Les généraux sont aujourd’hui bousculés, obligés de se défendre des attaques répétées.

Les généraux sont aujourd’hui bousculés, obligés de se défendre des attaques répétées.
Une chance à saisir

Les dieux algériens ont peur

Sid-Lakhdar Boumédiene, membre de l’opposition algérienne, Libération 2-3 septembre 2001

Les dieux mythiques de l’Algérie ont aujourd’hui des visages, ils dénoncent directement, invectivent et menacent à visage découvert. Ils portent plainte devant les tribunaux et se justifient chaque jour dans la presse. Ils ont donc une existence, se personnifient et se désacralisent. Ils font même état de leur colère, de leur analyse et de leurs craintes, ce qui était encore, il y a quelques années, impensable de leur part.
Le plus agité de tous en ce moment est le général Nezzar, qui multiplie les sorties médiatiques. Il vient de convoquer la presse à grand bruit pour déclarer son intention de porter plainte en diffamation devant les tribunaux français contre Habib Souaidia, ancien militaire et auteur de la Sale Guerre, livre dans lequel sont portées de très graves accusations contre la haute hiérarchie militaire. Mais d’autres généraux ont aussi choisi la voie des tribunaux ou celle des interviews dans la presse pour se défendre et fustiger le complot des islamistes, la manipulation de l’étranger, etc.
Fait nouveau, ces monstres froids laissent donc transparaître leur agacement, si ce n’est leur profond malaise, alors qu’ils ne se seraient jamais abaissés autre fois à répondre directement et aussi abondamment Signe des temps, les généraux algériens ne semblent plus reclus dans une cité interdite où leur pouvoir se nourrissait du fantasme et de l’occulte.
Silhouettes furtives, ils étaient reconnaissables dans les cérémonies officielles par leurs célèbres Ray-Ban et les courbettes qu’ils font au Président du moment Un rôle de paravent dangereux puisque depuis le coup d’Etat militaire de 1991, deux Présidents ont été « démissionnes », un autre assassiné, et rien n’indique une tendance à l’inversion des statistiques.
Cette descente des dieux dans le monde séculier des Algériens est l’un des premiers signes qui peut faire entrevoir l’espoir qu’un jour ils se débarrasseront de leur tutelle sanglante. Depuis quelque temps, en particulier à cause de la révolte qui sévit en Kabylie et dans d’autres régions, ces généraux sont privés de leurs relais traditionnels et particulièrement de celui du chef de file des « éradicateurs ». Quant à la menace du GIA, si l’argument reste porteur, plus
personne à l’étranger n’est prêt à cautionner le régime algérien sans qu’il ait levé le voile sur des zones d’ombres troublantes.
Le général Nezzar se dit prêt à venir en France pour soutenir sa plainte et se défendre. Nous osons à peine y croire, car la dernière fois, il a disparu à la seconde même où il apprenait la recevabilité de la plainte d’un certain nombre de familles de disparus. S’il change d’avis, nous l’attendons de pied ferme et ne manquerons pas de lui expliquer ce qu’est une cour de justice et les procédures d’un monde dont il ne soupçonne même pas l’existence, l’Etat de droit. Habitués depuis trop longtemps à ce que leur apparition crée autour d’eux le silence et la servilité que suggère la terreur, ils ne peuvent concevoir qu’il puisse en être un jour autrement. A ce nouveau jeu qu’ils sont contraints de jouer, peut-être avons-nous enfin une petite chance.