Les révélations sur mesure d’un repenti islamiste algérien

Les révélations sur mesure d’un repenti islamiste algérien

Sa «confession» tombe en pleine polémique sur la sale guerre

José Garçon, Libération, 19 février 2001

Les GIA voulaient faire exploser l’Airbus d’Air France avec tous ses passagers au-dessus de la tour Eiffel, le 31 décembre 1994, et ils ont assassiné les sept moines français de Tibehirine, en 1996, pour contraindre la France à cesser de soutenir le régime algérien: ces «révélations» d’un ancien chef «repenti» des GIA, Omar Chikhi, ont été publiées samedi par le quotidien algérien El-Youm.

«Je ne regrette rien.» Présenté comme «l’ex-chef du très redouté maquis de Z’Barbar», à Bouira, cet émir se serait rendu il y a deux ans aux autorités de peur d’être «liquidé» par Antar Zouabri, l’actuel chef des GIA, après qu’il eut manifesté son «désaccord sur les massacres de civils». Au passage, Chikhi affirme avoir tué nombre de journalistes en Algérie. «A chaque fois qu’un journaliste est tombé entre mes mains, je l’ai tué, raconte-t-il. Je ne regrette rien. Au contraire.» Mais le vrai morceau de bravoure de cet entretien réside dans les «révélations» sur les moines de Tibehirine et la prise d’otages de l’Airbus, au cours de laquelle les ravisseurs ont exécuté trois passagers. A en croire Chikhi, les GIA ont dû avancer l’opération de cinq jours par peur que les services de sécurité algériens en aient eu vent après que l’un des membres du groupe était «tombé».

Reste l’assassinat des sept moines trappistes français, enlevés en mars 1996. Le «repenti» ne fait que raconter que le chef des GIA de l’époque, Djamel Zitouni, avait «trahi» les garanties de sécurité données aux moines par un émir de Médéa – «vous pouvez rester dans votre monastère, il ne vous arrivera rien». La décision de les exécuter visait à «provoquer un scandale qui contraindrait Paris à changer sa politique algérienne».

Ces «confessions» soulèvent en fait plus de questions qu’elles apportent de réponses, même si elles mêlent le vrai et le faux, le connu et l’«inédit». Ainsi, les raisons avancées par Omar Chikhi pour expliquer sa reddition sont-elles crédibles. En effet, des luttes intestines ont fait beaucoup de victimes dans les rangs des GIA. Notamment fin 1995, quand Mohammed Saïd et Abderrazak Redjam, deux dirigeants du FIS qui avaient «rallié» les GIA, ont été assassinés avec une quinzaine de leurs proches pour avoir contesté certaines exactions des groupes armés. Mais le faux et l’incompréhensible sont aussi très présents. Comment expliquer ainsi que Chikhi ne soit pas inquiété et revendique tranquillement l’assassinat de journalistes quand la loi sur la concorde civile exclut de l’amnistie tous ceux qui «sont impliqués dans des crimes de sang ou de viol»?

En réalité, ces «révélations», qui surviennent sept ans après l’affaire de l’Airbus, cinq ans après l’assassinat des moines… et deux ans après la reddition de Chikhi, tombent à pic. La récente publication de la Sale Guerre, le témoignage d’un jeune officier algérien, Habib Souaïdia, a provoqué un choc en confirmant que les exactions de l’armée n’ont rien à envier à celles des islamistes dans ce conflit qui a fait plus de 150.000 morts.

Contre-attaque. Sans précédent pour un ouvrage de ce genre, le succès du livre a placé les généraux algériens sur la défensive. Redoutant plus que tout la création d’une commission d’enquête internationale qui aboutirait à leur mise en cause, les militaires tentent d’autant plus de trouver une parade qu’une réunion de la Commission des droits de l’homme de l’ONU se tiendra en avril à Genève. Or les arguments avancés jusqu’ici pour décrédibiliser Souaïdia – «il vise à réhabiliter les islamistes» – sont trop éculés pour porter, surtout venant d’un officier qui ne cesse d’affirmer son hostilité aux «terroristes islamistes».

Dans ce contexte, l’interview de Chikhi ressemble surtout à un «message» à l’intention de Paris, accusé de «complaisance» à l’égard du livre de Habib Souaïdia, et des intellectuels français qui réclament une enquête internationale sur les tueries. Le président Bouteflika n’a d’ailleurs pas pris de gants pour le signifier, la semaine dernière à Hubert Védrine, lors de sa visite officielle à Alger. Dès lors, tout se passe comme si le régime algérien voulait rappeler à la France, soupçonnée de «soutenir ceux qui complotent contre lui», que les GIA n’hésitaient pas hier – et n’hésiteront pas demain? – à la frapper.

Traumatisme. Ironie: les deux affaires qui resurgissent à travers Omar Chikhi sont celles où l’attitude d’Alger a suscité moult interrogations. Organisée par des islamistes, la prise d’otages de l’Airbus avait provoqué un véritable traumatisme parmi les dirigeants français, qui avaient découvert, sidérés, que leurs interlocuteurs algériens «ne leur avaient pas transmis en temps et en heure» les exigences des terroristes, «les avaient déformées» et leur avaient tenu un «double langage» (Libération du 03/01/1995). Edouard Balladur, le Premier ministre de l’époque, avait même affirmé en privé qu’il tenait Alger pour «responsable» de la mort du jeune cuisinier français abattu par les GIA dans l’avion. L’affaire des moines a suscité le même malaise, Paris ne faisant pas mystère de sa certitude que l’Algérie n’avait «pas vraiment tout fait pour sauver» les trappistes….

 

 

algeria-watch en francais