La libéralisation économique se poursuit à marche forcée
La libéralisation économique se poursuit à marche forcée.
Mieux, elle entre peu à peu dans les mours.
Adieu au socialisme.
Paul-Marie de La Gorce, Jeune Afrique, 31 aout-6 septembre 1999
Le mardi 10 août a eu lieu le premier vol d’une compagnie aérienne privée entre l’aéroport Houari-Boumedienne, à Alger, et celui d’Es-Sénia, à Oran. Quelques jours plus tard, le 16 août, six entreprises algériennes, dont cinq privées, sont devenues des fournisseurs d’accès à Internet : le monopole d’État a été supprimé. Dans les quotidiens, les holdings publics annoncent, sur des pages entières, la cession de leurs actifs. Les ventes et achats de terrains, d’appartements et de villas remplissent les colonnes des petites annonces. Autant de signes de l’avènement inexorable de l’économie de marché. Pourtant, de nombreux Algériens se montrent incrédules. Pour eux, l’État reste au centre de toutes les décisions et c’est lui qu’ils continuent à mettre en cause à tout propos. Vieille habitude de méfiance et de fronde envers le pouvoir politique, quel qu’il soit ? Sans doute. Reste que l’Algérie est bel et bien en train de passer d’un système économique et social à un autre. Au milieu du gué, en somme. De telles transformations ne vont jamais sans crise. Circonstance aggravante, l’Algérie doit relever simultanément trois défis : la transition de la dictature à la démocratie, la lutte contre le terrorisme politico-religieux et la transformation de ses structures économiques. Aucun pays ex-socialiste n’a été confronté à une telle situation. Comment ce difficile passage du socialisme au capitalisme a-t-il été engagé ? Et avec quels résultats ? Contrairement à une idée répandue, ce n’est pas lors des accords conclus, en 1994, avec le Fonds monétaire international (FMI) et les bailleurs de fonds que le virage a été pris. La privatisation de l’agriculture a débuté bien avant, dès 1987. Et c’est de 1988 à 1996 qu’a été mis en place le cadre législatif et réglementaire qui allait mettre fin à la planification étatique : loi imposant au secteur public le respect des règles commerciales classiques, y compris la perspective d’une cessation d’activité ; libéralisation progressive des prix ; pouvoir donné à la Banque d’Algérie de gérer la politique monétaire, de superviser le fonctionnement du système bancaire et de définir les règles s’appliquant au marché des changes et aux mouvements des capitaux ; ouverture aux investissements étrangers, y compris dans le secteur clé des hydrocarbures ; suppression du monopole de l’État sur le commerce extérieur ; redéfinition des rapports contractuels entre employeurs et salariés ; introduction de la TVA ; nouveau code du commerce et des investissements ; création de seize holdings couvrant le secteur public ; loi-cadre sur les privatisations ; convertibilité du dinar algérien pour les » opérations courantes » (commerce extérieur et investissements)… Au terme de ces transformations, le pays s’est retrouvé dans un état tel (incapacité, par exemple, de régler la totalité des échéances de la dette extérieure), qu’il n’a eu d’autre choix que de traiter avec le FMI et les bailleurs de fonds. Il est revenu au gouvernement de Réda Malek de conclure les arrangements nécessaires, qui ont été négociés, successivement, par deux ministres des Finances, Mourad Benachnou et Ahmed Benbitour. Résultats : un crédit de 3,1 milliards de dollars, un rééchelonnement de 10 milliards de dollars de créances publiques et un autre de 3,2 milliards de dollars envers les banques privées. Cette stratégie a été poursuivie contre vents et marées. Car il ne s’agit pas seulement de reprofiler la dette extérieure, mais d’ouvrir le
pays au marché international et d’adhérer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ce qui implique, naturellement, d’en respecter les règles. Cette libéralisation a eu d’énormes conséquences, tant pour les entreprises privées – contraintes d’accroître considérablement leur compétitivité – que pour le secteur public – condamné à se restructurer ou à disparaître – et, bien entendu, les simples citoyens, confrontés à une sévère austérité budgétaire et salariale. Où en est-on ? Après une dévaluation d’environ 40 %, le cours du dinar s’est stabilisé. Les droits de douane ne sont plus prohibitifs (le taux le plus élevé est de 45 %) et le système bancaire et financier, dont la réforme est encore loin d’être achevée, est désormais ouvert au secteur privé et aux participations étrangères. Une Bourse des valeurs mobilières, encore embryonnaire, participe à la collecte de l’épargne, grâce à l’introduction de nouveaux produits financiers. Par ailleurs, l’inflation a été globalement maîtrisée (21 % en 1993, 5,7 % en 1997), le déficit budgétaire colmaté (8,7 % du PIB en 1993, 1,5 % en 1997), les réserves de change reconstituées (8,1 milliards de dollars fin 1997, 1,5 milliard fin 1993) et l’encours de la dette extérieure allégé (29 milliards de dollars fin 1998, 33 milliards fin 1996). La remontée des cours du pétrole (autour de 20 dollars le baril, contre une prévision budgétaire de 15 dollars) a permis au gouvernement de renflouer les caisses de l’État, dont les recettes proviennent à 60 % des hydrocarbures, et laisse augurer pour 1999 des performances meilleures que prévu (6 % de croissance économique, 5 % d’inflation, 11 milliards de dollars d’exportation de pétrole et de gaz naturel). Après la chute de 1998 (à 4,8 milliards), les réserves en devises pourraient atteindre 7,2 milliards de dollars à la fin de l’année. Mais le prix du pétrole n’est pas la seule donnée majeure. Avec ses trente millions d’habitants, l’Algérie représente un marché considérable. Le niveau d’instruction y est, en moyenne, plus élevé que dans la plupart des pays voisins. C’est des Algériens eux-mêmes que dépendra le succès ou l’échec de la transition économique. Certes, une génération entière, au moins, a été marquée par l’ancien régime socialiste et en garde un comportement, un état d’esprit, des mours qui ne sont pas compatibles avec le libéralisme. Mais, à d’autres signes, on peut vérifier que le pays est décidément entré dans la voie du changement. Sous réserve des aléas climatiques, l’agriculture est probablement le secteur professionnel qui se modernise le plus vite. Des catégories sociales nouvelles émergent. Dans tous les milieux, y compris les plus modestes, et surtout chez les plus jeunes, l’ouverture vers l’extérieur est plus qu’un désir : une passion.
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