Aboud Hichem dénude le «cabinet noir»

LA MAFIA DES GENERAUX

Aboud Hichem dénude le «cabinet noir»

Par Tahar Hani, El Watan, 27 février 2002

Sorti en France, le premier livre de Hichem Aboud brise l’omerta qui règne en Algérie. Il raconte comment le «cabinet noir», par le crime, la corruption et la terreur a assis son pouvoir sans partage sur les institutions, l’économie et les hommes. Il dénonce également le seul sys-tème mafieux au monde arrivé à la tête de l’Etat.

La Mafia des généraux, premier livre de Hichem Aboud, ex-officier de l’Armée algérienne et ancien journaliste, vient de sortir en France, chez Jean Claude Lattès. Plus qu’un simple témoi-gnage, c’est une accusation portée à l’encontre de nombreux généraux et de leurs «larbins» qu’il qualifie «d’analphabètes, de véreux, de corrompus et de responsables» de toute la tragédie que vit notre pays depuis une dizaine d’années. Pire que cela, l’auteur donne les noms des onze militaires qui, selon lui, forment le «cabinet noir» qui a le droit de vie et de mort sur tout. On y retrouve Khaled Nezzar, Larbi Belkheir, Bennabès Ghziel, Tewfik, Abdelmalek Guenaïzia, Mohamed Touati, Aït Abdesselam, Mohamed et Smaïl Lamari ainsi que Saheb Abdelmadjid et Fodhil Cherif. Lors d’une conférence de presse animée jeudi matin à Paris, l’auteur de La Mafia des généraux a lu des extraits d’une lettre ouverte adressée à Bouteflika dans laquelle il lui demande de traduire en justice toutes les personnes citées dans le livre. Faute de quoi, il se verra obligé d’interpeller la justice internationale pour «non-assistance à peuple en danger». «Les généraux étouffent toutes les voies démocratiques et les espaces de liberté. La preuve : regardez ce qui se passe en Kabylie, et comment on condamne à un an de prison ferme le directeur d’El Watan», a-t-il lancé aux journalistes venus en nombre. Faisant une nette distinction entre les honnêtes militaires qui vivent de leurs «soldes mensuelles et occupent de modestes appartements» et les généraux «incultes» qui ont souillé l’image de l’institution, Hicham Aboud se dit fier d’avoir été un officier de cette armée, héritière de l’ALN, «j’ai servi mon pays avec honneur et dignité jusqu’au jour où j’ai compris que des “clans” voulaient m’utiliser». Foisonnant d’informations de première qualité, le livre de Hichem Aboud revient sur de nombreux événements qui ont marqué les dix dernières années : la révolte d’octobre 1988, les élections législatives de décembre 1992, la démission de Chadli, l’assas-sinat de Boudiaf, l’affaire Hadj Bettou et les nominations puis les limogeages du personnel politique algérien au gré des rapports de force entre clans et des intérêts des uns et des autres. Il est revenu également sur le dif-férend historique qui oppose les vieux militaires issus de l’Armée française accusés par leurs pairs, issus de l’Armée de libération natio-nale, d’avoir rejoint tardivement le maquis.. L’auteur décrit Nezzar comme étant «un assoiffé de pouvoir, un sanguinaire, assis sur une fortune évaluée à plusieurs milliards de francs et qui ose pleurnicher devant les journalistes un jour du mois d’août 2001 pour dire que ses enfants ne trouvent pas de travail du fait qu’ils étaient fils de général». Présenté aussi comme l’un des hommes clés du clan mafieux qui gou-verne l’Algérie, Larbi Belkheir, selon l’auteur, «est chef de l’Etat occulte, détenant le monopole de l’importation du blé et possédant l’une des plus modernes semouleries du pays à Ghardaïa». Le général Tewfik en a pris, lui aussi, pour son grade. «Il est à l’origine de tous les maux de l’Algérie», rapporte un de ses collaborateurs cité par Aboud Hichem qui ajoute qu’il est «soupçonné d’avoir détourné des dizaines de milliards de dollars». «On se demande à quoi pourrait lui servir cet argent-là puisqu’il ne voyage pas, vit comme un rat, cloîtré entre son bureau et sa résidence, toujours accompagné d’au moins quatorze gardes du corps», se demande l’auteur qui enchaîne : «Même ses cigares, il ne les paie pas. Ce sont les officiers en poste à l’étranger qui les lui offrent. Evidemment, lui aussi fait dans le racket des diplomates», résume l’auteur. D’autres accusations ont été aussi portées contre des responsables politiques de seconde zone, Premiers ministres, ministres, walis, directeurs centraux, chefs de régions militaires. Bref, tous ceux qui ne pèsent pas lourd dans la balance face aux hauts gradés, mais qui jouent le rôle de «larbins», de «serviteurs», d’«exécutants» et qui se contentent de miettes et de courber l’échine.