Du chômage au suicide

Du chômage au suicide

N. Benouaret, El Watan, 10 décembre 1998

Dans une localité de la wilaya de Souk Ahras, toute une famille de six membres a failli perdre la vie dans une tentative de suicide collectif.

Evacuée dans un état comateux à la suite d’une malnutrition de plusieurs jours, cette famille a été sauvée in extremis par un voisin. Alerté par son épouse, inquiète de ne pas voir depuis plusieurs jours la mère et les enfants de l’habitation voisine, un homme a défoncé la porte du logement. Là, sous ses yeux horrifiés, il constata l’état comateux dans lequel se trouvaient le père, la mère et leur quatre enfants en bas âge. Aussitôt l’alerte donnée, ils furent évacués sur une polyclinique pour être soumis à des soins intensifs de réanimation. Selon de nombreux voisins, cette famille n’aurait pas mangé depuis plusieurs jours par suite de la mise au chômage du père dont le salaire était la seule ressource. C’est ainsi qu’après avoir frappé à toutes les portes des administrations, entreprises publiques et privées et n’ayant pas le nécessaire pour survivre à travers un commerce à la sauvette, ce père que la mendicité répugnait, avait décidé de s’enfermer avec sa famille dans la maison. Il avait décidé de quitter, avec toute sa famille, ce monde ingrat en se laissant aller jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ce cas de tentative de suicide collectif de famille n’est pas unique, et parmi un grand nombre de nos interlocuteurs du milieu des travailleurs licenciés, des actes similaires pourraient se multiplier. A Annaba, le marché des fruits, légumes et alimentation générale est quotidiennement fréquenté par cette catégorie de citoyens qui hantent les petits dépotoirs et les poubelles à la recherche de quoi préparer un semblant de repas. Des dizaines de familles des localités de Sidi Salem, El Eulma, Zérizer, Hdjar Eddis, Boukhmira I et II, Essaroual, Boukhadra… vivent le même calvaire. «Qu’ont fait pour nous les élus locaux et les députés ? Ce ne sont que de simples opportunistes qui, pour réaliser leurs ambitions politiques, ont pris des engagements pour être à l’écoute des problèmes des citoyens. Qu’ont-ils fait en réalité ? Ils ont passé le plus clair de leur temps à applaudir et à avaliser, sur le plan local (APW-APC) et national (APN) toutes les décisions antisociales présentées par un gouvernement antipopulaire. Nous en avons assez des tables rondes et de la démagogie. On nous a empoisonnés par des promesses qui n’ont jamais été tenues. Avec l’échéance de la présidentielle, ils reviennent aujourd’hui sur le terrain pour nous abreuver d’autres promesses». Cette déclaration faite par un père de famille, ex-gardien de nuit, contraint au chômage, que nous avons surpris en train de fouiller une poubelle, exprime l’idée générale qui se dégage à Annaba sur la situation vécue par des milliers de familles. D’autres, également chômeurs, après avoir occupé des postes de responsabilité, ont adopté un comportement très discret dans la quête d’un moyen de survie. Ils survivent au jour le jour en accostant, d’une manière très humble et en toute discrétion, leurs anciens camarades de travail et de quartier pour leur demander quelque argent, de quoi faire subsister leur famille. Un d’entre eux, victime de la compression des effectifs de Sider, a été contraint, dans l’attente de jours meilleurs, d’utiliser l’indemnité compensatrice de licenciement pour permettre à sa famille de survivre. Cette indemnité ayant été largement entamée, il ne sait plus quoi faire après avoir vainement frappé à toutes les portes à la recherche d’un poste de travail. Questionné sur sa vision de l’avenir dans notre pays, il a répondu : «De quel avenir vous voulez parler ? Celui de la masse laborieuse est déjà connu, le chômage, la pauvreté et la faim. Quand à ceux qui ont le ventre rond à force de manger quotidiennement aux frais du contribuable, référez-vous aux déclarations faites par Boulahouadjeb, ministre de l’Agriculture lors de son passage à l’ENTV. Les paroles fantaisistes qu’il a exprimées à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation m’ont révolté. Comment pouvait-il se permettre d’affirmer que l’Algérie est à l’abri de la famine et de la malnutrition et que toutes les mesures ont été prises pour assurer la sécurité alimentaire dans notre pays ? Je suis indigné par pareille déclaration qui met en relief la persistance des discours démagogiques dans une Algérie prétendue pluraliste.» Au vu de ce qui se passe dans les différentes régions du pays, à l’image de la localité de Souk Ahras, il n’y a pas que le terrorisme qui tue en Algérie.

 

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