La France a-t-elle lâché Bouteflika ?

REVELATIONS DU CANARD ENCHAINE

La France a-t-elle lâché Bouteflika ?

Le Soir d’Algérie, 5 janvier 2003

En dehors de toute polémique, l’information publiée par l’hebdomadaire français Le Canard Enchaîné a de quoi susciter les interrogations. L’on ne peut rapporter de telles déclarations et confidences avec pour source le président de la République française et ses proches collaborateurs à moins que cela n’émane d’une volonté politique délibérée de la part de la France et de Jacques Chirac en particulier, de se détacher non pas de l’Algérie mais plutôt de Abdelaziz Bouteflika.

Samar Smati – Alger (Le Soir) –

Rapporter une confidence de Jacques Chirac selon laquelle le président de la République a sollicité son aide pour évincer les principaux généraux algériens, avec en prime l’appui de la France pour sa réélection lors de l’échéance présidentielle de 2004, est trop grave pour être un simple leurre.
Le Président français n’ayant pas pour habitude de s’épancher en confidences, encore moins que celles-ci soient reprises par la presse. Cet état de fait augure plutôt d’un retrait du Président français dans ses relations avec le Président algérien. Avec du recul, les ballonssondes n’ont pas manqué ces derniers temps pour éclairer l’opinion publique sur la température réelle des relations entre Abdelaziz Bouteflika et Jacques Chirac. Lors du VIIIIe Sommet de la francophonie qui s’est tenu à Beyrouth du 18 au 20 octobre dernier, un sommet auquel l’Algérie a participé pour la première fois, le Président français a précisé aux médias qu’Abdelaziz Bouteflika s’est fait inviter au sommet. La précision est de taille. Etre invité et se faire inviter sont deux choses distinctes en sachant bien qu’il n’y avait nul besoin de cette clarification tant la présence de l’Algérie au Sommet de la francophonie vaut par son engagement politique.
Et à en croire Le Canard Enchaîné, c’est à Beyrouth que Abdelaziz Bouteflika a exprimé au Président français sa volonté de neutraliser l’état-major de l’ANP en vue des élections présidentielles. Autre temps fort, la rencontre des dirigeants africains autour du Nepad à Paris au mois de février 2002. Abdelaziz Bouteflika n’a même pas eu droit à un  » tête-à-tête  » avec son hôte français, alors que ce dernier a reçu les principaux leaders africains à l’Elysée.
Depuis son investiture, le président de la République n’a eu de cesse d’essayer de s’attirer les  » bons sentiments  » de l’Elysée et de l’opinion publique française. C’est un véritable ballet diplomatique qui s’est joué depuis le 15 avril 1999 entre Alger et Paris. Ces trois dernières années ont été couronnées par une visite d’Etat, celle de Bouteflika en France du 14 au 17 juin 2000, ainsi que le voyage de Jacques Chirac à Alger, après les inondations de Bab-El-Oued. Une visite hautement symbolique qui lui valut les applaudissements des riverains, alors que le Président, lui, a été hué par ces mêmes personnes. Les déplacements entre les deux pays de différents ministres et hauts responsables ne se comptent plus.
L’année 2003 quant à elle s’inscrit dans un cadre nouveau. La France depuis le 31 décembre 2002 s’est mise aux couleurs de l’Algérie. L’ambassadeur français en Algérie, M. Daniel Bernard, a balisé le terrain dans une contribution au Matin :  » La France et l’Algérie vont mieux se connaître « . Événement culturel majeur, l’Année de l’Algérie en France servira à faire connaître la diversité culturelle algérienne, ses artistes, ses traditions, en somme, sa richesse humaine et culturelle.
Un éclaircissement subtil en langage diplomatique qui rappelle, si besoin est, que la manifestation ne servira nullement à améliorer l’image du président de la République, encore moins lui permettre de retirer des dividendes électoraux en vue des présidentielles de 2004. L’année 2003 verra aussi le déplacement du chef du gouvernement en France et la visite d’Etat de Jacques Chirac en Algérie. Les révélations du Canard Enchaîné n’ont pas été infirmées pour l’instant par l’Elysée ou par le Quai d’Orsay. Cependant, dans l’échiquier des relations diplomatiques, de telles confidences augurent d’un net recul dans l’entente entre les deux chefs d’Etat. Certes, les relations entre l’Algérie et la France transcendent les personnes, elles existeront quelles que soient les répercussions futures. Par contre, en ce qui concerne les relations entre Abdelaziz Bouteflika et la métropole, l’on annonce la fin de la  » lune de miel « .
S. S.