Nouvelles attaques contre des généraux
Après Yous et Souaïdia, un ex-officier de la DRS sort de son « anonymat »
Nouvelles attaques contre des généraux
LANP est à nouveau dans le collimateur.
Kamal Zekri, Liberte, 4 août 2001
Après les accusations, dont elle fut objet à travers La sale guerre de Habib Souadia et Qui a tué à Bentalha ? de Yous Nasrallah, lANP encore ciblée. Cette fois-ci, cest un soi-disant ex-colonel de la DRS, un certain Mohamed Sahraoui, dit Lahabib, originaire de Annaba, qui apporte de leau au moulin des pourfendeurs de la Grande muette à travers des « révélations » sidérantes. Jeudi, sur le plateau de lémission Bila Houdoud, diffusée sur la chaîne qatarie El-Djazira, chaîne connue pour ses positions sur les événements que vit lAlgérie, il accepte de parler à visage découvert pour livrer ses vérités sur les tenants et aboutissants de la crise algérienne. Extrêmement tendu, mais déterminé dans sa démarche, Mohamed Sahraoui, qui dit avoir quitté les services depuis 96, explique demblée à Ahmed Mansour, lanimateur de lémission, que son témoignage ne vise pas « larmée algérienne en tant quinstitution qui compte dans ses rangs des hommes honnêtes et patriotes », mais la poignée de généraux qui font partie de « la promotion Lacoste ».
Il cite dans le désordre Khaled Nezzar, Larbi Belkheïr, Mohamed Lamari, Smaïn Lamari et Mohamed Mediène, dit Toufik. « Les malheurs de lAlgérie sont le fait de ces hommes qui tiennent les leviers depuis linterruption du processus électoral en 91 ». Il explique que les présidents qui se sont succédé à la tête de létat nétaient, en fait, que des « fusibles », des « pantins » qui sautaient invariablement en phase de surtension politique. Méthodique, Mohamed Sahraoui, qui dit être lami du colonel Malek, le frère de Chadli Bendjedid, procède, dans son témoignage, par ordre chronologique.
« Les événements dOctobre 88, dit-il, ne sont pas spontanés ». Dans son livre à paraître prochainement, il promet de décliner des vérités sur cet épisode trouble de lhistoire du pays. Il en arrive ensuite à la fameuse date de linterruption du processus électoral. « Ce que je vais vous dire là est très dangereux ». Cette phrase revient tel un leitmotiv dans ses propos. Il nous apprend quavant les élections législatives de 91, les Services avaient mis en garde lex-président Chadli contre le risque dorganiser cette consultation au motif que le FIS allait rafler la mise. Passant outre cette recommandation, dit-il, lex-président décide dorganiser les élections en se fiant à un autre sondage donnant 30% de voix au FLN, 30% au FIS et 30% aux démocrates.
Auparavant, il indiquera le rôle éminent joué par les Services dans la création de certains partis politiques en mettant à leur disposition des moyens logistiques. Arrive la destitution de Chadli. Le colonel Lahbib parle dun conclave secret des officiers détat-major. « Nezzar a menacé Chadli Bendjedid de le faire partir ». Il souligne que le sort de lancien président était scellé dès lors quil avait accepté de cohabiter avec le FIS, après son entrevue avec Abdelkader Hachani.
Selon cet ex-colonel, un plan destiné à arrêter 1 001 cadres du FIS devait être exécuté. « La machine sest mise en branle mais un contre-ordre a été donné à une heure du matin. Après le limogeage de Chadli, les auteurs du « coup dÉtat » ne pouvaient assumer directement le pouvoir politique. Ils avaient besoin dune personnalité civile qui a du charisme ». Nous apprenons que la carte Boudiaf na été sortie quen dernier moment. « Ils ont dabord pensé à Benbella, mais ils ont eu peur quil se retourne contre eux. Ils ont appelé Aït Ahmed qui est un démocrate, il a refusé loffre. Ensuite, ils ont pensé à Taleb Ibrahimi, mais Sid-Ahmed Ghozali sy était opposé en leur expliquant que lhomme était « un imam en cravate » ». Ce nest quaprès ce tour dhorizon que loption Boudiaf a été retenue. « Cest son fils Nasser, qui travaillait au ministère des Droits de lhomme, qui avait établi le premier contact. Ali Haroun, ministre chargé du département des DH, sétait, ensuite, rendu à Kenitra pour convaincre Boudiaf de rentrer en Algérie ». Détail important, Boudiaf aurait rencontré dabord le roi Hassan II, affirme encore le colonel Lahbib. Au sujet de la composante du HCE, « une fiction politique », dit-il, qui obéit à un savant dosage. « Ali Haroun, pour la façade démocratique, Tidjani Haddam, président de la mosquée de Paris, pour la façade islamiste, Ali Kafi, président de lONM, pour les moudjahidine et Nezzar comme représentant de larmée ». Après deux mois, apparaissent les premiers couacs entre les responsables de la hiérarchie militaire et Boudiaf qui sapprêtait à désigner un nouveau Premier ministre. « Il avait le choix entre Amine Ben Abderahmane et Saïd Sadi », témoigne encore le colonel Habib qui affirme que les initiatives du président du HCE commençaient à irriter sérieusement les généraux. Comme, par exemple, la création du RPN.
Le sort de Si Tayeb El Watani a été scellé le jour où il avait décidé de se délester de laffaire du Sahara Occidental. Mais, ajoute le colonel Lahbib, « la décision de lexécuter est prise le jour où il a limogé Mohamed Lamari ». Cest là un détail jusque-là inconnu. Restait à définir le mode dexécution. Boudiaf devait être assassiné à Oran. Il na eu, ce jour-là, vie sauve que grâce à un policier. Arrive alors la visite de Annaba. « Sil nétait pas exécuté à la Maison de la culture, une bombe devait exploser à El-Hadjar, où il allait se rendre et, si ça ratait encore, il devait manger un couscous empoisonné à lhôtel militaire ». Le colonel Sahraoui révèle quun des officiers ayant goûté à ce couscous a été immédiatement transféré à lhôpital. Sur Boumarafi, lauteur du témoignage ne tarit pas de détails, ni déloges aussi.
Il le gratifie dune intelligence supérieure à la normale.
« En tant quélément du GIS, il ne devait pas être dans la garde rapprochée. Cest Smaïl Lamari qui lavait reçu auparavant dans son bureau, qui lavait imposé au commandant Hamou. La grenade quil avait utilisée était volée de mon bureau ». Après avoir tiré sur Boudiaf, Boumarafi devait être exécuté par deux ses camarades.
« Mais comme il est intelligent, il a pris le risque de sauter un mur de 2 mètres de haut pour se rendre à la police de Annaba ». Pour le colonel Habib, la thèse de lacte isolée ne tient pas la route. Boumarafi avait fait lobjet dun conditionnement psychologique pour éliminer Mohamed Boudiaf « devenu menaçant pour les intérêts des généraux ». Juste après lattentat, apprend-on, « Khaled Nezzar provoque une réunion avec les officiers supérieurs pour leur expliquer que le commandant Hamou ny était pour rien ». Concernant la commission denquête Bouchaïb, le colonel Lahbib apporte un autre élément dinformation. Il sagit de lexécution de Youcef Fathallah qui, selon lui, a payé de sa vie pour avoir refusé de mettre sa signature au bas du rapport.
Autre révélation importante : la création du GIA. Elle serait luvre exclusive des Services. « Je fais partie de ceux qui ont créé le GIA avec le commandant Guettouche Kamal et le sergent Djaffar. Ces deux derniers étaient chargés de rédiger les faux communiqués destinés à la presse », dit-il. Surprenant encore, il poursuit : « Chebouti était en contact permanent avec nous. Il roulait à bord dune Renault 9 de couleur crème ». Lex-officier évoque aussi une réunion entre lui et Smaïl Lamari en Allemagne. « On devait exécuter Sahraoui et Rabah Kebir. Cest moi qui my suis opposé », dit-il, sans préciser le pourquoi de son refus. Dailleurs, on voit une photo en gros plan sur laquelle on reconnaît très nettement lauteur du témoignage, Smaïl Lamari et un autre officier avec un visage voilé. « Il est encore en service », affirme-t-il en rappelant aussi une autre réunion avec le général Smaïn Lamari à la caserne de Chateauneuf. « Ce jour-là, il nous a déclaré quil était prêt à tuer 3 millions dAlgériens pour rétablir lordre ». Concernant les massacres collectifs, il est affirmatif : « Beaucoup ont été perpétrés par des militaires qui obéissent aux ordres. Les victimes sont des gens proches du FIS. Pourquoi on ne sest jamais attaqué aux usines des responsables ? Pourquoi on na jamais assassiné un des pentes du régime ? », sinterroge-t-il en soulignant, en outre, que lattentat contre le général Nezzar était « une pure fiction pour faire croire que les généraux sont aussi ciblés par les terroristes ».
À une question sur larrêt des massacres, le colonel Lahbib marque un ton darrêt avant de lâcher : « Ils sarrêteront le jour où les généraux le voudront ». Dailleurs, Ahmed Mansour, lanimateur, promet de ramener encore sur le plateau son invité pour une autre émission exclusivement consacrée aux massacres collectifs. De son côté, le colonel Sahraoui, qui exclut au passage toute relation avec les officiers du MAOL, annonce la publication prochaine dun livre en 4 tomes.
Le premier volume est consacré aux événements dOctobre, le deuxième au multipartisme, le troisième aux massacres collectifs et le dernier à ce quil qualifie de « complot contre lAlgérie ». Si le témoignage livré, mercredi sur le plateau dEl-Djazira, est troublant par les faits et les détails précis qui lui confèrent une apparente vraisemblance, lon ne peut néanmoins sempêcher de poser la question suivante : pourquoi un tel témoignage ? Pourquoi maintenant ?
Il est à espérer que les autorités concernées ne se confinent pas dans le mutisme, comme ce fut le cas au moment de la publication de La sale guerre, car les accusations portées par Mohamed Sahraoui sont autrement plus graves.