La politique entre échéances et urgences
La politique entre échéances et urgences
Théâtre dombres
Kader Hannachi et M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 21 mai 2001
Le pouvoir fait preuve, en ce moment, dune grande nervosité. Lincident du 18 mai, au campus de Bouzaréah, qui sest terminé par ailleurs par des interpellations et des arrestations détudiants, nest pas étranger à cette situation.
Ce nest, cependant, pas là lunique raison. Lirrévérence faite au président de la République, dimanche dernier, par quelques étudiants en colère na fait, en vérité, que révéler le climat politique détestable dans lequel évolue le pays depuis que le président de la République la engagé dans les législatives.
Ce malheureux incident a fonctionné comme un indicateur aussi bien sérieux quinattendu du discrédit, qui frappe la campagne électorale et de la menace, qui pèse sur le scrutin du 30 mai prochain. Limpact produit par cet incident puise toute sa puissance dans lincapacité politique des parties engagées dans le scrutin à rendre crédible leur campagne. Mais surtout : la découverte par le pouvoir que, la crise en Kabylie, que certains de ses représentants avaient cru sincèrement possible de circonscrire, est en train de fausser toutes les données du jeu électoral, là où ils sy attendaient le moins.
Au lieu de défendre leurs programmes respectifs et de proposer des solutions concrètes aux problèmes des citoyens, les candidats les plus sérieux, parmi ceux qui ont été ministres ou grands commis de lEtat, ont consacré le plus clair de leurs sorties sur le terrain «à faire des cours de sciences politiques sur lutilité du vote citoyen» et son importance dans la consolidation de lEtat et de ses institutions. Tous admettent lerreur, peut-être irrattrapable, de navoir fait de campagne que contre le boycott et les forces politiques qui ont dit «non» aux législatives.
Certains dentre eux décrivent des situations surréalistes et cocasses : «Nous faisons de la politique politicienne devant des citoyens manquant demplois, deau, de logements et de transport», nous a déclaré un grand candidat dans la liste RND dAlger. Et il ajoute : «les gens qui viennent vers nous, nous écoutent poliment, mais on voit bien dans leurs yeux quils ne nous comprennent pas».
Le comble de cette situation est que des partis gestionnaires ou de gouvernement, comme le RND ou le FLN, se sont retrouvés à mener le même type de campagne que les petites formations ressuscitées de lantique CNT. Ce nivellement par le bas na pas seulement conduit à léchec de la campagne, il a fourni du paysage politique limage dun champ délabré quune abstention importante, le 30 mai prochain, risque de balayer.
A travers son discours, prononcé au campus dEs-Sénia à Oran, Abdelaziz Bouteflika la bien compris. En présentant les élections comme «une question de vie ou de mort», il souhaite puiser dans les ressorts non plus politiques – ceux-là sont déjà saccagés – mais dans le sentiment national. Une abstention très forte de la part des Algériens fragilisera grandement son pouvoir, en effet. Son programme de relance surtout. Tous les observateurs sérieux estiment que, pour réussir totalement les réformes ambitieuses quil a engagées, le chef de lEtat naura pas besoin de deux ans seulement, mais dun second mandat, dont la validité passe, avant tout, par sa réussite à avoir un parlement, au moins crédible, pour faire passer les projets de lois clés.
Même sil sen défend et invoque la poursuite des réformes, limpératif dune continuité institutionnelle, pour battre la campagne en faveur du vote, Bouteflika sait que les urnes du 30 mai décideront, en grande partie, de son propre avenir politique. Le paradoxe est que Abdelaziz Bouteflika agit comme les candidats qui font campagne. A la différence que lui, il fait dans le théâtre dombres. Ses attaques contre les «boycotteurs» – qui sont dans une relative visibilité – paraissent moins significatives – même si elles participent à la crispation générale – que celles quil destine aux monstres du Loch Ness national : les mafias en tous genres, celle du médicament comme celle des financiers du terrorisme. Mais quand le chef de lEtat décrète quil sait «qui ils sont», tout en laissant transparaître une certaine impuissance, cela est davantage de nature à convaincre les Algériens de linanité de la politique et du vote que de leur utilité. Rien de nouveau, en effet, car, quon le veuille ou non, et la crispation actuelle le confirme, la politique reste totalement à ré-inventer. Cest en raison de cette absence daggiornamento politique – systématiquement combattu depuis dix ans à coups délections factices – que le Président semble, aujourdhui, encore plus seul quau début de son mandat, les partis semblent encore plus paumés que toujours et le dialogue, un mot qui ne semble plus faire partie du vocabulaire national.
Depuis dix ans, au nom des intérêts supérieurs du pays suprême, on a miné les partis et discrédité la politique, tout en fabriquant une classe de députés verbeux et sans envergure. La réussite est si totale que le pouvoir en est réduit à supplier les Algériens daller voter.
Le problème est que ces Algériens pensent à leur quotidien, tout en gardant en mémoire les «grandes oeuvres» réalisées par lassemblée sortante et par les ersatz de parlement, comme le CNT. On comprend dès lors la source de linquiétude des gouvernants : ils ont, au cours de cette décennie, trop bien réussi le travail de sape du politique.