Les révélations du colonel Mohamed Samraoui de la DRS à Al Jazeera

Les révélations du colonel Mohamed Samraoui de la DRS à Al Jazeera

L’autre version de la  » république  »

Nasreddine Yacine, algeria-watch, 6 août 2001

Que va-t-on trouver au colonel Mohamed Samraoui dit Habib pour le descendre en flamme ? La presse algérienne n’a pas encore été briefée pour fournir des  » éléments  » biographiques sur cet ex-officier supérieur des services spéciaux algériens (DRS). Dans quelques jours probablement, les Salima Tlemçani, Mounir Boudjemaâ, Nacer Belhadjoudja, N. Sebti… et autres Anis Rahmani, honorables correspondants du colonel hadj Zoubir (chargé de l’information à la DRS), vont  » sévir  » à coup d' » infos  » pour tenter de discréditer l’auteur des témoignages accablants sur la guerre qui a lieu en Algérie depuis 1992.
L’émission Bila Houdoud de la chaîne de télévision satellite Aljazeera, diffusée mercredi dernier en début de soirée, n’est pas passée inaperçue. Ils étaient certainement des millions d’algériens à l’avoir suivie. Le lendemain, elle était le sujet de discussion numéro un dans les cafés et dans les longues chaînes interminables pour l’acquisition du fameux formulaire de demande de logement locatif.
C’est que les révélations de ce colonel de la DRS ont de quoi choquer les  » âmes sensibles  »  » foncièrement républicaines « . Mohamed Samraoui se dit prêt à témoigner devant le tribunal pénal international (TPI) et ramener les preuves de ce qu’il avance. En attendant cet heureux événement, ici les principaux extraits de l’intervention du colonel Mohamed Samraoui :

L’arrêt du processus électoral et la répression du FIS

 » Le 29 décembre 1991, je m’étais rendu à Blida pour rencontrer le colonel Abdelmalek Bendjedid (frère du président Chadli Bendjedid) pour lui faire part des rumeurs et des bruits qui circulent à propos de l’imminence d’un coup d’Etat contre le président. Abdelmalek me fait part à son tour, en me demandant de garder cela pour moi tout seul, des décisions qui allaient être prises par Chadli en l’occurrence le limogeage des généraux Toufik (patron de la DRS) et de Khaled Nezzar (ministre de la Défense) et leur remplacement respectivement par le général Kamel Lahrache et Dib Makhlouf « .

 » Larbi Belkheir est derrière l’idée des camps du Sud, de la dissolution du FIS et l’assassinat de Boudiaf « .

 » Après les résultats du premier tour des élections législatives, nous avons rencontré plusieurs chefs de partis politiques, dont des petits partis que je ne citerai pas, pour connaître leur avis sur la situation « .

 » Mahfoud Nahnah, que j’ai rencontré le 27 décembre en compagnie du commandant Guettouchi Amar, a exprimé son refus des résultats et était favorable à l’arrêt du processus électoral « .

 » D’autres contacts ont été entrepris avec la société civile dont Benhamouda de l’UGTA pour connaître leurs avis sur cette nouvelle situation et leur demander de bouger en faveur de l’annulation des résultats des élections « .

 » Nous, les officiers, étions également favorables pour l’arrêt du processus électoral. Et pour cause, les hauts responsables de l’armée (généraux) nous ont dressé un tableau noir du FIS en prédisant des lendemains apocalyptiques en cas de l’accession de ce dernier au pouvoir. Ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’ils avaient monté tout cela pour leur propre bien et non celui de l’Algérie, et de peur d’être jugés « .

 » Le président Chadli Bendjedid a rencontré Abdelkader Hachani et lui a promis la poursuite du processus électoral. A la suite de cette rencontre, une conclave entre les généraux a eu lieu au commandement des forces terrestres à Aïn Naâdja. C’est là qu’a été décidé l’arrêt du processus électoral « .

 » Le 1er janvier 1992, le général Smaïn (qui était colonel à l’époque) m’a chargé de contacter le général Mohamed Lamari. Contact pris, ce dernier m’ordonne de choisir 7 ou 8 de mes proches collaborateurs en qui j’ai totale confiance et de les ramener le 4 janvier pour « une opération secrète », me dit-il « .

 » Le lundi 4 janvier, je suis arrivé avec les dossiers de tous les membres du FIS. La séance de travail était présidée par le général Aït Mesbah Sadek. Nous avions décidé d’arrêter les éléments dangereux du FIS (membres du Majlis Echoura, présidents d’APC, députés élus et les candidats au 2e tour). En tout 1100 personnes devaient être arrêtés à Alger. L’opération n’a pas eu lieu comme prévu. Un ordre d’annulation a été donné, tard dans la soirée, par le général Smaïn. Plus tard, le nombre des personnes à arrêter a été revu à la hausse. Il est passé à 12 500 entre militants et sympathisants du FIS sur le territoire national. Ils ont raflé à l’aveuglette pour radicaliser le mouvement et pousser à la haine de l’Etat « .

 » Les camps du sud étaient programmés pour permettre aux gens de différentes régions de se connaître entre eux « .

 » Entre temps, les généraux cherchaient une solution politique à la destitution de Chadli. Benhabylès, président du Conseil Constitutionnel, n’a pas voulu entrer dans la combine. Ils ont pensé à Ben Bella, mais ils ne l’ont pas contacté de peur qu’il ne se retourne contre eux. Aït Ahmed a été contacté, mais n’a pas accepté. En démocrate, il n’aurait jamais toléré d’être une marionnette entre les mains des militaires. Ils ont également pensé à Ahmed Taleb Ibrahimi, mais Sid-Ahmed Ghozali a refusé en le qualifiant d' »imam en cravate ». C’est de Ali Haroun qu’est venue l’idée de contacter Mohamed Boudiaf « .

 » Le 10 janvier 1992, le général Khaled Nezzar a proféré des menaces contre Chadli, lorsque celui-ci voulait revenir sur son engagement précédent de démissionner « .

 » Au mois de mai 1992, au cours d’une réunion à Chateauneuf (poste de commandement de la police et caserne des forces spéciales d’Alger, dans laquelle des disparus sont morts sous la torture) à laquelle j’avais assisté en compagnie du capitaine Ahmed, les officiers de police Ouaddah et Tahar Kraâ, le général Smaïn avait déclaré devant d’autres témoins : « je suis prêt à sacrifier 3 millions d’algériens pour rétablir l’ordre « .

L’assassinat de Mohamed Boudiaf

 » Les premiers litiges entre Boudiaf et les généraux étaient relatifs au Sahara Occidental, à l’affaire du général Belloucif, et au changement du chef du gouvernement. Boudiaf voulait limoger Sid-Ahmed Ghozali pour le remplacer par Amine Abderrahmane ou Saïd Sadi. Il voulait également déterrer l’affaire Belloucif, mais les généraux n’en voulaient pas de peur que le dossier ne remonte jusqu’à eux « .

 » Informé d’une pseudo tentative d’insurrection, le 5 mars 1992, qu’aurait dirigé le capitaine Ahmed Chouchène, commandant des forces spéciales à l’académie de Cherchell, Boudiaf s’est étonné de voir que dans la liste qu’on lui présente le grade le plus élevé d’une telle opération est celui de capitaine. Il a donc ordonné le relèvement de ses fonctions et la mise aux arrêts du général Mohamed Lamari, et la nomination du général Khelifa Rahim à sa place. D’ailleurs, je défie quiconque de me montrer un document signé par Mohamed Lamari entre le 29 mars 1992 jusqu’à la mort de Boudiaf « .

 » La grenade offensive dont se servit Boumaârafi lors de l’assassinat de Boudiaf était dans mon bureau. Elle y a été déposée après l’opération de Télemly dans laquelle sont morts le sous-lieutenant Tarek et le commandant Guettouchi Amar. Je ne l’ai plus revue depuis « .

 » Boumaârafi est l’assassin de Boudiaf. Il a été ajouté à la liste des éléments du GIS partant pour Annaba par le général Smaïn Lamari après une entrevue des deux hommes dans le bureau de ce dernier. Smaïn a chargé le commandant Hamou de signer l’ordre de mission individuel de Boumaârafi « .

 » Après l’assassinat de Boudiaf, Boumaârafi devait être abattu à son tour par deux de ses collègues. Doué d’une grande intelligence, il a sauté un mur de deux mètres et s’est livré à la police « .

 » Le 29 juin 1992, juste après l’assassinat de Boudiaf, nous (responsables des services de sécurité de l’armée) eûmes une réunion avec Khaled Nezzar qui nous a déclaré d’emblée, sans qu’aucune enquête ne soit menée, que « le commandant Hamou est innocent ». Il a ensuite réclamé le soutien des services de sécurité pour continuer sa mission « .

 » Même condamné à mort, Boumaârafi ne sera pas exécuté « .

 » Le 1er instigateur de l’assassinat de Boudiaf est le général Smaïn Lamari « .

La naissance du GIA

 » J’ai assisté à la naissance du GIA. Il a été créé pendant l’été 1991 par le commandant Guettouchi Amar, mort au cours d’une opération anti-terroriste à Télemly. Il était secondé par le capitaine Djaâfar chargé d’éditer les communiqués et de les transmettre aux journalistes « .

 » Chebouti, fondateur du MIA, circulait dans une voiture des services, une R9 couleur crème « .

Pourquoi la création du GIA ?  » Afin de justifier les assassinats qu’ils commettaient pour se débarrasser notamment de certains officiers, comme le colonel Salah, le commandant Boumerdès Farouk dit Rabah, le commandant Djaber, le commandant Hicham (assassiné à Blida)… Les assassinats de plusieurs officiers restent inexpliqués « .

 » Le GIA a été créé pour servir des desseins, mais ses créateurs ont vite été débordés par d’autres groupes islamiques armés. C’est pour cela que nous utilisions l’appellation « des GIA » « .

Intervention téléphonique pendant l’émission du capitaine Ahmed Chouchène, accusé de tentative d’insurrection en mars 1992

 » J’ai été kidnappé le 3 mars de la caserne. Mais, lorsque cela a été découvert, ils ont dû me présenter devant le tribunal militaire de Béchar et me condamner à 3 années de prison « .

 » En novembre 1994, une tentative d’insurrection a été provoquée dans la prison de Berrouaghia. Un groupe d’intervention rapide (GIR) numéro 80 de la gendarmerie nationale a tiré et blessé 1200 prisonniers. Par la suite, un autre groupe de la gendarmerie, je répète, un autre groupe cagoulé, est entré pour décapiter 51 parmi les 1200 prisonniers et les brûler. Les corps ont été enterrés dans une fosse commune dans un champ d’exécution de la prison de Berrouaghia. Si des gens ont le courage d’aller vérifier, les corps y sont toujours « .

Le colonel Semraoui ajoute :  » A sa sortie de prison en 1995, le général Kamel Abderrahmane, patron de la DCSA (Direction Centrale de la Sécurité des Armées), avait demandé à Chouchène d’être l’adjoint de Djamel Zitouni l’émir du GIA « .

Missions spéciales

 » En 1995, le général Smaïn est venu à Cologne en compagnie du général Hacène Beldjelti dit Abderrezak (cet unique général issu du sud algérien était chargé de la sécurité à la présidence de la République sous la présidence de Liamine Zeroual – ndlr) et plusieurs autres officiers dont les commandants Merabet Omar et Benguedda Ali, et le colonel Benabdellah (un homme d’action). Ils voulaient assassiner des responsables du FIS comme Abdelbaki Sahraoui et Rabah Kébir. Je me suis opposé à ces opérations « .

 » Le colonel Benabdellah Mohamed m’a avoué avoir commis des massacres dans la région de Blida « .

 

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