La sale guerre : Gèze perd son procès

LA SALE GUERRE / Gèze perd son procès

   F. Gèze et les Éditions La Découverte font appel dans l’affaire les opposant à Marianne et M. Sifaoui (23.10.01)

Par Nadjia Bouzeghrane, El Watan, 20 octobre 2001

Mohamed Sifaoui, Jean-François Kahn et le magazine Marianne, cités devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris pour diffamation par François Gèze, l’éditeur de La sale guerre, et la société d’édition La Découverte ont été relaxés mercredi, bénéficiant de l’excuse de bonne foi, alors que les parties civiles ont été déboutées de leurs demandes.

François Gèze reprochait à Mohamed Sifaoui d’avoir déclaré dans une réunion publique, dans un communiqué de presse et dans une interview à Marianne, que l’éditeur avait remanié le texte initial du livre pour imputer la responsabilité des massacres en Algérie à l’armée plutôt qu’aux islamistes. En ce qui concerne le directeur de Marianne, Jean-François Kahn, le tribunal a retenu la bonne foi de ce dernier en constatant que la publication de l’interview de Mohamed Sifaoui répondait à «un but légitime d’information du public, sur un sujet d’actualité incontestable» et qu’en outre, les questions posées par le journal étaient «objectives et dénuées de tout parti pris». Mohamed Sifaoui a lui aussi bénéficié de la bonne foi, parce que son intervention dans le journal Marianne a été considérée par le tribunal comme «légitime, compte tenu des faits» et que «son expression n’a pas dépassé les limites de la critique». «De jurisprudence constante, les tribunaux considèrent en effet que les débats de société, les débats politiques sur des sujets d’intérêt général, doivent autoriser une certaine liberté de ton, sans excéder cependant les limites de la critique admissible», nous précise Me Florence Bourg qui, aux côtés de Me Jean-Yves Dupeux, a défendu Mohamed Sifaoui, Jean-François Kahn et le magazine Marianne. Par ailleurs, Me. Florence Bourg nous précise encore que, si «les prévenus ont échoué dans la démonstration de la vérité des faits attaqués, ce qui, au demeurant, est rarement retenu par les tribunaux (le tribunal a retenu que les pièces et témoignages produits ne font pas la preuve du contenu exact des accords passés entre François Gèze, Habib Souaïdia et Mohamed Sifaoui quant aux rôles respectifs des deux «co-auteurs», ou d’une quelconque «manipulation» ou «dénaturation» imputable à faute à M. Gèze et à sa maison d’édition, c’est-à-dire d’une manœuvre délibérément menée sans le concours et le consentement de celui qu’ils considéraient,à tort ou à raison, comme le seul et véritable auteur de l’œuvre, Habib Souaïdia, ndlr, l’analyse des pièces par le tribunal est intéressante. Ainsi le tribunal admet que les éléments produits aux débats permettent de démontrer que Habib Souaïdia, au printemps 2000, a livré à ses interlocuteurs des versions différentes, que de nombreuses modifications ont affecté le manuscrit livré par Mohamed Sifaoui à l’éditeur, et surtout que ces modifications ont eu pour résultat d’atténuer la responsabilité des groupes islamistes pour aggraver celle des militaires.» Jean-François Kahn a produit, en preuve de sa bonne foi, les premiers jets du manuscrit de Mohamed Sifaoui, envoyé à l’éditeur et corrigé par ce dernier, la version finale de son texte, également corrigée par l’éditeur, et le livre publié afin de permettre une étude comparative de ces documents tendant à montrer que les modifications dans le livre ont visé pour l’essentiel à supprimer ou à atténuer les passages mettant en cause les islamistes, en relatant notamment au conditionnel des faits avérés. Ces documents ont également été produits avec d’autres preuves matérielles, dont le contrat passé avec l’éditeur par Mohamed Sifaoui. La comparaison des documents a permis d’établir que des différences nombreuses existent entre ces différents textes, qu’elles affectent majoritairement les propos relatifs aux islamistes. Le tribunal a constaté également que «plusieurs passages concernant le comportement criminel de l’armée ont été ajoutés au manuscrit d’origine». Jean-François Kahn a par ailleurs produit aux débats une cassette audio produisant un extrait d’une conversation de Mohamed Sifaoui avec Habib Souadia, d’avril 2000, tendant à montrer que la version d’origine de celui-ci n’était pas celle publiée par les éditions La Découverte. Le directeur du magazine Marianne a également communiqué une cassette vidéo présentant une émission de télévision du 23 février 2001 au cours de laquelle le journaliste Farid Aïchoune (Nouvel Observateur) explique avoir entendu en mai 2000 Habib Souadia répondre négativement à la question : «Est-ce qu’à votre connaissance, l’armée a commis des massacres à grande échelle?» Si Souaïdia reconnaissait que l’armée avait commis certaines exactions, il refusait de lui imputer de véritables massacres. Farid Aïchoune constate qu’entre mai 2000 et la parution du livre, la position de Souadia a radicalement changé. Les autres moyens de preuve sont communs pour Jean-François Kahn et Mohamed Sifaoui (témoignages de Christian Hoche et de Omar Belhouchet, témoignage de Farid Aïchoune qui n’a pas comparu).

 

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