Rendre à Cesar…

RENDRE A CESAR…

Réponse à Mgr. Tessier

Ibrahim Taha, algeria-watch, 16 avril 2001

Lorsque le quotidien Le Matin fait dire à Henri Teissier, l’archevêque d’Alger , que les groupes islamistes armés sont impliqués dans les massacres avec, en sous titre à l’encre rouge :  » J’ai des preuves « , il soutient sans doute sa ligne éditoriale suivie depuis sa création, quitte à donner un sens différent au vrai propos de Henri Teissier. Mais lorsque l’archevêque d’Alger révèle avoir écrit au journal Le Monde, qui avait émis des doutes sur la culpabilité des groupes armés sur l’assassinat des sept moines de Tibhirine2, enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars et assassinés en mai 1996, pour lui fournir  » les preuves qui sont en ma possession et qui montrent que c’est bien de là qu’est venue cette violence « 1, avouant qu’il enquête, non sur les faits mais, sur Habib Souaidia, l’auteur du livre La sale guerre, pour innocenter les généraux et déclarant  » On travaille avec tous ceux qui entreprennent des actions politiques pour le bien du pays. « , il se démarque carrément de ce que disent les Evangiles : » A César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu « . On devait s’attendre à une position prudente de l’homme d’église d’Algérie ; cependant, il faut bien dire, d’abord, que la séparation du religieux du politique n’est pas le précepte favori de l’église catholique , ensuite que celle-ci s’est toujours accommodée des régimes totalitaires et, enfin, que l’église d’Alger n’est pas à sa première prise de position dans un contentieux politique local. L’archevêque d’Alger prend des risques !

Qu’est-ce qui a poussé l’archevêque d’Alger Henri Teissier à s’engager aussi fortement contre, non le livre  » La sale guerre « , mais contre son auteur ? Est-ce que Henri Teissier veut dire, par  » on travaille avec tous ceux qui entreprennent des actions politiques pour le bien du pays « , qu’il soutient la politique du régime, celle des généraux ? Le bilan de la politique des généraux faite de terreur, de sang et de larmes, a déjà donné plus de 200 000 morts, des dizaines de milliers de prisonniers politiques et presque autant de torturés, quelque 20 000 disparus forcés, un million de citoyens déplacés à l’intérieur et des centaines de milliers d’exilés. La richesse nationale est dilapidée entre détournements, financement de la répression (près de 8 milliards de dollars, sans compter les salaires de plusieurs centaines de milliers de miliciens) et les dommages de guerre (plus de 12 milliards de dollars). L’économie est mise à l’agonie avec les licenciement de quelques 700 000 travailleurs, l’aggravation de la dette interne et externe, la destination volontaire du parc industriel productif à la destruction ou au bradage, la prolifération des bazars de l’import/import, la généralisation de la fraude électorale et de la corruption, plus de 13 millions d’Algériens vivant au dessous du seuil de pauvreté, et plus de 20 millions souffrent de la malnutrition, de la détérioration de l’infrastructure de la santé et des services médicaux conduisant au retour des épidémies de la pauvreté ainsi qu’au développement des maux sociaux : divorces, suicides, mendicité, prostitution, toxicomanie, etc. Devant ce bilan de faillite, où se situe le bien du pays selon Henri Teissier ?

En réalité, la position et l’action de l’archevêque d’Alger s’inscrivent dans celles du Vatican. Lorsque le général Cedras fit un putsch contre le père ( ! ) Aristide, président élu de Haïti, le Vatican s’empressa non seulement de reconnaître le gouvernement putschiste, mais était le seul à avoir un ambassadeur auprès de la dictature. Plus globalement, le Vatican a combattu la Théologie de la Libération en Amérique latine et s’est trouvé aux côté des plus féroces dictatures du globe. C’est ainsi que l’actuel secrétaire d’état au Vatican, le cardinal Angelo Sodano, s’est démené au profit de Pinochet tant auprès du gouvernement de Santiago pour marquer sa sympathie à l’accusé qu’auprès du Foreing Office après l’arrestation du général. C’est sur sa demande que Mgr Median, l’ancien Archevêque de la ville natale de Pinochet – Valparaiso, s’était déplacé à Londres pour plaider la cause de l’accusé, reconnu tortionnaire d’état par les Lords. L’église fait donc de la politique, défend les mauvaises causes et oublie les vraies victimes ; cela n’est, hélas, pas nouveau. Le pape a rendu visite à plusieurs dictateurs et, le 16 décembre 2000, malgré l’énorme pression de la rue, Jean Paul II reçut le fasciste autrichien, Jorg Haider, venu lui remettre le traditionnel sapin de Noël, destiné à la place Saint-Pierre. Comme on le voit, l’église catholique s’accommode bien des régimes fascistes et totalitaires. Malgré l’assassinat de Mgr Angelelli par la dictature militaire argentine, la solidarité de l’église avec la dictature du général Videla, responsable, entre autre, de la disparition forcée de plus de 30.000 civils, continua. Le soutien aux dictatures est si évident que le pape refusa de recevoir le collectif des  » Mères de la place de mai « , en 1982, lors de son voyage en Argentine. On peut penser que le pape ne voulait pas, en raison des règles diplomatiques, froisser les généraux chez eux. Or, il réitéra ce refus même après son retour à Rome où les mères des disparus forcés sont venues le supplier. Au retour de la démocratie en Argentine, Rome plaidera le pardon pour les tortionnaires, ceux-là même que les aumôniers militaires réconfortaient après les séances de torture ( ! ) à la demande du Vicaire aux armées, Adolfo Tortola.

Rappelons les circonstances de l’assassinat des sept moines, qui n’excluent pas la responsabilité commune, tant du régime des généraux d’Alger – que l’archevêque soutient volontairement – que celle des services français. Un commando de vingt personnes est entré par la grande porte au monastère de l’ordre des cisterciens-trappistes de Tibehirine, pour en ressortir avec sept moines pris en otages. Par chance, deux moines (Amédée et Jean-Pierre) n’ont pas été inquiétés, et une autre aile du monastère qui abritait un groupe de retraitants n’avait pas été visité par les assaillants. Les sept moines seront exécutés le 21 mai 1996. C’est le jeudi 23 mai au soir qu’un communiqué du GIA révèle que les otages français ont eu  » la gorge tranchée « . L’information est reprise par l’AFP et la radio Médi 1 de Tanger. Le Quai d’Orsay authentifie très vite le communiqué du GIA. Auparavant, une bande audio est remise à l’ambassade de France, le 30 avril, par un  » inconnu  » qui serait l’émissaire de Djamel Zitouni – émir du GIA au moment des faits -. C’est Henri Teissier qui reconnaîtra, dans les bureaux de l’ambassade de France, les voix des moines enregistrées sur la bande et ce sera sa  » preuve « . Comme par hasard la caméra filmant l’arrivée des visiteurs à l’ambassade est en panne le jour où l’inconnu venait d’y remettre la bande sonore, un inconnu qui sera curieusement assassiné après sa sortie de l’ambassade à Alger. L’abbé général des cisterciens-trappistes, Bernardo Olivera, et son assistant, Armand Veilleux, débarquent de Rome à Alger jeudi 30 mai 1996, ils apprennent que les  » corps  » des sept moines viennent d’être retrouvés. Les dépouilles mortelles ont été découvertes dans une zone bouclée et quadrillée par les forces spéciales. Mais lorsque les deux religieux et Henri Teissier lui-même sont conduits à la morgue de l’hôpital militaire d’Ain Na’ja, près d’Alger, ils découvrent sept têtes mises au fond de chacun des sept cercueils, et pas trace des corps.

Selon des témoins, les religieux inspiraient le respect: des islamistes parce qu’ils étaient restés neutres et soignaient tout le monde, islamistes et militaires. La nuit de Noël 1995, lors d’une  » visite  » au monastère du groupe GIA de Sayah Attia, celui-ci s’était engagé pour leur assurer l’aman (paix/protection). Pourquoi cette volte face du GIA ? L’année 1995 avait été celle de la proposition du contrat national de l’opposition qui s’était réunie à Rome, que le régime d’Alger avait violemment rejeté  » globalement et dans le détail « . Le régime avait à l’époque condamné les  » croisades  » en insistant sur le rôle de la communauté de  » Saint Eugidio « . Il avait donc un mobile ou, à tout le moins, une raison d’envoyer un message clair aux religieux qui, comme d’autres secteurs de l’opinion, nationale ou internationale, devaient choisir leur camp : celui du régime ou celui des islamistes. C’est pourquoi, plus tard, un faisceau de présomptions concordantes, font reculer la thèse de la responsabilité unique du GIA.

Selon le journal Le Monde déjà cité, la responsabilité de groupes islamiques armés est mise en doute dans des cercles ecclésiastiques à Rome et par d’anciens officiers de la sécurité algérienne, qui certifient que l’émir du GIA Djamel Zitouni, qui sera éliminé après cette affaire, était manipulé. Enfin, de troublantes découvertes sur  » les  » GIA montrent qu’une partie au moins des communiqués du GIA, de 1995, émanaient d’une caserne militaire de l’algérois3. On avance donc, avec beaucoup de crédibilité, que la sécurité militaire de l’état avait infiltré le GIA.

Le journal Le Monde rapporte que Djaffar El Houari écrit dans un livre « Les services français étaient en contact avec les ravisseurs des moines. Ils voulaient faire durer les tractations le plus longtemps possible, car, ayant localisé le lieu de détention des religieux, ils préparaient une opération commando pour les libérer. Informées, les autorités algériennes ont très mal pris la chose.  » Comment les services français auraient-ils localisé le lieu de détention des otages ? Dans un entretien recueilli par Jean-Paul Chagnollaud; dans la revue Confluences Méditerranée (mars 1998), le  » capitaine Haroun « , ancien officier de la sécurité algérienne, affirme que le bras droit de Zitouni était un lieutenant des services de renseignement et que la mort des moines est le fruit d’un conflit entre services algériens et français : des émetteurs miniatures de localisation (reliés à des balises de repérage par satellite) auraient été transmis aux moines durant les négociations. Les services français auraient utilisé un faux religieux qui, sous prétexte de donner la communion aux otages, aurait remis un émetteur à l’un d’eux. En effet, le 26 mai 1996, le prieur de l’abbaye cistercienne d’Aiguebelle (Drôme) déclarait au Journal du Dimanche qu’  » un homme du sud de la France, émissaire du gouvernement français, porteur d’une custode, avait donné la communion à chacun des moines et était resté dix minutes avec eux « . Des hosties ou des émetteurs ? Le Quai d’Orsay avait désavoué le prieur, suivi en cela par les supérieurs dudit prieur. Mais d’après le journal Le Monde, le supérieur d’Aiguebelle, Yves de Broucker, finira par admettre que le Quai d’Orsay a fait pression sur lui pour qu’il démente son confrère et, donc, l’histoire de l’émissaire français qui serait resté seul avec les otages reste crédible.

D’autre part, la couverture religieuse est utilisée par de nombreux services de sécurité militaires de sécurité étrangers activant en Algérie comme l’attestent de nombreuses déclarations du ministre algérien des affaires religieuses (quotidien algérien El Youm du 10 avril 2001, p. 3). La découverte des émetteurs par les services algériens – avisés par leurs agents du GIA – leur a coûté la vie. L’opération montée par les services français aurait mal tourné et le régime algérien aurait décidé d’éliminer tout le monde, y compris les otages, car il n’avait pas intérêt à les rendre vivants en raison de leur liberté de parole. Dans une autre affaire de prise d’otages, celle des fonctionnaires du consulat français, plusieurs zones d’ombre demeurent jusqu’à ce jour. La poursuite des ravisseurs et de leurs otages d’une villa à une autre, digne d’un thriller, s’achèvera par la libération des trois otages qui seront tout simplement déposés par les kidnappeurs dans la rue, leur rapatriement en France, sans qu’ils ne puissent s’expliquer publiquement sur les circonstances de leur enlèvement. Ce n’est que plus tard que l’une des victimes émettra des doutes sur l’identité des ravisseurs. Elle ne pouvait admettre que des islamistes pouvaient consommer de l’alcool.

En prenant politiquement parti pour le régime d’Alger, Henri Teissier n’innove donc pas. Il n’aura pas su s’inspirer de Mgr Duval dont l’engagement en faveur de l’indépendance durant la guerre de libération contre le colonialisme français, lui a valu l’estime et la reconnaissance du peuple algérien. La différence entre les deux homme d’église vient d’être rappelée par la déclaration du président de l’association des Ulémas d’Algérie, reprise par le quotidien El Youm du mardi 10 avril 2001. Doit-on se contenter de la version du régime d’Alger en ce qui concerne l’assassinat en Algérie de tous les religieux, d’autant plus qu’aucune enquête n’a été diligentée ? Pourquoi Henri Teissier n’a-t-il pas plutôt réclamé une enquête crédible sur l’assassinat de tous les religieux en Algérie, par une commission impartiale et indépendante?

L’ancien nonce en Argentine, Pio Laghi, avait fait l’objet d’une plainte, en mai 1997, pour complicité de crimes contre l’humanité avec le général Videla. Mais la plainte sera vite enterrée, Pio Laghi était devenu entre temps cardinal en poste au Vatican. Mais rien ne dit que Henri Teissier sera cardinal, ou ne fasse pas l’objet d’une plainte pour complicité de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, voire de complicité de génocide.

NOTES
1. Henri Tincq Le Monde, 7 et 8 juin 1998.
2. Christian de Chergé, Bruno Lemarchand, Paul Favre-Miville, Christophe Lebreton, Luc Dochier Michel Fleury et Célestin Ringeard.
3. Les services secrets britanniques avaient mis sous écoute le correspondant du GIA en Grande Bretagne et furent surpris de découvrir que les fax lui parvenaient d’une caserne militaire près d’Alger

 

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