La litanie des massacres

La litanie des massacres

Par Chaffik Benhacene, La Tribune, 27 octobre 2002

Moins d’une semaine après Aïn Kechra, de nouveau Boukadir comme si la litanie des massacres ne pouvait ni ne devait connaître de fin en dépit des certitudes officielles affichées et qu’il faille se résigner à un volant incompressible de massacres, de morts, de blessés, de handicapés à vie. Les massacres se suivent de manière bien plus régulière que n’eût dû le laisser attendre la politique de concorde civile, dessinent une géographie macabre avec ses sinistres hauts lieux notamment du côté de Médéa, Tiaret, Chlef, Jijel, Skikda et imposent au quotidien l’insidieuse présence d’un terrorisme, ni résiduel, comme l’avait soutenu le discours officiel il y a de cela quelques années, ni non plus suffisamment assis pour constituer une réelle menace pour les institutions de l’Etat et la stabilité de la société mais enfin actif et tragiquement indiscutable. Sans qu’on puisse en tirer forcément un argument facilement polémique, la somme de tous les massacres est statistiquement là qui rappelle d’abord la responsabilité constitutionnelle des pouvoirs publics dans la garantie de la sécurité des biens et des personnes et chaque faux barrage, chaque attentat, chaque mort, chaque blessé de plus ne peut être mis sur le compte de la fatalité ni sur un compte pertes et profits de la réconciliation annoncée. On n’en est plus, hélas, à la menace surtout imagée d’un seif el hadjaj mais à l’observation que, sur le terrain, le terrorisme islamiste développe de réelles et insoupçonnées capacités d’adaptation et tout semble se passer comme s’il s’adaptait surtout aux méthodes mises en œuvre pour le combattre. De fait, démantèlement de réseaux de soutien, destruction de casemates, ratissages, bombardements, opérations combinées de l’armée et des services de sécurité, s’ils contraignent indiscutablement les groupes islamistes armés, n’ont pas réduit de manière irréversible les menaces que ceux-ci continuent de constituer pour de larges secteurs de la société. Avec leurs mots propres, des secteurs essentiels du champ politique national -le RND à l’occasion notamment des législatives, le FLN dans ses dernières sorties- portent avec d’autres, plus traditionnellement déterminés, cette nouvelle conscience du danger de la banalisation de la violence terroriste même si leurs positionnements sont aussi lus à la lumière des importantes échéances à venir. Les massacres de Aïn Kechra et de Boukadir interviennent -est-ce aussi un hasard ?- à la veille de l’ouverture, à Alger, d’un colloque international sur le terrorisme islamiste et le fait vaut d’être relevé que parmi les participants s’en trouveront sûrement qui s’étaient plus attendus à traiter avec le terrorisme au pouvoir à Alger qu’à en traiter à l’ombre des inépuisables résistances de la société algérienne.D’évidence, le 11 septembre est passé par là et la présence de quelques-unes des ONG qui s’étaient longtemps focalisées sur les méthodes de lutte antiterroriste du pouvoir algérien donne à penser qu’il n’est plus possible dans les sociétés qui prennent aujourd’hui seulement conscience de la gravité de la menace terroriste de stigmatiser au nom des droits de l’Homme les autorités algériennes et de solliciter les compétences de leurs services acquises dans l’isolement et le doute. Il est patent qu’en Algérie même la sortie de l’ère du terrorisme n’est ni définitivement accomplie ni projetée comme un grand dessein rassembleur que n’a pas su ou pu être la concorde civile initiée par le président de la République. La sortie, la semaine dernière, des leaders de la centrale syndicale UGTA et de son secrétaire général en particulier contre «la concorde nationale» a valeur d’indicateur du poids constant des soupçons. Le chef de l’Etat a suffisamment cultivé l’ambiguïté sur ses choix stratégiques dans le traitement du terrorisme islamiste pour nourrir la suspicion et il est évident que certaines de ses formulations -pour le moins malheureuses quand elles n’ont pas été attentatoires à la dignité des victimes et de leurs proches- n’appellent que trop facilement la polémique et on aura assez relevé qu’elles ont aussi constitué une manière de fonds de commerce. Loin des positionnements idéologiques de sérail et du confort capitonné de la capitale, des Algériens continuent, à leur corps défendant, d’alimenter la morbide statistique et les arguments de campagne.

C. B.

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Le terrorisme, entre discours et fatalité

Par Saliha Aouès, La Tribune, 27 octobre 2002

Plus de 10 années particulièrement sanglantes de violence terroriste, la réalité des bourgs lointains d’une Algérie profonde accessible avant et pendant les scrutins se trouve confrontée au vide des discours, suivie comme une contradiction inévitable, puisque soudainement inaccessible et ignorée, lorsque ses populations sont otages de l’insécurité. Et les engagements discursifs sont également loin de prévaloir alors que cette même tragédie nationale semble se cantonner ces derniers mois à l’ouest du pays, coincée entre deux wilayas voisines : Chlef et Aïn Defla. Bien que l’information officielle ne subisse plus d’embargo, elle révèle néanmoins, sur le toujours laconique ton, le nombre de personnes sacrifiées avec parfois les détails de l’incursion terroriste, enveloppés de l’intervention des forces de sécurité et celle des secours qui viennent à la rescousse des victimes -mais il est souvent trop tard- ainsi que les opérations de recherche déclenchées de suite…Et en cette énième nuit macabre, ce sont d’autres citoyens qui ont été sacrifiés sur l’autel de la sécurité revenue et des promesses sans lendemain. 21 autres, 21 de trop ! Après que le début de ce mois, le 1er plus exactement, 15 citoyens, dont 13 enfants, ont été tués alors qu’ils psalmodiaient des versets du Coran dans cette zaouia comme il en existe un peu partout dans les douars du pays. Comme cet autre enfant parmi les victimes de ce dernier week-end, assassiné à bout portant au moment où il était en communion avec Dieu à la prière d’El Aïcha et ce bébé, encore un, de deux mois, criblé de balles ou passé à l’arme blanche.A l’enterrement des membres de ces trois familles ciblées par les groupes terroristes, et livrées à leur sort, il y avait foule : entre habitants de la région désarmés et officiels dont les paroles n’abreuvent plus les espoirs, à ne les écouter que par correction. Le fatalisme a fini par tuer même les réclamations revendicatives à la vie, au vu des sempiternels recours demeurés sans écho : sécurité des lieux, demandes d’armes ou points de surveillance permanents… Et on est même allé jusqu’à revenir aux habitations désertées faute de moyens de défense. Un retour d’un exode forcé, à en croire les paroles d’une accalmie revenue, d’un danger désormais écarté, d’un risque zéro, juste pour partir des grands sites urbains qui ont servi de refuge pendant des années. Notamment, les années passées avec un pic pour 1994 et sur laquelle des chiffres officiels sont enfin révélés, puisque cette année est qualifiée de la plus meurtrière de cette décennie noire avec dans un «listing» macabre rapporté par l’APS : 8 677 personnes assassinées et 2 milliards de dollars de dégâts matériels, dans un bilan inédit comme il est précisé et chiffré au détail près entre les victimes civiles, personnalités officielles, toutes catégories confondues de la société. Un rapport donné à découvrir lors de l’actuel colloque international sur le terrorisme qui se déroule à Alger. Et comme un mauvais écho à ce qu’experts et scientifiques peuvent débattre dans la lutte antiterroriste, le massacre de Boukadir à Chlef vient en démenti catégorique à ce que l’officiel clame et vient appuyer les craintes des populations isolées confortées dans leur solitude et leur désarmement, au milieu de discours creux et rébarbatifs. De l’un à l’autre, le fossé se creuse et les convictions se séparent… S. A.

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Tout en mettant en garde contre la subversion

Le général Maïza affirme qu’il n’y a plus que 600 terroristes

Par Rabah Iguer, 27 octobre 2002

«Le terrorisme est vaincu. Sa phase de déclin, il l’a vivait depuis 1998.» C’est ce qu’a affirmé le chef de l’état-major de la première région militaire, à l’occasion de la tenue du colloque international sur le terrorisme. Ce déclin, a affirmé ce haut officier de l’armée, l’Algérie le devait à la lutte acharnée contre le terrorisme depuis plusieurs années. M. Maïza a également déclaré que le nombre de terroristes ne dépassait pas les 600 éléments, rejoignant ainsi la déclaration du patron de la DGSN qui avait avancé le même chiffre il y a quelques mois. Selon le chef de l’état-major, ces éléments terroristes se concentraient quasi exclusivement dans les régions montagneuses et boisées. Quant au déclin de ces groupes, deux précisément, il est dû également à la lutte de leadership intervenue dans les rangs terroristes. Ces groupes, hier au nombre de sept, ne sont plus que deux actuellement. Il s’agit du GIA (Groupe islamique armé) et du GSPC (Groupe salafiste pour la prédiction et le combat). Ce dernier, est, selon l’intervenant devant les participants au colloque international sur le terrorisme, étroitement lié à Al Qaïda, organisation d’Oussama Ben Laden. Le GSPC ne compterait plus que 300 éléments tandis que le GIA ne dépasse par la soixantaine. Tous deux sont minés par les luttes intestines liées notamment à la prise du pouvoir. En tout état de cause, ils ont été militairement vaincus. Ce d’autant qu’ils ne disposaient plus, depuis 1998, de la logistique nécessaire pour l’accomplissement de leurs crimes. Dès lors, aux fins de racket, ils s’attaquent aux citoyens vivant dans des zones rurales et isolées pour commettre les assassinats. M. Maïza dira aussi que la loi sur la concorde civile avait certes permis à six mille terroristes de se rendre, toutefois, le phénomène de la subversion n’est pas encore éradiqué et il risque de «compromettre l’avenir des générations futures». Rappelons que lors de sa conférence de presse le général major Mohamed Lamari a abordé ce sujet en disant que si le terrorisme était vaincu, l’intégrisme religieux ne l’est pas et qu’il fallait rester vigilant.Il faut souligner que c’est la première fois en Algérie qu’un officier de la trempe de M. Maïza intervient publiquement sur la situation sécuritaire et le terrorisme dans une manifestation à caractère international. L’ANP, qu’on appelle communément la grande muette se contentait, quand il fallait réagir à des situations, de s’exprimer dans la revue El Djeïch à travers un éditorial.

R. I.