magnats «métropolitains», ceux-là mêmes qui participent à l’exploitation des masses laborieuses françaises ! (…)
Le prolétariat français et une partie de l’intelligentsia issue de la résistance sont déjà avertis contre le système colonial. Il y a des traditions de luttes anticolonialistes que le souvenir de l’oppression nazie peut ranimer et revigorer auprès des organisations de gauche (syndicats, jeunesse, étudiants, partis politiques). (…) L’émigration algérienne en France, en particulier les travailleurs et les étudiants, devront développer une action conséquente à la base dans les chantiers et les usines.
En échange de leur participation aux combats des travailleurs français, ils doivent préparer une solidarité effective. Cela ne peut se faire dans la complaisance à l’égard des dirigeants opportunistes de la gauche française. Cela ne peut se faire que dans la clarté. Le refus de reconnaître l’existence d’une nation algérienne avec ou sans les Européens est une attitude colonialiste qu’il faut dénoncer énergiquement. La tâche de nos militants n’est pas seulement de relever les erreurs des mouvements français, mais aussi et surtout de faire connaître la justesse de nos positions. Il ne suffit pas de contester leurs vérités, il faut faire partager la nôtre.
Les révolutionnaires algériens n’accepteront ni d’être récupérés, ni d’être pris en charge par les révolutionnaires français.(…) Il serait possible alors de provoquer le retournement de l’opinion française, tout dépendra bien sûr de la puissance du mouvement de libération et de ses répercussions dans le monde. (…) Une véritable politique d’agitation et de contacts devra être développée par le parti dans le but de convaincre le peuple de France qu’il paie un prix excessif dans une entreprise sans grandeur qui ne profite qu’à ses exploiteurs et à l’issue à coup sûr fatale. (…)
4e partie – dispositif d’application – calendrier
Ce qui dépend de nous, c’est la réalisation de nos perspectives qui est intimement liée au calendrier d’application. Les préparatifs ne doivent pas durer indéfiniment. Un délai de mise en train s’impose d’une façon impérative. Le temps nous est compté. Pourquoi ?
En premier lieu, le mouvement de libération risque de s’essouffler. Les masses sentent l’impasse et s’en ressentent. Leur moral et leur combativité pourraient fléchir à force de se heurter dans l’impuissance et la passivité aux diverses formes de la répression. En second lieu, l’impatience peut gagner les éléments de l’os ! Certains ont déjà étudié et réétudié la brochure d’inscription militaire. Une organisation d’élite de cette nature est incompatible avec la routine, l’ennui et l’attentisme. La soif du nouveau nourrit l’enthousiasme à défaut d’action directe.
Nous essayons d’entretenir la flamme par des efforts d’éducation extra-militaire et par des exercices en plein air. Mais il est impossible de les faire attendre plus qu’il ne faudra pour notre préparation ! C’est-à-dire dans les délais les plus courts possibles
Au demeurant, l’épée de Damoclès d’une dure répression contre le parti et même contre l’os est toujours là. (…) Quoi qu’il en soit, nous risquons de perdre un atout majeur dans l’attente prolongée, à savoir la surprise. Le simple bon sens confère au facteur surprise des avantages évidents. (…)
Ce n’est pas une surprise d’ordre tactique qui, elle, permet de réussir un coup de main ou une attaque limitée dans le temps et l’espace. Il est question chez nous, en paraphrasant Clausewitz, «de surprendre l’ennemi par les mesures générales que l’on prend» par le genre de conflit décidé et par le dispositif global arrêté. (…)
La «surprise» dont nous voulons nous assurer les avantages est du domaine stratégique supérieur, puisque la guerre révolutionnaire doit surprendre à la fois par l’ampleur de sa préparation et l’opportunité de son déclenchement. En effet, la supériorité que garantit la surprise n’est pas celle qui porte sur «un point décisif» comme dans un conflit classique, mais celle qui s’exprime à un moment donné, à un moment décisif. (…)
Nous insistons sur le caractère confidentiel de nos décisions : la divulgation du secret serait d’une gravité extrême ! C’est l’ABC de tout conflit que si B apprend que A se prépare à l’attaquer, il aura intérêt à le devancer à moins que, ne se souciant pas du coup de surprise de A, il préfère lui réserver une contre-surprise plus surprenante et plus désastreuse. (…)
Le problème de l’armement doit être le souci majeur du parti. (…) Avec des fonds, nous pouvons récupérer en Algérie même une bonne quantité d’armes et de munitions disséminées çà et là depuis le débarquement. Grâce à des collectes locales en Kabylie, des mitraillettes ont pu être achetées à Alger pour armer les maquisards. Par ailleurs, ayant pu économiser sur le maigre budget qui lui est alloué pour survivre, l’os a organisé un achat d’armes assez important à l’étranger.
Des fusils au prix dérisoire de 5000 francs pièce. Nous aurions profité de l’occasion et du dérangement si nous avions disposé de fonds nécessaires. Il y a des possibilités d’achat par la contrebande et la récupération. Un appareil émetteur-récepteur nous a coûté 100 000 francs. L’équivalent du budget de fonctionnement mensuel alloué à l’organisation. C’est-à-dire de tout le budget de l’os, puisqu’aucun sou n’a été consacré par le parti à l’achat d’armement. (…)
Il faut absolument trouver les grands moyens de la révolution pour faire la politique de la révolution ; il faut cesser de faire la politique de nos moyens, la «politique dite du possible» ; seule la révolution est le moyen possible de libérer notre peuple, «l’art du possible» doit soutenir cette option et non la disqualifier.
Refuser à la révolution les hommes et les moyens, c’est refuser la révolution. La politique de la révolution doit, au préalable, se débarrasser des œillères tissées par les luttes de clocher et d’église, les innombrables tâches quotidiennes, activités municipales, édition et diffusion de la presse. Elle doit garder une vision permanente des vrais problèmes et s’attacher à les solutionner vaille que vaille. (…)
R. P.