La revanche des « éradicateurs » en Algérie

La revanche des « éradicateurs » en Algérie

Florence Beaugé, Le Monde, 29 septembre 2001

La fracture qui existe de longue date entre l’élite francophone et l’homme de la rue apparaît plus nette que jamais, en Algérie, depuis les attentats survenus sur le territoire américain.

Résolument « éradicateurs », c’est-à-dire opposés dans leur majorité à tout compromis avec les islamistes, les francophones semblent avoir oublié que, jusqu’à une date récente, ils se montraient très chatouilleux à l’idée d’une hypothétique ingérence étrangère dans les affaires algériennes.

Ce sont pourtant les mêmes qui réclament aujourd’hui à cor et à cri la participation active de l’Algérie à une grande coalition mondiale de lutte contre le « terrorisme islamique ».

Pour eux, l’heure de la revanche est venue, et ce ne sont pas les organismes internationaux de défense des droits de l’homme qui risquent désormais de freiner leurs ardeurs en demandant des comptes. Confortés par les annonces de démantèlement de réseaux islamistes en Europe impliquant des ressortissants algériens, ceux-là donnent de la voix sur le thème de : « Nous vous l’avions bien dit ! » C’est ainsi que le président de la République se voit sommé de saisir ce qui serait « une occasion inespérée » d’en finir, une fois pour toutes, avec « la tendance islamiste qui, tout le monde le sait, a généré en Algérie le terrorisme », selon l’expression du journal francophone El Watan.

CAPITAL DE SYMPATHIE

L’homme de la rue, lui, entend avec inquiétude les bruits de bottes américains.
Comme le reste du monde arabe, il considère que la tragédie survenue aux Etats-Unis n’est qu’un juste retour des choses, susceptible d’inciter le gendarme du monde à manifester moins d’arrogance et à faire preuve d’une plus grande justice dans le conflit palestino-israélien.

Si le double attentat du World Trade Center est l’objet de quelques réserves – car, souligne-t-on, il a provoqué, en l’espace de quelques minutes, la mort de milliers de civils – il n’en va pas de même avec celui qui a frappé le Pentagone, synonyme de la toute-puissance militaire américaine.

Sans qu’il bénéficie de démonstrations de rue ou de signes extérieurs de soutien, Oussama Ben Laden garde le capital de sympathie qu’il s’était attiré dans les jours suivant le 11 septembre pour avoir défié la superpuissance mondiale, certains n’hésitant pas ici à voir dans le millionnaire d’origine saoudienne un nouveau Che Guevara.

Seule inquiétude perceptible au sein de la population : s’il se confirme que des Algériens figurent parmi les terroristes arrêtés en Europe, est-ce que les portes de l’exil ne vont pas se refermer un peu plus hermétiquement encore au nez des innombrables candidats au départ ? Les files d’attente devant les consulats et les ambassades, dans l’espoir d’obtenir un visa, n’ont jamais été aussi longues.

ACCENTS NATIONALISTES

Pour le président Bouteflika, les attentats de New York et de Washington sont un rude coup porté à sa politique de réconciliation nationale.

Alors que son entreprise de « concorde civile » tourne de plus en plus à l’échec – les massacres ont repris dans des zones que l’on croyait sécurisées, y compris aux portes d’Alger, et, depuis fin août, la capitale est à nouveau la cible d’attentats – le chef de l’Etat doit supporter ces derniers temps une avalanche de critiques rageuses et de sarcasmes. Il se voit ainsi accusé par la presse francophone de « patauger dans une valse-hésitation » et de continuer de « caresser les barbes des islamistes dans le sens du poil ».

Dans le contexte actuel, les « réconciliateurs » font le dos rond, et M. Bouteflika se retrouve seul à monter au créneau, continuant contre vents et marées à garder une main ostensiblement tendue vers les islamistes algériens, retrouvant même d’anciens accents nationalistes, parfois presque prophétiques.

Lors d’une tournée dans l’est du pays, il a ainsi lancé, il y a quelques jours, à partir de Jijel, ex-fief de l’Armée islamique du salut (AIS), une mise en garde à ses compatriotes, les avertissant en substance des risques actuels que courent, selon lui, les petits pays (dont l’Algérie) de subir une nouvelle forme de colonisation à la faveur des conséquences de la tragédie américaine.