Qui stoppera le terrorisme ?

Un «quart d’heure» de onze ans

Qui stoppera le terrorisme ?

Par Mohamed Zaâf, Le Jeune Indépendant, 18 décembre 2002

Le terrorisme «vaincu» nous a coûté plus de 1 410 vies algériennes cette année. Une perte que seuls les affrontements entre puissances ennemies peuvent causer et une fois mis le paquet, mais qui, chez nous, ne semble pas gêner outre mesure la quiétude des responsables chargés de la protection des vies et des biens.

Des gens – des petites gens bien sûr – meurent chaque jour que Dieu fait en raison de la flagrante incapacité des dirigeants à faire la paix, à défaut de remporter une guerre dont le dernier «quart d’heure» nous est périodiquement annoncé depuis onze ans. Des fellahs, des pasteurs, leurs femmes, leurs enfants, des récitants du Coran, des imams sont happés par l’engrenage et trucidés sans même savoir ce qui leur est reproché. Assassinats, viols, rackets, prostitution, trafic d’armes, de drogue (les saisies sont désormais estimées par quintaux), d’alcool, d’influence ont fait leur introduction à la faveur de l’insécurité régnante pour progressivement devenir des activités aussi banales que le terrorisme. Le grand banditisme et le terrorisme se partagent le terrain au point qu’il devient parfois difficile de pouvoir attribuer une paternité aux actions de violence. Même les forces censées combattre le terrorisme finissent par succomber aux tentations de l’ambiance régnante. Les services de sécurité ne nous révèlent-ils pas ces derniers temps l’implication de gens armés et rétribués par l’Etat dans des affaires de banditisme menées avec des méthodes terroristes ? La dernière grâce accordée par le Président à quelque 5 000 détenus de droit commun lors de l’Aïd-el-Fitr est révélatrice. Un chiffre effarant qui, à lui seul, renseigne sur l’ampleur du mal profond qui ronge la société.

Dans nos zones rurales, plus de quatre millions de personnes se sont retrouvées sans armes, sans défense, acculées au déracinement. Elles n’avaient qu’un seul choix : subir l’enfer ou abandonner leurs maisons, leurs terres à la recherche d’un hypothétique refuge pour préserver l’essentiel, c’est-à-dire la vie et l’honneur familial. Les Algériens connaîtront-ils un jour le bilan réel des dégâts humains et matériels de ces onze années d’instabilité ? Les responsables qui ont souvent vu leurs chiffres contredits nous poussent à conclure qu’ils semblent s’accommoder sans problème du désastre et de ses fatales répercussions. Les personnalités aux différents niveaux de la décision semblent plutôt soucieuses de vendre une image rassurante de l’Algérie que de lui trouver une solution à la mesure de sa crise. Pourtant, tous savent qu’en l’absence d’une solution, le capital étant réputé «poltron», les investisseurs étrangers ne s’aventureront en règle générale que dans les zones pétrolifères où, doit-on le reconnaître, contrairement à la vulnérabilité de nos mechtas, la protection des personnes et des installations s’avère efficace à 100 %. Cependant, la question lancinante qui revient à l’esprit est de savoir s’il existe réellement ou non une volonté de régler la crise nationale. Sur le terrain, la concorde nationale annoncée depuis Batna par le président Bouteflika n’a pas avancé d’un iota. Bien qu’un référendum ait appuyé le choix de la paix (peut-on choisir autre chose sans problème de conscience ?), le projet présidentiel se trouve contrarié par les tenants d’une solution sécuritaire qui a fait illusion, il y a une décennie. «L’anéantissement à jamais» des maquis islamistes se fait toujours attendre, et même les intelligences en dessous de la moyenne admettent l’inanité de la seule force pour régler la crise. Fortement dégarnis à l’époque par le choix de l’AIS, les maquis ne dépeuplent toujours pas et trouvent même le moyen de se renouveler, selon les échos inquiétants en provenance de Jijel.

Face aux corps constitués de l’Etat et aux quelque 800 000 armes distribuées aux forces paramilitaires, le «terrorisme résiduel» a quand même fait 1 410 victimes dans des actions restées impunies. Sans qu’on ait pallié les défaillances ou qu’on les ait sanctionnées tel que promis officiellement.

Avec 1 410 victimes/an, on ne peut crier victoire. Devant l’hécatombe dont on n’entrevoit pas la fin, personne ne trouverait à redire si l’on évoquait l’échec. M. Z.