« Qui tue qui ? », Al Djazira s’en mêle

« Qui tue qui ? », Al Djazira s’en mêle

M. Issami, Le Matin, 4 août 2001

Al Djazira, la chaîne de télévision satellitaire basée au Qatar, a fait le pas ce mercredi. Elle a invité un ancien colonel de l’ANP exilé dans « une capitale européenne ». Il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère, tout en prouvant que le ridicule ne tue pas. Pour lui, ce sont les « généraux algériens de la France » qui ont créé non seulement le GIA, mais aussi le MIA, en plaçant Chebouti à sa tête après l’avoir libéré de prison et amnistié d’une condamnation et en lui donnant même une R9 pour circuler.
Comme chez Souaïdia, les propos de cet ex-colonel dénommé Mohamed Samraoui dit Habib, et qui a fait, selon ses déclarations, carrière dans la sécurité militaire de 1978 à 1996, ne manquent pas de contradictions. Les vérités assénées à l’emporte-pièce et le flot de noms et de grades militaires balancés à tout-va sont pour lui des preuves qu’il existait un « plan » dès juin 1991 pour liquider le FIS. Cela ne l’empêche pas d’avouer que ce n’est qu’après les résultats du premier tour des législatives qu’il a été chargé lui et un commandant du nom de Amar Guetouche de choisir une équipe de sept ou huit officiers pour recenser les militants et les dirigeants du parti dissous à arrêter. Selon lui, c’est ce commandant qui a été à l’origine de la création du GIA durant l’été précédent sur ordre de la hiérarchie.
Bien qu’il se défende d’appartenir à un parti politique et même au MAOL, les thèses de cet ex-officier ne diffèrent en rien de celles qui ont défrayé la chronique en Europe avec les autres transfuges qui l’ont précédé. Il en veut à mort à sa hiérarchie d’avoir « présenté le FIS comme un monstre » au point où lui-même était partie prenante pour l’arrêt du processus électoral. (Il parle de processus démocratique.) Mais, depuis, il a pris conscience qu’il a été berné et jure d’« empêcher » les généraux algériens de « sortir d’Algérie » (allusion au TPI) de la même manière que lui est « empêché de rentrer en Algérie ».
Devant aborder le « coup d’Etat » de janvier 1991, l’assassinat de Boudiaf et les massacres terroristes des civils, le plus clair de l’émission s’est arrêté sur le premier point. Pour Boudiaf, c’est la thèse du MAOL qui est reproduite avec une précision cependant : la grenade utilisée par Boumarafi a été volée du bureau de l’invité d’Al Djazira. Pourtant, c’est lui qui dit qu’avant chaque sortie en opération, la dotation en armes et munitions des soldats se fait en contrepartie d’une signature et un compte est demandé à la fin de l’opération. L’on se demande dans ce cas ce que faisait cette grenade dans ce bureau.
L’ex-colonel Samraoui a dit « ses » vérités. Il prépare un livre sur le sujet et Al Djazira promet de l’inviter dans une autre émission exclusivement réservée aux massacres de civils. Encore une fois, de-ci de-là, des trésors d’arguments vont être déployés pour donner raison ou tort à de pareils propos. Et si la grande muette décide, enfin, de remettre les pendules à l’heure et de dire qu’elle a été concrètement et réellement la nature du FIS

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C’est le retour du « Qui tue qui ? »

Djamel B., Le main, 4 août 2001

Dans une émission de la chaîne arabophone Al Djazira, deux militaires algériens en exil ont accusé les services de sécurité d’avoir créé le GIA.

En moins de vingt-quatre heures, deux militaires algériens sont montés au créneau. Abdelkader Tigha, un cadre de la Sécurité militaire algérienne, à partir de Bangkok (Thaïlande) où il s’est réfugié et le colonel Mohamed Samraoui dit Habib sur la chaîne arabophone Al Djazira pointent un doigt accusateur vers les services de sécurité. Ces derniers seraient, selon ces deux témoins, derrière les massacres collectifs attribués au Groupe islamiste armé (GIA). Ce dernier ne serait qu’« une création des services », dixit le colonel Samraoui qui affirme pour mieux convaincre qu’il a travaillé sous les ordres du numéro « deux » actuel des services algériens, le général Smaïn Lamari. Sur la scène algérienne, alors que les groupes islamistes armés tuent et massacrent quotidiennement (100 morts en juillet selon le décompte de la presse algérienne), les responsables du Front islamique du salut (FIS dissous) sortent la tête de l’eau. Ils tentent, avec le soutien de Bouteflika, d’imposer pour septembre prochain une conférence de réconciliation nationale où ils joueraient les premiers rôles.
A l’instar de Souaïdia, auteur de La Sale guerre, et Yous Nasroullah, auteur de Qui a tué à Bentalha ?, Hichem Aboud et les deux nouveaux témoins affirment qu’ils sont sur le point, eux aussi, de publier leurs récits. Comme les premiers et les islamistes, ils attribuent ce qui s’est passé en Algérie depuis le 12 janvier 1992, date de l’arrêt du processus électoral qu’ils qualifient de « processus démocratique », aux principaux responsables de l’Armée algérienne.
Abdelkader Tigha, l’autre militaire qui se présente comme un cadre des services, n’y va pas avec le dos de la cuillère. Coincé depuis cinq mois dans un centre de détention à Bangkok, celui qui se présente comme un déserteur de l’Armée algérienne, jure qu’il n’a ni torturé ni tué, mais qu’il a des preuves sur l’implication des services de la Sécurité militaire dans l’exécution sommaire et la torture de civils. Pour convaincre le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) de lui porter assistance, il tente de donner des preuves de ce qu’il avance : « J’ai personnellement connu des gens qui ont été exécutés parce qu’ils étaient soupçonnés d’être des sympathisants du GIA. » Tigha a quitté le pays quand, dit-il, suite à une enquête menée en 1997 sur deux professeurs affiliés au GIA, il a découvert qu’ils ont été « torturés et exécutés par les services de la police judiciaire en 1994 ». Une enquête n’aurait pas été appréciée par ses supérieurs. Ils lui auraient retiré son arme et l’auraient muté à Alger où, dit-il, son assassinat était programmé. On cultive le suspense comme on peut. Comme on remet doucement en selle un doute qui a disparu, la question du « Qui tue qui ? » ressurgit dans le pays où des terroristes aux mains tachées de sang ont été amnistiés après leur avoir concédé que le 12 janvier 1992 était un « coup d’Etat » et non un geste pour sauver l’Algérie.

 

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