Un ex-officier de l’ANP témoigne
Affaire du livre la Sale Guerre
Un ex-officier de l’ANP témoigne
Samira M., Le Jeune Indépendant, 12 avril 2001
Le Jeune Indépendant : Avant toute chose, je vous prie de vous présenter aux lecteurs.
Hoggas Abdelmalek : Je m’appelle Hoggas Abdelmalek, grade capitaine. J’ai exercé à Bouira de 1993 à 1995 dont la dernière année à Lakhdaria. Actuellement, je suis civil. J’ai quitté l’institution militaire en novembre 1996.
Avez-vous été responsable direct de Habib Souaïdia ?
Je n’étais pas son responsable direct. En fait, j’étais officier opérationnel au niveau du PCA. C’est-à-dire un poste de commandement avancé stationné à Lakhdaria. Habib Souaïdia dépendait du 25e régiment de reconnaissance.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous prononcer sur le livre la Sale Guerre alors que vous n’êtes plus militaire ?
La première des raisons est que j’étais militaire et présent au moment des faits rapportés dans le livre. J’aurais pu rester indifférent, si cette supposée vérité de Souaïdia n’avait pas provoqué autant de bruit, répercuté notamment par les chaînes de télévision françaises et arabes. Je considère qu’il y a des visées inavouées derrière cela pour la simple raison que le sous-lieutenant Souaïdia est loin d’être aussi intéressant. Ce dernier a été présenté comme un haut responsable de la hiérarchie militaire ou encore un héros de légende. Alors qu’en réalité ce n’est qu’un sous-lieutenant comme il en existe des milliers dans le corps de l’armée.
Habib Souaïdia était un chef de section qui n’avait sous sa responsabilité que quatre véhicules de type Jeep. Sa mission de combat était limitée au poste d’observation, à monter des embuscades et souvent à faire des rondes routinières. A mon avis, les raisons de ce tapage médiatique sont à rechercher dans les cercles rancuniers encore entretenus par les ennemis de l’Algérie.
Dans son ouvrage la Sale Guerre, l’auteur affirme qu’il a été témoin dans le massacre des civils. Vous étiez sur place. Croyez-vous en l’implication de l’armée dans cela ?
C’est faux. Les thèses développées par Souaïdia, je l’affirme, n’ont aucune assise véridique. Il est fort probable que des actes isolés aient été commis, et à ce moment-là, chacun est responsable de ses actes. C’est de cette manière que je peux concevoir l’existence de dépassements, comme ceux commis par Souaïdia lui-même. Quant à accuser l’armée directement, c’est inadmissible.
Durant toute la période que j’ai passée dans les rangs de l’ANP, soit quinze ans, et surtout durant la période de lutte antiterroriste, nous avons toujours reçu des instructions venant de la haute hiérarchie militaire, qui nous obligeaient à entretenir avec la population civile les meilleurs rapports. Nous étions tenus de faire preuve de respect envers le citoyen.
Dans son livre, Souaïdia affirme, je cite : « J’ai vu mes collègues brûler vif un enfant de 15 ans. » Qu’en pensez-vous ?
Il s’agit d’un enfant âgé de quinze ans, vendeur de cigarettes. Il a effectivement été lâchement assassiné mais par des terroristes. Son père est toujours vivant, il a déjà témoigné. Il connaît même les ravisseurs dont l’un, un certain Abderezak, réside actuellement à Lakhdaria. J’apporte également un démenti formel quant à l’affaire de Zaâtria.
D’abord, il donne un itinéraire faux. Pour aller à cette localité, on part de Boufarik, du fait qu’elle se trouve du côté de Tipasa, ce qui prouve que Souaïdia, en rapportant certains faits, semble répéter ce qu’on lui a dicté.
Un autre détail m’a intrigué : quand Souaïdia affirme qu’il a conduit le véhicule transportant ses compagnons, partis commettre un massacre. Je dis tout simplement qu’il n’existe pas d’officier chauffeur.
Est-ce qu’un chef de section peut recevoir des ordres directement d’en haut, c’est-à-dire d’un général ?
Toute personne ayant exercé sous les drapeaux, qu’elle soit dans notre armée ou dans n’importe quelle autre armée, ne croira pas un instant à l’idée d’instructions directes des généraux.
Et cela, pour la simple raison qu’il existe une hiérarchisation des responsabilités dans la réception des ordres. Est-il concevable qu’un chef de section reçoive des ordres d’un officier supérieur du rang d’un général ? C’est impossible. Quand il y a une instruction, elle atterrit chez le responsable de tout le secteur qui se charge de répercuter.
Je reformule ma question. Si jamais il y a un ordre qui vient d’un général, cela doit passer par combien de responsables avant d’arriver chez un sous-lieutenant comme Souaïdia ?
(Rire) Il y en a beaucoup. Le chef de section est le dernier avant le simple soldat. Et cela même si nous sommes en situation de combat. Il existe deux réseaux de communications par radio dans cette situation.
Un réseau subalterne par lequel communiquent les unités entre elles et un réseau pour les officiers supérieurs qui, eux, communiquent avec la haute hiérarchie militaire.
Donc, il est exclu qu’un officier du grade de Souaïdia prenne des ordres par un quelconque moyen d’un général directement. Il n’entendra même pas sa voix.
Souaïdia affirme que les instructions qui arrivaient par le moyen de conférences et autres visaient, à travers la lutte antiterroriste, l’éradication de l’opposition islamiste. Qu’en pensez-vous ?
Je souhaite ne pas me prononcer sur la chose politique que je laisse aux spécialistes. Je suis militaire, je ne fais pas de supputations gratuites. D’ailleurs, aucun militaire n’en fait. Un militaire a des tâches précises, il s’en tient là. Notre mission consistait à lutter contre les groupes terroristes qui procèdent à l’extermination des innocents et détruisent tout ce qui est utile à l’Algérie.
Nous avons combattu ceux qui ont saboté les réserves d’eau, détruit les lignes électriques, les conduites de gaz et autres infrastructures. Il ne suffit pas de tuer pour être terroriste. S’attaquer aux infrastructures publiques et autres biens de la collectivité relève du terrorisme aussi. Les auteurs de ces actes sont condamnables, abstraction faite de leur appartenance politique.
A mon humble avis, pourquoi vouloir éradiquer le mouvement islamiste alors qu’il existe des partis politiques d’obédience islamique qui activent en toute légalité ?
Pouvez-vous nous dessiner le profil de la personne de Souaïdia. Avait- il un penchant religieux ?
Pas du tout. C’est un minable. Son seul souci est bassement matériel. Il a usé de son poste pour tenter de s’enrichir, c’est tout. La preuve, la commission d’enquête diligentée après l’affaire du vol de la voiture de marque Golf, que Souaïdia n’a pas nié, a dévoilé d’autres actes de pillage de pièces détachées, ce qui lui a valu quatre ans de prison ferme.
Même s’il crie qu’il a injustement été incarcéré, les faits sont là et les gens sont prêts à témoigner. Ses camarades de section, je me permets de citer le sergent-chef Ghizlane et le lieutenant Hamid, sont prêts à apporter leur témoignage. Il suffit de les contacter. Ce sont des hommes qui l’ont côtoyé.
Vous avez témoigné devant des reporters français à ce sujet. Comment cela s’est-il passé ?
Mon témoignage, apparemment, n’a pas été du goût des journalistes qui m’ont invité. Ils ont fait un commentaire que je n’ai pas du tout apprécié et que j’ai d’ailleurs dénoncé dans un autre journal.
Quand je suis arrivé à Lakhdaria, le premier réflexe pour un militaire, c’est de s’adresser à la Gendarmerie nationale. Ce sont eux qui m’ont conduit au lieu du rendez-vous avec l’équipe
de TF1.
Ce réflexe m’a coûté beaucoup par la suite puisque, dans le reportage, le journaliste disait dans un commentaire que j’étais encadré par les gendarmes et donc que je ne pouvais pas témoigner en faveur de Souaïdia.
Parlez-nous de vous. Vous avez été radié du corps de l’armée…
Oui. J’ai été exclu des rangs de l’armée en novembre 1996. J’ai commis une erreur, en ma qualité de militaire et d’officier. J’ai agi avec légèreté et j’en assume les conséquences.
L’affaire a trait à un marché que j’ai confié à un civil. Il était question de construire une clôture en dur autour de la base. Ce genre de transaction est illégal. Même si la construction du mur concernait l’enceinte de l’emplacement militaire. J’en ai profité personnellement. Cela dit, ce fut une erreur monumentale. Quand on est militaire, on doit être discipliné avant tout.
Cela ne m’a pas empêché de garder confiance en l’institution où j’ai passé beaucoup d’années de ma vie et où j’ai été aussi félicité pour des actes de bravoure. Mon dossier peut en témoigner. C’est aussi ce qui m’a poussé à parler, alors que j’aurais pu rester en civil, loin de cette histoire. Je le répète encore, l’institution militaire est étrangère aux pratiques indignes et malpropres dont parle Souaïdia.