Saïd Sadi accuse les «services»

Il dénonce une tentative d’attentat sur sa personne

Saïd Sadi accuse les «services»

Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 30 octobre 2001

Saïd Sadi a tiré à boulets rouges, hier, sur les «services». Le président du RCD a accusé la direction du renseignement et de la sécurité (DRS) d’avoir tenté d’organiser un attentat contre lui, d’avoir enlevé et torturé un militant du RCD et de squatter la vie politique du pays.

Invité du forum du quotidien en arabe «El Youm», organisé à l’Hôtel International d’Alger, Saïd Sadi a déclaré que des éléments de la DRS ont séquestré un militant du RCD pour lui demander de remettre un colis au leader du parti. Il s’agissait évidemment d’un colis piégé. Le militant, Amar Amrouche, enseignant, a refusé de participer à l’attentat. Il a été passé à tabac, torturé, menacé de mort et son corps lacéré de coups de couteau, a précisé le chef du RCD. Saïd Sadi a toutefois précisé qu’il a été informé que la tentative d’attentat contre sa personne ne faisait pas partie du plan de l’équipe de la DRS qui avait enlevé Amar Amrouche. Apparemment, c’était un «message» transmis à Saïd Sadi, en raison de ses positions sur la situation en Kabylie.

Le leader du RCD a évoqué dans le détail l’enlèvement du militant du RCD, survenu le 7 octobre dernier vers 21h00, à une vingtaine de kilomètres d’Azazga. Amar Amrouche se trouvait en voiture, quand il a été forcé de s’arrêter par les passagers de deux autres véhicules.

Ceux-ci, au nombre de cinq, portaient des cagoules. Ils lui ont bandé les yeux, ils l’ont ligoté avec du fil de fer, avant de l’emmener dans un endroit indéterminé. Ils lui ont fait subir «des sévices corporels» avant l’interrogatoire mené par deux personnes. «L’une d’elles parlait kabyle, la seconde parlait arabe et français», a précisé Sadi.

Les deux kidnappeurs ont déclaré à Amar Amrouche que le chef du RCD est un «traître», tout en lui demandant pourquoi le RCD soutenait les protestations en Kabylie et ne tentait rien pour y mettre fin. C’est alors qu’ils lui ont demandé de remettre à Saïd Sadi un paquet qu’ils lui fourniraient. Il a refusé, l’un des deux hommes l’a menacé en lui mettant le canon d’un pistolet sur la tempe. Ensuite, ils l’ont menacé de l’égorger. Ils lui ont même entaillé le cou. Amar Amrouche s’est alors évanoui, pour se retrouver le lendemain matin à l’hôpital. Il avait été retrouvé au bord d’un fossé par des citoyens qui l’ont transporté à l’hôpital, selon Saïd Sadi.

Cet acte est «extrêmement grave», a déclaré le leader du RCD qui a toutefois appelé à «faire preuve de sérénité» face à de tels «actes de régression». Il a affirmé que son parti a pris le temps nécessaire pour tenter de déterminer qui était l’auteur de l’enlèvement, mais qu’il n’y a désormais plus aucun doute. «Aussi bien les méthodes que la logistique nécessaires à cette opération indiquent qu’il s’agit de la DRS», a-t-il dit. Il a déclaré que le président de la République et le chef du gouvernement en ont été informés. Des indications lui sont parvenues, selon lesquelles «un segment» de la DRS aurait accompli le «forfait», mais non l’institution elle-même. Saïd Sadi a toutefois indiqué qu’il refuse une telle explication. Il a «exigé» que les «services de renseignement soient soumis au pouvoir politique».

«La DRS ne doit pas être le seul parti politique du pays», a-t-il dit. Pour lui, le régime est «bloqué et affolé». Il est «incapable d’aller dans le sens de l’histoire». Le système a exercé un «chantage» sur les Algériens en brandissant «l’alibi islamiste» pour se maintenir dans le passé, mais cet alibi est tombé, car «la menace d’une alternative intégriste n’est plus de mise». C’est pourquoi le pouvoir «entretient la confusion et préfère le pourrissement» qui lui permettrait de se maintenir, selon Sadi. Le leader du RCD a également émis des doutes sur l’assassinat de Mohamed Boudiaf, de l’ancien ministre de l’Intérieur Abou-Bakr Belkaïd et de l’ancien patron de l’UGTA Abdelhak Benhamouda. Il a estimé qu’il est possible de les imputer aux «services». Mais il a rejeté la question du «Qui tue qui ?», affirmant sa conviction que les grands massacres sont bien l’oeuvre des groupes islamiques armés.

Ces accusations contre le pouvoir et la DRS ont dominé ce premier forum d’«El Youm», dont c’était la reprise. Mais Saïd Sadi a également évoqué d’autres sujets, notamment des critiques envers son ancien compagnon Ferhat Mehenni et ses propositions sur l’autonomie de la Kabylie. Le leader du RCD a estimé que la décentralisation et le transfert du pouvoir aux responsables locaux constitue une grande tendance dans le monde moderne. Toutefois, a-t-il dit, «une autonomie parcellaire et isolée, c’est de la sécession». «Un paradis local n’a pas de sens (…). La décentralisation peut donner une nouvelle ambition au pays. Elle doit bénéficier à tous les Algériens, et être projetée au niveau nord-africain», a-t-il ajouté. A l’inverse, la décision centralisée est la base de la corruption et le pouvoir ne veut pas s’en défaire.

Quant à la situation en Kabylie, Saïd Sadi a déclaré qu’il refuse de voir le président de la République refiler le dossier au chef du gouvernement et se dérober sur la question. «Les assassins doivent être punis», a-t-il répété. Il s’est déclaré très inquiet des dernières déclarations du ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, qu’il soupçonne de préparer une nouvelle grande vague de répression. Selon Sadi, le ministre de l’Intérieur a déclaré qu’il était sollicité pour intervenir de façon musclée en vue de normaliser la situation en Kabylie. C’est «une préparation de l’opinion à une nouvelle vague de répression», a estimé le leader du RCD.