L’ombre d’Alger derrière les attentats de 1995

L’ombre d’Alger derrière les attentats de 1995

Le procès qui a pris fin mercredi laisse des questions sans réponses.

Par Jose Garçon, Libération, 01 novembre 2002

Plus de cinq semaines de procès, trois heures trente de délibéré et deux peines de réclusion perpétuelle, pour Boualem Bensaïd et Smaïn Aït Ali Belkacem : en dépit de ce verdict, le procès qui s’est achevé mercredi n’a pas fait toute la lumière sur les attentats qui firent huit morts et deux cents blessés à l’été 1995 dans la capitale française.
A lui seul, ce verdict de la cour d’assises spéciale de Paris semble d’ailleurs sanctionner l’incapacité des juges à répondre à toutes les questions soulevées par cette vague de terreur. En effet, Bensaïd et Belkacem n’ont été condamnés que pour deux des trois attentats : ceux du métro Maison-Blanche et du RER Musée-d’Orsay, dans lesquels les charges accumulées contre eux sont très lourdes. Les empreintes digitales de Bensaïd, retrouvées sur la bombe de Maison-Blanche, ou l’analyse du coupon de carte Orange de Belkacem ont en quelque sorte « signé » leur culpabilité. Mais, alors que Bensaïd était accusé d’être l’auteur principal de la bombe du RER Saint-Michel, il a n’en a été déclaré que « complice ».
« Commanditaires ». Le premier et le plus meurtrier des attentats de 1995 attribués aux islamistes des GIA est, il est vrai, entouré d’énormes zones d’ombre. Et l’avocat de Bensaïd a eu beau jeu de marteler : « Ce n’est pas Bensaïd qui a déposé la bombe et il ne se trouvait pas à Paris le 25 juillet. » A l’époque déjà, nombre de dirigeants et de policiers français s’interrogeaient, non pas sur les exécutants, mais sur les « vrais commanditaires ». « On ne peut exclure que les services de renseignement algériens aient été impliqués dans cette première opération. Après, les islamistes ont pris naturellement le relais », affirmait notamment un haut responsable français.
Les soupçons étaient alors si forts que Jean-Louis Debré les exprima au cours d’un déjeuner avec des journalistes le 15 septembre 1995. « La Sécurité militaire algérienne, affirmait ainsi le ministre de l’intérieur de Jacques Chirac, a tenté d’orienter les policiers français sur des fausses pistes pour qu’on élimine des gens qui les gênent. » Cette déclaration, immédiatement démentie par son auteur, avait néanmoins tout l’air d’un avertissement destiné à signifier à Alger les « doutes » de Paris quant aux commanditaires de Saint-Michel. Bien plus tard, Jean-Louis Debré confirmait d’ailleurs au journaliste Hubert Coudurier, auteur d’un livre sur Chirac, qu’il avait lancé cette phrase « sciemment pour envoyer un message aux Algériens ».
A l’époque, les relations entre la France et l’Algérie étaient au plus bas. Sept mois auparavant, en décembre 1994, l’épilogue du détournement de l’Airbus d’Air France par un commando des GIA avait amené les deux pays au bord de la rupture diplomatique. Au point qu’Edouard Balladur, alors Premier ministre, avait affirmé en privé « tenir Alger pour responsable de la mort du jeune cuisinier français » exécuté par les terroristes.
Préférences. L’accueil favorable réservé par le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, à « l’offre de paix » faite à Rome par l’opposition algérienne en janvier 1995 avait encore aggravé le contentieux. D’autant que les généraux n’avaient pas pardonné à ce dernier d’avoir affirmé, en 1993 au plus fort de la « sale guerre », que « le statu quo n’était plus tenable » en Algérie. « Dès lors, estime un connaisseur du dossier, le pouvoir algérien ne rêvait que de voir Juppé détrôné par Charles Pasqua, avec qui il entretenait les meilleures relations. Les bombes à Paris visaient aussi à déstabiliser Juppé devenu Premier ministre, et à assurer un soutien sans faille de Paris à Alger. »
Reconnues par tous les services de renseignement occidentaux, les manipulations et les infiltrations des GIA par les services de sécurité algériens ne sont pas faites pour infirmer cette thèse. Les GIA demeurent en effet l’un des groupes terroristes les plus opaques. La personnalité d’Ali Touchent, dont l’ombre a sans cesse plané sur le procès de Paris, en témoigne. Présenté comme « le vrai responsable des attentats », cet « émir » des GIA est vite devenu un agent des « services » algériens (Libération des 16 février 1998 et 5 octobre 2002). Sa faculté d’échapper à au moins trois rafles de la police en France et en Belgique, alors que tous ceux qui l’ont approché étaient tués ou arrêtés, n’est qu’une partie du mystère qui l’entoure. Comment expliquer ainsi que ce « terroriste islamiste », recherché par toutes les polices après les attentats en France, se réfugie… à Alger où, non seulement il ne se cache pas, mais habite dans une cité de CNS (équivalent des CRS) proche de la caserne de Châteauneuf, une zone parmi les plus sécurisées de la capitale. La « gestion » par Alger de sa mort « au cours d’un accrochage avec les forces de l’ordre » dans un hôtel du centre de la capitale algérienne en mai 1997 a encore donné du crédit à ces accusations. Paris n’a en effet été prévenu de son décès que… neuf mois après, en février 1998. « Recherches incessantes », avançait laconiquement le communiqué algérien pour expliquer un tel délai.
La justice française aura-t-elle l’occasion de rouvrir le dossier de Saint-Michel? Bensaïd et Belkacem disposent de quelques jours pour faire appel. Et Paris attend toujours l’extradition par le Royaume-Uni de Rachid Ramda, présenté comme le « financier » des attentats et détenu à Londres depuis fin 1995.