GIA, bras de l’armée
Documentaire/Derrière les attentats commis en France, les militaires algériens ?/Un film choc.
GIA, BRAS DE L’ARMEE
José Garçon, Libération 4 novembre 2002
» 90 minutes » Canal +, 23 h 05.
Le documentaire sur les attentats de l’été 1995 attribués au GIA (Groupe islamique armé) est un événement. D’emblée, il annonce la couleur : » Voici l’histoire d’une in-croyable manipulation. » On en ressort groggy après une plongée au cur des ténèbres du pouvoir algérien et de la toute-puissante » Sécurité militaire » (SM), comme les Algériens appellent encore la DRS, les services de renseignements.
L’immersion est édifiante au moment où s’achève à Paris un procès qui a autant servi à souligner les zones d’ombre de cette vague de terreur qu’à établir la vérité (Li-bération du 1er novembre). Car le sujet de Jean-Baptiste Rivoire et Romain Icard dé-marre là où la cour d’assises spéciale de Paris s’est arrêtée : l’analyse de la vraie nature du GIA, l’un des groupes terroristes les plus opaques. Qui est Djamel Zitouni, sous la direction duquel ce mouvement a multiplié les actions sanglantes ? Quels liens entre-tient le GIA avec le pouvoir algérien ? La réponse détermine bien sûr le profil des vrais commanditaires des attentats, particulièrement du premier et plus » professionnel » d’entre eux : celui de Saint-Michel.
Visage découvert
» Les GIA au service des généraux « , tranche Rivoire, auteur de plusieurs documen-taires sur l’Algérie. L’accusation n’est pas nouvelle. Elle a même été, en juillet, au cur du procès en diffamation intenté – et perdu – à Paris par le général Nezzar, l’ex-homme fort d’Alger, à Habib Souaïdia, un jeune sous-officier qui dénonçait les exactions de l’armée pendant la » sale guerre « . Mais la nouveauté et la force du film de Canal + résident dans la formidable accumulation de témoignages : ceux d’ex-officiers algériens de la SM – tous sauf un apparaissent à visage découvert pour la première fois – et ceux de plusieurs personnalités françaises.
Le colonel Samraoui, réfugié en Europe depuis 1996, fut longtemps l’adjoint de Smaïn Lamari, le numéro 2 de la Sécurité militaire. En juillet à Paris, son face-à-face avec Khaled Nezzar avait sans doute fait basculer le procès en faveur de Souaïdia. » Un lieutenant sous mes ordres m’a prévenu que Zitouni rentrait et sortait normale-ment de la caserne « , affirme-t-il sur Canal. Rivoire : » Ça veut dire quoi ? » Sa-mraoui : » Que c’est un agent et qu’il reçoit ses ordres de nos chefs. » Ancien des For-ces spéciales, le capitaine Chouchène raconte, lui, comment deux hauts responsables de la DRS, le général Abderrahmane et le colonel Tartag, lui ont demandé de » seconder Zitouni, notre homme, dans les maquis « .
Pour ces ex-officiers, la SM poursuivait un triple but : abattre les dirigeants du FIS, terroriser la population algérienne et faire apparaître le régime comme l’ultime rempart contre la barbarie, enfin assurer à l’Algérie un soutien sans faille de la France. Car, fin 1994, le régime a peur. L’opposition algérienne se rencontre à Rome avant d’y signer une » offre de paix » début 1995. Samraoui : » Lors de chaque grande occasion, le ter-rorisme ressurgit. » Un mois après la première réunion de Rome, un Airbus d’Air France est détourné. Six mois après la deuxième, Paris est frappé.
» Organisation écran «
Dans les plus hautes sphères de l’État français, les soupçons sont forts. Alain Mar-saud, ancien chef de la lutte antiterroriste au parquet : » Plus on avance sur le réseau Kelkal (basé à Lyon, ndlr), plus on trouve des Algériens des services officiels [
]. On peut considérer que le GIA a été utilisé comme une organisation écran pour porter le feu en France. «
Pourtant, peur des bombes oblige, la France se tait. En 1997, le Premier ministre Lionel Jospin est seul à avoir le courage de dire qu’il ne peut rien dire. » Nous sommes face à une opposition fanatique et violente qui lutte contre un pouvoir qui lui-même utilise la violence. [
] Donc nous devons être assez prudents. Nous avons déjà été frappés. Je suis pour que nous prenions nos responsabilités, mais en pensant que la population française doit aussi être préservée. C’est lourd de dire cela [
] » II faut voir enfin Jean-Louis Debré, le ministre de l’Intérieur d’alors, tourner précipitamment les talons pour échapper, aujourd’hui, aux questions de Canal. » 2003, la France célé-brera l’année de l’Algérie « , conclut Rivoire. Rideau sur un terrible secret de famille.