Elections législatives : choisir entre le dangereux et le périlleux
Elections législatives : choisir entre le dangereux et le périlleux
Par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 21 mars 2002
Aller aux élections est dangereux. Ne pas y aller est périlleux. Ou linverse.
Quand la date des élections législatives a été fixée au 30 mai, une première question sest naturellement posée: qui va remporter le scrutin ? On parlait alors de bipolarisation, on se demandait si le FLN était en mesure de prendre sa revanche sur le RND, pour obtenir la majorité des sièges au Parlement et placer ainsi son patron, Ali Benflis, en orbite pour les prochaines présidentielles.
Puis, avec le temps, une autre question sest progressivement glissée, suscitant doute et inquiétude, pour finalement éclipser la première. On ne se demandait plus qui serait vainqueur le 30 mai, mais sil y aurait fraude ou pas. Et, accessoirement, quelle serait lampleur de la fraude. Le souvenir des derniers scrutins, marqués par une fraude massive, est revenu en force, dautant plus que les principaux acteurs politiques nont pas changé depuis les dernières consultations électorales. Le comportement des principaux personnages politiques impliqués dans le trafic électoral est toujours le même.
Mais aujourdhui, même cette question relative à la fraude est dépassée. En effet, on ne sinterroge plus ni sur le vainqueur ni sur la fraude, mais simplement sur la tenue des prochaines législatives. Avec la dégradation en Kabylie, lextension du champ de la contestation, le rejet des propositions du président Abdelaziz Bouteflika, avec également la détermination de certains acteurs à empêcher le scrutin, la décision de certains autres de boycotter, et lincertitude qui plane sur la capacité du pouvoir à gérer une situation aussi explosive, tous les doutes sont permis. A un point où on peut raisonnablement dire aujourdhui quil est dores et déjà impossible dorganiser le vote dans des conditions acceptables.
Certains signes ne trompent pas. Les contestataires de Kabylie ont imposé leur logique. Ils dictent la cadence, imposent le rythme. Une période électorale est favorable à une radicalisation. Tout laisse penser que la contestation va encore sélargir, pour atteindre son paroxysme à lapproche du 30 mai, jetant une sérieuse hypothèque sur le déroulement du vote.
Dautre part, le bloc costume-cravate du pouvoir et de sa périphérie, incluant le RCD, lANR, le CCDR, Ettahadi, la fameuse société civile, ainsi que le courant dominant au sein de la presse francophone, sest prononcé clairement contre la tenue des élections. Cest, traditionnellement, un bloc qui sait dans quel sens va tourner le vent. Le fait quil se retrouve autour dune position commune, même sil y a des divergences sur la forme et le détail, prouve quau sein même du pouvoir, lhypothèse de la non-tenue des élections est fortement à lordre du jour.
Les erreurs de certains autres figurants de la scène politique poussent, elles aussi, à créer les conditions qui rendraient le scrutin impossible. Par exemple en contribuant à exacerber la tension. Ceci est valable aussi bien pour ceux qui flattent les radicaux dans le sens du poil que ceux qui affirment quon peut tenir un scrutin sans la Kabylie. Des dirigeants dEnnahadha et de Hamas, partisans de la tenue des élections coûte que coûte, ont tenu des propos en ce sens, sans même se rendre compte que leurs propos aggravent des tensions aussi inutiles que nuisibles.
Ils ne se rendent pas compte quune élection, moment fort de la vie démocratique, nest pas une fin en soi, particulièrement quand il sagit dun pays en crise comme lAlgérie. Car si une élection permet de dégager des dirigeants légitimes et dasseoir une démocratie, elle peut tout aussi bien dégénérer si les conditions ne sont pas réunies. A voir la situation actuelle de la société, il est évident que les conditions sont, pour le moins, difficiles.
Organiser une élection sans une région du pays relève de la bêtise, pour rester dans les règles de la politesse imposées par Le Quotidien dOran. Les auteurs de telles propositions sont, au mieux, irresponsables. Ils font preuve dun aveuglement politique qui frise linconscience. Mais faire le forcing pour organiser le scrutin, sans savoir ce qui va se passer le jour J, comme le suggère le président Abdelaziz Bouteflika, est tout aussi dangereux. Cest de laventure. On sait comment ça commence, mais pas où ça aboutit.
Cest une situation déjà vécue en Algérie. Trop souvent, dailleurs. Au point où on a limpression que cest un schéma familier, tant le sentiment de répétition est fort. Le pays donne le sentiment dêtre condamné, soit daller à léchec, soit dopter pour un échec encore plus grave. Organiser les élections le 30 mai est un pari hasardeux, sinon franchement dangereux. Ne pas les organiser est carrément périlleux, car cela risque dachever ce qui reste des institutions algériennes.
Du déjà vu, donc. Avec un pays contraint, selon un homme politique, de choisir entre le coûteux et le ruineux, entre le dangereux et le périlleux.