«Par définition, toute guerre est sale»

Ahmed Merah au «Quotidien d’Oran»

«Par définition, toute guerre est sale»

Par Mohamed Mehdi, Le Quotidien d’Oran, 22 août 2001

Ancien lieutenant de Mustapha Bouiali, Ahmed Merah vient d’éditer son 4ème
ouvrage après les deux tomes sur «l’Affaire Bouiali» et la «Troïka des
généraux». Il est un des rares acteurs de la première rébellion islamiste
armée des années 80 (même si lui-même ne se définit pas comme islamiste) et
de la lutte antiterroriste, à livrer ses témoignages.

Ses écrits n’ont jamais été contredits, ni officiellement contestés. Gracié
par Chadli Bendjedid en 1989, Merah est victime d’un attentat et s’implique
dans la lutte antiterroriste et dans «la mise en place des premiers groupes
de patriotes dans les quartiers chauds de la capitale». Dans son dernier
livre intitulé «le terrorisme judiciaire d’une mafia au pouvoir», Merah
décrit ce qui ressemble fort à une «machination» et les «représailles»
judiciaires contre lui et sa famille dans l’affaire ENCG» qui a duré
plusieurs mois au bout desquels, lui sa femme et ses enfants ont bénéficié d
’un non-lieu.

Il était accusé: «d’atteinte à l’économie nationale, d’usurpation de grade,
de trafic d’influence, d’intervention sans qualités dans les fonctions
militaires, de faux et usage de faux, de spéculation, de ventes sans
factures, de fraude fiscale, de coups et blessures volontaires et de menaces
de mort. «Pour quelqu’un qui a collaboré à la lutte antiterroriste, sa fiche
de police contient la mention «terroriste». Sur 140 pages il en consacre en
quarantaine aux conditions exécrables de détention dans la prison de
Serkadji. Ce témoignage est truffé de noms de magistrats, de responsables du
pénitencier, d’officiers de la gendarmerie et de l’ANP.

Dans cet entretien, Merah évoque ses relations avec l’ANP, son rôle dans le
cadre de la lutte antiterroriste, les révélations du colonel Samraoui, les
évènements de la Kabylie, et le rapport Issâad.

Le Quotidien d’Oran: Dans votre dernier livre, vous évoquez très souvent «la
légitimité du recours à la violence contre le pouvoir», alors que vous dites
avoir contribué à la lutte antiterroriste?

Ahmed Merah: Je ne me suis jamais opposé au recours à la violence contre un
pouvoir pourri au contraire, puisqu’il n’existe pas d’autre langage
approprié. J’ai contribué à la lutte antiterroriste parce que
paradoxalement, ce terrorisme «résiduel» n’a visé que le petit peuple, pour
justement conforter ce pouvoir dans sa mainmise sur les institutions et les
richesses du pays.

Q.O: Quelle est votre lecture des événements de la Kabylie?

A.M.: Au lendemain du regrettable assassinat du jeune Guermah Massinissa, le
clan spécialiste dans l’application des stratégies du pouvoir a saisi cette
opportunité pour provoquer des événements pour déstabiliser le Chef de l’
Etat dans une région prédisposée à le cibler, pour avoir refusé de
reconnaître la langue amazigh, et pour maintenir le statut quo et prolonger
l’état d’urgence et par la même occasion, récupérer le commandement de la
Gendarmerie Nationale, seule force militaire présente sur le terrain, une
fois l’état d’urgence levé.

Pour preuve, comme le souligne le rapport de la commission Issaâd, personne
ne s’est empressé de mettre un terme à l’incurie, laissant la gendarmerie
embourbée dans une «Sale guerre» qui n’était pas la sienne, du moment qu’il
y a eu un «chevauchement» des prérogatives et que les revendications des
émeutiers exigeaient des décisions politiques.

Bien entendu, des courants politiques ont légitimement récupéré le
mécontentement populaire, pour lancer une épreuve de force avec le pouvoir.
Je cite notamment les nouveaux reconvertis à l’opposition, en quête de
rachat de la fidélité d’une base désabusée par une participation contre
nature au sein d’une coalition fatale à la Nation.

Q.O: Que pensez-vous du rapport du Professeur Mohand Issaâd?

A.M.: D’abord, il n’a d’égal que le caractère intransigeant et l’honnêteté
exceptionnelle de cet éminent juriste international. Le Chef de l’Etat
lui-même ne s’attendait pas à ce que ce Professeur, étranger à la politique
machiavélique du pouvoir, parvienne à des conclusions si lourdes de
conséquences, en particulier celles qui affirment que: «la Gendarmerie a été
parasitée par des forces externes à son propres corps, avec forcément des
complicités internes, qui donnent des ordres contraires et assez puissants
pour mettre en mouvement la Gendarmerie avec une telle rudesse pendant plus
de deux mois et sur une étendue aussi vaste».

Pour l’Histoire, cette conclusion a mis un terme à l’effusion du sang, en
démasquant les auteurs des manipulations qui désormais, doivent endosser
toutes les conséquences de leur machiavélisme.

En outre, elle met le Chef de l’Etat face à son destin. Soit il fait preuve
de courage pour appuyer cette commission qui constitue pour lui l’occasion
inouïe de démanteler ce clan ennemi, soit il ferait mieux de «retourner chez
lui» dés maintenant, pour nous épargner la perte du temps qui lui reste de
son mandat. Car avec une coalition issue de la fraude électorale, on ne peut
mener le pays que vers le chaos. Même le budget alloué à l’ambitieux
programme de relance économique ne servira qu’à engraisser cette mafia,
devenue maîtresse en magouilles à tous les niveaux des rouages du pouvoir.

J’espère que ce rapport incitera également les décideurs à prendre leurs
dispositions, dans le cadre du prochain mouvement au sein de l’armée cité
par votre journaliste Mâachou Blidi dans votre quotidien du 15 août 2001. Un
tel changement permettra la recomposition d’un champ politique biaisé,
initié pour soi-disant «faire face à la tragédie nationale». Toute sortie de
crise ne peut se faire sans le départ progressif de ceux qui en sont en
partie la cause.

Q.O: Avez-vous des commentaires sur les révélations du colonel Samraoui sur
la chaîne El-Djazira?

A.M.: Je me demande pourquoi on invite quelqu’un pour témoigner sur des
massacres, alors qu’il reconnaît lui-même n’avoir plus mis les pieds en
Algérie depuis août 1992.

D’abord, au moment de sa désertion Mohamed Samraoui avait le grade de
commandant. A moins qu’il ne fût promu au grade de colonel par le MAOL.

Après avoir représenté le Département du Renseignement et la Sécurité à la
Wilaya de Guelma, ses relations avec l’ancien Wali Chérif Méziane lui ont
permis en 1989, d’être muté au centre «ANTAR» et d’être détaché au niveau de
la Wilaya d’Alger, pour occuper la fonction de responsable des
investigations au sein de cette structure.

Au début des événements sanglants et pour ne pas avoir à assumer son devoir
d’épargner la tragédie à ses concitoyens, il réussit à pénétrer le
confortable monde diplomatique jusqu’en 1996, date à laquelle il fut
automatiquement rappelé pour rejoindre son unité d’origine à Alger.

Après avoir vainement insisté pour son maintien en poste, au motif que l’
état de santé de son fils nécessitait des soins à l’étranger, il n’a pas
hésité à déserter et à opter pour l’asile politique. Après avoir perdu tout
espoir d’être gracié, il rejoint le MAOL. Au moment où il affirme qu’il ne
fait pas partie de ce mouvement, il exhibe la même photo du général Lamari
Smain publiée dans le site de cette organisation.

Pour lui le terrorisme n’est qu’une affaire militaro-militaire, puisqu’il
considère que la Sécurité Militaire a elle-même crée le GIA en 1991, pour
permettre aux Généraux de terroriser le peuple, dans le but de se maintenir
au pouvoir. Et ceci en décalant les faits de deux années, pour pouvoir
régler ses comptes avec la Direction actuelle de la DRS.

Q.O: Pourtant dans vos publications, vous rejoignez bien cette thèse.

A.M.: Pas exactement. Dans mes publications je démontre, preuves à l’appui,
qu’effectivement la Sécurité Militaire avait planifié le terrorisme mais en
manipulant des islamistes, dont moi-même et ceci dés 1989, dans le but de
remettre en cause le processus démocratique.

J’en veux pour preuve l’affaire de Guemar en novembre 1991 et la
programmation de la libération de Chebouti, Mansouri Méliani et consorts le
29 juillet 1990, au lendemain de la victoire écrasante du FIS aux élections
communales du 12 juin 1990. Hormis les analyses simplistes de Samraoui, je
citerais sa prétention ahurissante en prétendant avoir fait preuve de
bravoure en «empêchant» le Général Smain, « à la tête d’un commando», de
commettre des attentats contre Rabah Kébir et consorts, alors que ces
derniers avaient quitté l’Algérie avec la bénédiction des mêmes Services
pour accomplir, parallèlement à l’ex-Commandant Samraoui, la même mission de
renseignement à l’étranger.

Q.O: Est-il vrai que Chebouti circulait en 1991 à bord d’une Renault 9 grise
appartenant à la Sécurité militaire?

A.M: Samraoui commet une confusion. Chebouti est un Imam qui n’avait jamais
quitté sa gandoura et sa zone rurale, n’avait jamais conduit de voiture.

Par contre, grâce à sa fonction à la Wilaya, Samraoui avait été informé
suite à un incident qui m’avait opposé à la police dans l’accomplissement d’
une mission en 1991, alors que j’étais détaché auprès du Commandant
Guettouchi Amar, qu’un Bouialiste était doté d’une Renault 9 grise
immatriculée sous le N°06844-188-16, puis d’une autre R9 grise, sous le
N°04691-188-16, avant d’être doté d’une autre R9 grise, immatriculée à Tizi
Ouzou à mon nom, en date du 3 octobre 1990, sous le N°05637-184-15. Je
précise que pour la cession de 3ème véhicule à mon nom, Tizi-Ouzou avait été
retenue du fait de l’absence du FIS dans cette l’APW à majorité RCD, ce qui
évitait tout risque de divulgation.

Q.O: Avez-vous une idée sur les disparitions forcées en Algérie?

A.M.: Par définition toute guerre est sale. Et je suis certain qu’après
plusieurs années de disparition, il ne peut y avoir encore de survivants.
Car sur le plan logistique, leur maintien en détention sous le régime du
secret, est quasiment impossible.

Il s’agissait d’une situation confuse, telle que décrite d’ailleurs par le
Général Major en retraite Khaled Nezzar, lors de son déplacement en France,
muni d’un ordre de mission pour contredire son ex Sous-Lieutenant Habib
Souaidia: «Nous étions dans l’obscurité dans un tunnel, en pleine nuit».
Toutefois, la presque totalité de ces disparitions avaient eu lieu pendant
les années 1993 et 1994, à l’époque du fameux slogan «la peur doit changer
de camp» lancé par Rédha Malek et ceci bien avant ma contribution à la lutte
antiterroriste et la mise en place de groupes de patriotes dans les
quartiers périphériques d’Alger, où devait être «jetée la peur», ce qui
avait rendu ce genre de dépassements impossibles, à cause du risque qu’
encourrait inévitablement tout kidnappeur, grâce à l’omniprésence de mes
éléments armés.

D’ailleurs, ce genre «d’entraves» nous a valu de lâches représailles, ma
famille et moi-même, pour avoir également menacé d’extinction le «terrorisme
résiduel «tout compte fait indispensable pour masquer la mainmise des
voraces au pouvoir.

 

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