Général Djouadi: «Fédérer la société contre le terrorisme»

ABDELHAMID DJOUADI (général à la retraite)

«Fédérer la société contre le terrorisme»

A. Samil, El Watan, 28 mars 2001

A la retraite depuis quelques années, le général major Abdelhamid Djouadi est resté particulièrement attentif aux soubresauts qui agitent la scène nationale.

Le regard qu’il porte sur les derniers événements, avec le recul qui est le sien, est celui d’un homme affecté par la campagne orchestrée, outre-mer, contre l’ANP. Il a son explication là-dessus. Ayant eu alors qu’il commandait la 4e puis la 5e région militaire à s’engager sur le terrain dans la lutte antiterroriste, il déplore que cette dernière ne mobilise pas l’ensemble des forces politiques et sociales du pays.

Dernièrement encore, l’Armée algérienne était de nouveau prise pour cible par des milieux politico-médiatiques, en France. On peut imaginer que le général major que vous étiez dans l’ANP n’ y soit pas resté insensible. Quelle explication donnez-vous à ces attaques récurrentes dirigées contre l’ANP et la lutte qu’elle mène contre le terrorisme ?
Il s’agit d’une opération de déstabilisation qui est à situer dans l’hostilité politique déclarée de l’opposition constituée autour du FIS en Algérie, avec des prolongements à l’extérieur, notamment en France, en convergence avec les milieux traditionnellement ennemis de l’Algérie et héritiers, bien qu’ils s’en défendent, de l’idée de domination coloniale. Il ne faut pas perdre de vue que l’ANP a été la première institution de l’Etat à s’être rendu compte que l’Algérie était l’objet d’une guerre subversive dont les modes d’action principaux sont un terrorisme des plus dévastateurs et sauvages, et un travail de sape des plus pernicieux fondé sur la tromperie et la ruse. Alors que les autres corps de l’Etat accusaient un niveau de délabrement et de fragilité avancé, l’ANP constituait aux yeux de toutes les forces alliées à la subversion un objectif à atteindre en recherchant, au mieux à la détruire, au minimum à l’inhiber et à réduire à la fois son caractère symbolique et son rôle de rempart défensif de l’Etat national. Il n’est pas étonnant de voir se renouveler des campagnes comme celle dont vous parlez, d’autant que toute avanie, si monstrueuse soit-elle, rencontre l’adhésion, soit de personnalités frustrées, soit de milieux qui persistent à nourrir des ressentiments. En tout état de cause, imputer à l’ANP les massacres de citoyens algériens relève de la fabulation la plus grossière lorsqu’on sait les efforts que déploient et les risques auxquels s’exposent l’Armée nationale populaire et les autres forces de l’ordre, pour, justement, assurer la protection des populations.

Cependant, on peut penser que les massacres survenus et revendiqués sans contestation par les groupes islamistes pouvaient valoir à leurs alliés situés à l’extérieur un changement dans leur attitude de soutien. Il leur paraît, donc, face au danger, plus indiqué de les imputer à l’ANP et tenter davantage en situant la responsabilité à hauteur de la hiérarchie militaire, responsable, à leurs yeux, de l’arrêt du processus électoral, hier, et de l’interdiction du retour du FIS sur la scène politique, par la suite.Quelle lecture avez-vous faite de «l’ordre du jour» du chef d’état-major de l’ANP, dans lequel il donne la réplique aux détracteurs de l’Armée algérienne ?
Il est normal que le chef d’état-major d’une armée mise en cause pour des faits aussi abjects et de la façon aussi pernicieuse que celle utilisée par les médias français prenne position sur le sujet afin de préserver l’ANP et de rendre vaines les menées visant la fiabilité et la cohésion des forces engagées dans la lutte antiterroriste. Cet ordre du jour a été diffusé par l’organe interne de l’ANP, El Djeïch, auquel la presse nationale a réservé de larges échos, fort heureusement. Ce faisant, le chef d’état-major n’a fait qu’exercer, de manière tout à fait appropriée, l’une des tâches relevant de ses compétences.

Vous avez été, Monsieur Djouadi, engagé dans la lutte contre le terrorisme dès les premières manifestations de violence de l’intégrisme. Bien que considérablement affaibli, le terrorisme continue de se manifester à travers des soubresauts meurtriers. Comment expliquez-vous cette persistance ?
La question renvoie à une idée répandue durant et après la mise en œuvre de la loi sur la concorde civile.
Des commentaires et certaines déclarations ont pu laisser penser à l’opinion que cette loi était synonyme de paix retrouvée. La vérité est que cette loi était plutôt un geste de clémence et d’apaisement envers des terroristes qui ont fait savoir leur désir de cesser la violence et de se confier de nouveau à l’Etat en vue de leur réinsertion dans la société. Incontestablement, on peut dire, sur la base des chiffres avancés dans la presse, qu’environ 5000 terroristes ont remis leurs armes. C’est par conséquent une opération dont on ne peut contester l’utilité, car c’est tout de même 5000 vies humaines préservées et bien davantage encore s’il fallait les réduire par les armes. Par ailleurs, sans être une opération politique, la reddition des armes par ces terroristes signifie l’abandon du terrorisme armé et donc l’abandon, aussi, d’une voie sans issue.

A posteriori, on peut déduire qu’au moins une partie de ceux qui ont engagé les militants du FIS dans la voie du terrorisme se sont rendu compte de leur erreur. Ne serait-ce pas précisément les résultats de la loi sur la concorde civile et sa signification politique tels qu’on vient de les indiquer qui auraient poussé les forces qui leur sont alliées tant ici qu’à l’extérieur à redoubler de virulence à l’égard de l’armée par l’orchestration des campagnes de déstabilisation dans l’espoir, peut-être, d’obtenir de nouveau droit de cité politique pour l’intégrisme ?
Le terrorisme actuel est le résultat d’actions de groupes qui se veulent irréductibles et qui s’attaquent à des cibles qui exposent au moindre risque : massacres de populations en recherchant la médiatisation afin de porter atteinte aux capacités des autorités de l’Etat à assurer l’ordre et la protection pour tous les citoyens. Je vous dirais plus encore, les manifestations terroristes actuelles ne sont pas surprenantes. Il faut simplement se rappeler que notre pays a vécu une véritable guerre terroriste avec des hordes d’assassins sanguinaires. Cette guerre terroriste, Dieu merci, tend vers une régression irrémédiable, certes, mais elle traîne dangereusement encore. Aussi faut-il plus de vigilance et de détermination. Mais la lutte serait plus efficace si elle fédérait et mobilisait les forces politiques et sociales et si elle faisait encore plus appel aux citoyens, catégories qui sont également les victimes du terrorisme sauvage.

Il est beaucoup question ces derniers temps encore des missions de l’Armée algérienne et de la nature de ses relations avec le pouvoir politique. Si l’ANP se dégage de la sphère politique, ce sera au profit de qui ? En d’autres termes, pour quel avenir politique du pays et quel modèle de l’Etat ?
Ce sont les échecs successifs (de la politique conduite) à l’origine des émeutes d’Octobre 1988 ainsi que la carence des autorités politiques incapables de traiter les émeutes par les voies classiques, c’est-à-dire le recours aux forces préparées et destinées au maintien de l’ordre qui ont rendu nécessaire l’engagement des unités de l’ANP. Ces unités, faut-il le préciser, sont équipées et instruites pour des opérations de combat et non pour le maintien de l’ordre. La réduction des émeutes et le bilan tragique qui en a résulté ont conduit les autorités militaires à dissocier l’ANP des formations politiques, notamment lors de l’avènement du pluralisme (Constitution de 1989). C’est seulement en 1992 que l’ANP, de concert avec les autorités gouvernementales et des forces politiques et sociales, s’est engagée dans le but, à la fois : de la préservation de l’Etat national républicain, conquête de la lutte de libération nationale ; du maintien de la voie du pluralisme et de l’opinion démocratique ; de la défense de l’unité et de la cohésion nationales. Depuis, le rôle de l’ANP a consisté en la protection et la défense des institutions de l’Etat et l’assistance à ces institutions dans l’accomplissement de leurs missions et l’exécution de leurs tâches. A partir des élections présidentielles de 1995 et 1999, l’ANP est redevenue un instrument, en sa qualité de force armée, au service des missions de défense et de sécurité nationales que lui confère la Constitution (article 25) à la disposition des autorités constitutionnelles compétentes pour sa mise en œuvre.

Le terrorisme, tout le monde le constate, est vaincu militairement dans la mesure où il lui est impossible d’arriver au pouvoir par la force. Mais l’ANP, en tant qu’acteur principal de sa réduction, peut-elle se contenter de la seule défaite sur le terrain de l’islamisme armé ?
Votre question s’est maintes fois posée au cours de l’histoire chaque fois qu’une force armée a été engagée dans une bataille pour défendre ou réaliser un but politique. Autrement dit, appartient-il à une force armée engagée dans une lutte de devoir s’impliquer dans la phase politique succédant à la phase militaire ? Pour ma part, partant de l’idée que l’ANP est le bras armé de la nation, au service de l’Etat algérien, républicain, souverain, ce serait attenter aux prérogatives de souveraineté incarnées par les autorités constitutionnelles que de vouloir en quoi que ce soit réduire la liberté d’action politique des instances de l’Etat à qui il revient de déterminer la stratégie politique et d’en définir les modalités de conduite. Ceci, bien sûr, dans le respect bien compris des principes constitutionnels sur lesquels se fondent la légitimité des pouvoirs de l’Etat national.Le contraire résulterait d’une vision malsaine de l’architecture et du fonctionnement d’un Etat républicain.

S’il n’appartient pas à une force armée, engagée dans une bataille nationale de rechercher à infléchir l’option politique succédant au succès militaire, la société par contre est censée fonctionner selon ses propres structures de sorte que ses aspirations les plus profondes soient perçues sans ambiguïté par les instances politiques qui en sont l’émanation. Enfin sur cette question précisément, je ne peux manquer de souligner : que le succès militaire sur le terrorisme dont vous parlez est d’abord le succès de dizaines de milliers de jeunes Algériens, venus alimenter les forces de l’Armée dans le cadre du service national. Leur motivation, leur dévouement et leur combativité ne peuvent être dissociés de l’attitude générale de la société dont ils sont issus face au fléau terroriste. Et qu’en dépit du succès que vous attribuez à l’armée face au terrorisme, on n’a relevé et on ne relève nulle part, dans les attitudes des militaires, le moindre sentiment de fierté ou de gloire dans ce type de bataille qui n’a été menée que par un sentiment élevé du devoir et sou vent avec beaucoup de douleur dans l’âme, et précisément le devoir s’arrête dans l’échec à la violence armée.

 

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