Algérie: L’Enfer et le brouillard

Algérie: L’Enfer et le brouillard

Plus de 250 morts en trois mois. C’est un été meurtrier que les Algériens viennent de vivre. Rien ne semble arrêter le cycle infernal des violences multiples. Et un énorme brouillard recouvre cet enfer; on a l’impression, au bout de dix ans de sang et de larmes, que tout est fait pour que certaines zones d’ombre demeurent encore.

Par Youcef Zirem *, Algeria-Watch, 2 octobre 2002

Chlef, Médéa, Tiaret, trois grosses bourgades où l’horrreur règne depuis des années. Dans ces régions d’Algérie, les carnages se suivent et se ressemblent. Ce sont souvent des citoyens de condition bien modeste qui sont assassinés. La presse d’Alger accuse le GIA et les autorités ne sont pas obligées de retrouver les auteurs de ces crimes. Pas d’enquête, pas de véritable politique pour éviter les prochaines horreurs. L’armée n’utilise pas l’aviation pour poursuivre les sémeurs de la mort, les gendarmes se contentent de faire des barrages, le jour, sur des axes routiers peu dangereux. Et les affaires continuent dans un pays si riche qui voit plus de la moitié de sa population vivre au seuil de la mendicité. Un pays qui fabrique, en même temps, à une vitesse vertigineuse des milliardaires grâce à des trafics en tout genre, dans tous les domaines. Un immense brouillard est maintenu, en Algérie et à l’étranger, pour éviter de s’interroger sur ces vagues de violences qui prennent des proportions incommensurables dès que les différents clans du pouvoir se font une guerre sans merci. Car cela est une constante : les massacres augmentent incroyablement dès qu’il y a conflit entre les décideurs algériens; ces faits sont vérifiés sur le terrain depuis 1992. Au contraire quand les décideurs du système algérien sont d’accord, la violence cesse: durant le mois de novembre 1995 lorsque tout le monde au sein du sérail est d’accord pour l’intronisation du général Liamine Zeroual à la tête de la République, le terrorisme islamiste et le terrorisme non identifié disparaissent !

Les Hommes de l’ombre

Lieutnant-colonel du puissant DRS ( département renseignement et sécurité, héritier de la fameuse Sécurité Militaire ), Mohamed Samraoui réitère, au début du mois de juillet, devant la 17 éme chambre correctionnel du tribunal de Paris ce qu’il avait déjà déclaré au mois d’août 2001 à la chaîne de télévision quatarie, El Dazira. Pour lui, le GIA est une création du DRS ! A vrai dire, beaucoup d’Algériens doutaient un peu de l’identité véritable de ce groupe sanguinaire depuis son apparition médiatique, au mois d’août 1993, juste après l’assassinat de Kasdi Merbah, ancien premier ministre, ancien chef suprême de la Sécurité Militaire de 1962 jusqu’à 1979. Mais les médias, en Algérie, continuent à attribuer les assassinats à ce sinistre groupe qu’ils assimilent uniquement à un groupe islamiste. Pourquoi cette façon de berner l’opinion ? Personne , en Algérie, ne peut s’opposer au DRS ! Ni la presse, ni le chef d’état-major de l’armée, ni le chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika. Au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, Ali Mecili, membre du MALG ( ministère de l’armement et des liaisons générales, ancêtre de la Sécurité Militaire ), assassiné à Paris en avril 1987, estimait que le MALG allait « manger l’Algérie ». Quarante après, les craintes de cet ami de Hocine Ait Ahmed, se sont avérées bien fondées.

Le terrible aveu

« Nous allons vous faire ce que nous avons fait à Bentalha », c’est par ces mots que les troupes spéciales de la répression s’adressent, au mois de mars 2002, aux manifestants de Tigzirt, une petite ville de la Kabylie maritime. Terrible aveu ! Ces propos ont été entendus et confirmés par plusieurs témoins d’horizons politiques différents. Ces menaces sont apparemment tenues par des éléments qui savent l’impunité dont ils jouissent. Pour rappel, durant l’été 1997, la petite bourgade de Bentalha, située à une vingtaine de kilomètres d’Alger avait vécu l’innomable: en une nuit, plus de 400 de ses habitants avaient été tués.

Depuis 15 mois, la Kabylie s’oppose au pouvoir central d’Alger et réclame justice pour les 115 personnes tuées par les gendarmes, les policiers ou les éléments du DRS. Mais, Abdelaziz Bouteflika, Mohamed Mediène, Mohamed Lamari et Smain Lamari disent: non. Il n’est pas question, pour l’instant, de créer des précédents, de lever l’impunité de la « casquette ». Au contraire, ce sont les délégués du Mouvement citoyen, un mouvement pacifique, qui sont mis en prison. Il n’est pas question également de prendre en question cette plate-forme d’El Kseur qui revendique carrément la démocratisation véritable du système algérien. De mascarade électorale en mascarade électorale, le système algérien tente de survivre au détriment d’un pays meurtri où la torture, la corruption et l’injustice sont le lot quotidien des citoyens. Les carnages viennent alors se greffer sur ce décor apocalyptique et maintiennent un statu quo qui rend service à ceux qui profitent de toute cette détresse humaine. Y.Z

* Auteur de nouvelles ( l’âme de Sabrina, El Barzakh, 2000 ) et de poèmes ( les Enfants du brouillard, Saint Germain des Près, 1995 et Autrefois la mer nous appartenait, Clapas, 2001 ). Je suis également auteur de Les Non-dits de la tragédie algérienne, un essai qui paraît en septembre 2002 chez le Grip-Complexe.