Larbi Belkheir: «Jai du mal à pardonner lutilisation de la formule décennie noire»
Larbi Belkheir à Jeune Afrique
«Jai du mal à pardonner lutilisation de la formule décennie noire»
Par Redouane Noussaïr , Le Jeune Indépendant, 4 mai 2002
Larbi Belkheir, homme secret ? Guère favorable à lexposition médiatique ? Longtemps considérée comme éternelle aux yeux de nombre de journalistes, de politiques nationaux et dobservateurs étrangers, cette image est en train de changer au fil des mois, et ce, sous leffet dune succession de critiques et daccusations sur son rôle réel ou supposé dans le fonctionnement du système politique algérien et des événements des vingt dernières années. Trois mois après avoir rompu avec cette tradition de mutisme en se confiant au Monde dans son premier entretien de presse, le directeur de cabinet à la présidence de la République sest prêté, une nouvelle fois, à la curiosité journalistique. Une curiosité attisée par la teneur décrits sur le Web, les colonnes de journaux ou de livres (la Mafia des généraux dAboud Hichem) qui chargent durement lancien bras droit de Chadli Bendjedid et laccusent dêtre à lorigine de nombre de maux qui rongent le pays.
Lhomme sest livré à un surcroît de confessions en recevant, chez lui, lenvoyé spécial de lhebdomadaire parisien Jeune Afrique aux fins dun long portrait-entretien. Selon les dires du journaliste, lancien directeur de lEnita, devenu, tour à tour, chef du Haut conseil de sécurité, secrétaire général, directeur de cabinet à la présidence, ministre de lIntérieur puis, à nouveau, directeur de cabinet est, en permanence, aux confluents de toutes les critiques en raison, dit-il, dun des traits les plus visibles de son profil : le mutisme. «Ma discrétion dérange. Je ny peux rien si jabhorre caméras et projecteurs.» Pour la plupart des observateurs tant nationaux quétrangers, Belkheir nest pas un acteur ordinaire du paysage politique national.
Linfluence du général ?
Cest une «tête dinfluence», un homme «au cur du régime» qui a «marqué de son empreinte» les événements du pays depuis la mort du président Boumediene, reconnaît le portraitiste de Jeune Afrique. L«influence» du général à la retraite, son poids dans la sphère politique du pays prennent différents contours selon quils sont décrits par des hommes gravitant autour de lui ou dacteurs franchement hostiles et irrités par sa gestion et sa conception du politique. «Faiseur de rois», «de la pluie et du beau temps», auteur de «coups tordus», «affairiste» : les accusations sont légion et alimentent, sans cesse, les discussions dans les salons politiques et la rue. «Cest un tissu de mensonges», des «rumeurs» dont «la plupart sortent du sérail», accuse-t-il. Cest la première fois quil identifie de la sorte, sans en dire davantage, lorigine des tirs qui le ciblent. Le pourquoi de ces tirs ? «On en veut à mon indépendance, à mon refus de faire partie de tout clan ou fratrie [ ] Tous mes déboires viennent précisément du fait que je nappartiens à aucun clan.
«Décennie noire» dites-vous ?
«Ces attaques sont le prix de mon indépendance [ ] On dit que je suis vomi par la population. Au plus fort de la violence, je me déplaçais sans garde du corps dans les rues dAlger et sur les routes algériennes.» De toutes les critiques adressées à son égard, Belkheir avoue ne pas supporter celle qui se décline en deux mots, «décennie noire», autrement dit lère durant laquelle son rôle était des plus importants. «Jai du mal à pardonner la formule décennie noire, utilisée à propos des années quatre-vingt. Beaucoup de choses ont été réalisées durant cette période et tout le monde semble locculter.» Quen est-il des affaires, de ces accusations répétées à lenvi qui le donnent détenteur de comptes bien garnis dans les banques helvétiques, daffaires industrielles et immobilières en tous genres ? «Les millions de dollars quon me prête ? Jaimerais bien les avoir. Je mets au défi ceux qui affirment que cette fortune existe de le prouver.
Sils y arrivent, je veux bien la partager avec eux.» Ne sest-il pas reconverti aux affaires après son départ du pouvoir en juillet 1992 ? «Et alors ! rien ne me linterdit. Je me suis associé avec des partenaires pour lancer une minoterie à Ghardaïa, un projet destiné à assurer lavenir de mes enfants. Où est le mal ?». Pour réunir largent nécessaire, lancien ministre de lIntérieur dit avoir agi «comme tout entrepreneur» en sollicitant un prêt bancaire. «Jai choisi une banque étrangère (El Baraka) pour éviter que les gens névoquent un passe-droit [ ] Contrairement à dautres, je ne me suis jamais occupé dimport-export. Je nai jamais eu le moindre conteneur ni en mon nom ni sous un prête-nom.»
Interruption du processus électoral : «Je ne regrette rien !»
Dix ans après avoir été, en tant que ministre de lIntérieur et membre de ce quon appelle communément les «décideurs», un des acteurs de linterruption du processus électoral et de la dissolution du FIS, Larbi Belkheir, affirme sans détours quil assume cette séquence de lhistoire du pays. «Je ne regrette rien. Jai fait le choix dépargner à lAlgérie le sort de lAfghanistan. Le prix à payer a été lourd, mais il a évité le pire : une vraie guerre civile avec des millions de victimes et de réfugiés.» Il clame quil «naime pas les intégristes» quand bien même il reconnaît avoir eu, au début des années 1990, des contacts informels avec des responsables du FIS «dans le cadre de mes fonctions de directeur de cabinet et de ministre de lIntérieur». «Nul na le droit de donner des leçons dislam à ce peuple.» Pour les besoins de ce portrait, le directeur de cabinet à la présidence a accepté de se faire photographier pour la première fois chez lui. Dans un grand salon au style marocain dont les conversations politiques algéroises disent quil est […] le théâtre de rencontres dont celle qui aurait déblayé le terrain pour une irruption de Bouteflika dans la présidentielle davril 1999.
«Bouteflika me facilite la tâche»
En 1992, «je suis revenu chez moi et je ne me suis plus occupé de ce qui ne me regardait plus [ ] ; les pseudo-réunions nont jamais eu lieu». Convaincu que sa carrière est «derrière» lui, il a retrouvé en octobre 2000 El-Mouradia, poussé en cela par une sollicitation du chef de lEtat. «Si jai accepté la proposition du Président, cest en raison de mon amitié pour lui et de la conviction que mes capacités de rassembleur peuvent contribuer à sortir lAlgérie de la crise.» Belkheir ne donne aucun éclairage sur la nature de ses missions, nombreuses et importantes selon le décret portant organigramme de la présidence. Tout au plus fait-il remarquer que «la fonction exige toujours une présence de tous les instants», mais se trouve facilitée par le profil de Bouteflika et sa façon de travailler. «[ ] Je dois dire que lactuel Président, maîtrisant mieux les dossiers, me facilite la tâche. On se comprend à demi-mot et il est capable danalyser rapidement toute situation.» Répondant aux critiques selon lesquelles le chef de lEtat est soucieux, à travers ses options politiques internes dont le projet de concorde nationale, de remettre en selle le FIS, Belkheir affirme quune telle démarche ne cadre pas avec les convictions de son chef hiérarchique. «Avancer cette thèse prouve que lon ignore tout de Bouteflika, de ses idées modernistes et de ses ambitions pour son pays.» Une rupture entre les deux hommes est «peu probable», selon le directeur de cabinet. «Le Président et moi sommes en phase. Même si, par extraordinaire, cela doit arriver, je retournerai chez moi, aussi discrètement que jen suis parti.» Et la relation de travail avec Saïd Bouteflika qui, selon des informations de presse un moment persistantes, serait teintée de désaccords, voire de divergences ? Il sagit «dhistoires de journalistes en mal de sensationnel», répond-il. Et le directeur de cabinet dajouter sans être tout à fait explicite : «Nous navons ni le même âge ni le même itinéraire et encore moins les mêmes attributions.» R. N.