Procès de La sale guerre
El Watan, 8 septembre 2001
Le procès opposant M. François Gèze, directeur de la maison dédition La Découverte, à lhebdomadaire Marianne et Mohamed Sifaoui «coauteur» du livre La sale guerre avec Habib Souaïdia, sest déroulé mercredi dernier au tribunal de grande instance de Paris.
M. Gèze, plaignant dans cette affaire, accuse Sifaoui davoir tenu à son encontre des propos diffamatoires et de lavoir traité de manipulateur dans une interview accordée au magazine Marianne. Premier à être appelé à la barre, Mohamed Sifaoui a remonté de bout en bout le fil de laffaire. Il a accusé, entre autres, François Gèze «davoir supprimé du livre des passagers relatifs à la responsabilité des islamistes dans de nombreux attentats». «Ces suppressions, a-t-il expliqué à la cour, avaient pour seul but de dédouaner les terroristes de leurs crimes et dincriminer davantage les militaires.» Et dajouter qu«au début, tout était clair, nous devions écrire un livre dans lequel les responsabilités des uns et des autres (militaires et islamistes) devaient être équilibrées». Persistant à dire que cest lui-même qui avait écrit le livre du début jusquà la fin, M. Sifaoui ne comprend pas pourquoi le directeur de La Découverte avait résilié, par la suite et unilatéralement, son contrat de coauteur de louvrage pour le rétrograder à la fonction dun simple collaborateur. «Cest moi qui avais écrit ce livre de bout en bout. Je nai jamais été nègre de Souaïdia comme veut le faire croire aujourdhui le directeur de La Découverte», se défend-il. Sifaoui a qualifié Souaïdia de «mythomane et de menteur qui a voulu simplement se venger de ses supérieurs militaires à la suite des quatre années passées en prison». «Souaïdia na aucune disposition intellectuelle pour écrire un livre», affirme-t-il. Pour sa part, le directeur de La Découverte a défendu Souaïdia et réfuté en bloc toutes les accusations portées contre eux. Il a estimé quil na jamais été question dune écriture commune entre Sifaoui et Souaïdia, mais dune simple collaboration visant à mettre en forme le récit du militaire. M. Gèze a également accusé le journaliste davoir rajouté de son propre chef certains passages que Souaïdia navait jamais raconté, comme ceux qui, notamment, ont trait à la description de lAcadémie militaire de Cherchell et la mutinerie qui a eu lieu à la prison de Serkadji. Au fil de son audition, M. Gèze a reproché à Sifaoui davoir volé la moitié de là-valoir (environ 35 000 FF) quil a versé à Souaïdia et davoir déclenché une campagne de presse virulente contre le livre et les éditions La Découverte. Poursuivi pour avoir ouvert les colonnes de son magazine à Habib Souaïdia, M. Jean-François Kahn, directeur de Marianne ne voulant porter aucune critique sur le livre de Souaïdia a néanmoins affirmé quil était à la fois hostile au pouvoir occulte des généraux, mais aussi à la dictature des islamistes néo-nazis qui tuent. De même quil a noté que M. Gèze a plusieurs fois refusé de venir participer aux débats portant sur les livres Qui a tué à Bentalha ? de Nasroullah Yous et La sale guerre de Souaïdia. Le journaliste Christian Hoche, qui avait reçu Habib Souaïdia en janvier 2000 à la rédaction de Marianne, témoigne : «Les questions que nous posions à Souaïdia étaient précises, pas les réponses. Nous avions le sentiment que tout ce quil disait nétait pas convaincant. Il nous avait beaucoup parlé de témoignages indirects. Son témoignage était trop vague pour que nous lui donnions de la crédibilité Nous étions réservés sur le fait quun officier algérien qui connaissait beaucoup de choses ait pu quitter aussi facilement lAlgérie.» Parmi les autres témoins de la défense, Omar Belhouchet, directeur dEl Watan, Zazi Sadou, porte-parole de lassociation féminine RAFD et Simon Blumenthal, animateur dune association de solidarité avec les démocrates algériens. Omar Belhouchet relève des contrefaits dans le livre de Souaïdia. Il signale quEl Watan a enquêté sur des faits rapportés dans le livre, comme le massacre de Zaâtria, par exemple, en interrogeant la population, en consultant toute la presse algérienne de lépoque (Souaïdia affirme dans le livre que la presse algérienne avait fait écho du massacre de Zaâtria). «Il ny avait pas de massacre à Zaâtria», soutient Belhouchet. «Si vous avez enquêté, cest parce que vous aviez un doute ?», demande le président Yves Monfort à Omar Belhouchet. «Non, nous avions considéré que ce quaffirmait Souaïdia dans le livre était important. Si le massacre avait existé, nous laurions écrit. Depuis la création de notre journal, nous nous interrogeons sur le rôle de larmée. La crise actuelle est la conséquence de la gestion du pays par larmée.» «Et en ce qui concerne les massacres ?», demande le président du tribunal. «Nous cherchons à observer notre réalité, à essayer doffrir des grilles de lecture aux lecteurs. Ce nest pas parce que larmée est responsable du gâchis en Algérie quil nexiste pas dextrémistes. En Algérie, il y a un mouvement islamiste politique de différentes tendances, il y a un mouvement islamiste armé puissant. Larmée viole les droits de lhomme.» «Et qui massacre ?», reprend le président Monfort. «Jai été torturé avec dautres de mes collègues pour avoir donné une information sur lattaque dune caserne de gendarmerie. Je pense que ce sont les islamistes qui massacrent. Ils le revendiquent.» «48 heures après le massacre de Bentalha, je me suis rendue sur les lieux, je nai entendu personne avoir de doutes sur les auteurs du massacre. Quand le livre Qui a tué à Bentalha ? est sorti, je suis retournée à Bentalha, ses habitants ont maintenu les mêmes témoignages. Par contre, ils se sont toujours demandé pourquoi larmée nest pas intervenue. Ils connaissent les terroristes, deux membres de ce groupe terroriste sont revenus à Bentalha en tant que repentis, ils savent ce quil est advenu des jeunes filles, au moins une quinzaine, kidnappées lors du massacre», affirme Zazi Sadou. Le procès reprendra mercredi prochain avec le réquisitoire et les plaidoiries.
Par Nadjia Bouzeghrane et Tahar Hani