Interview de Ghazi Hidouci
Interview de Ghazi Hidouci
Es-Shark El Awsat, 25 octobre 2002
1 – Le Général Nezzar vous a nommé, dans sa dernière conférence de presse et vous a désigné, avec Hamrouche, comme principaux responsables des évènements d’octobre 1988. C’est la première fois qu’un responsable influent de l’époque accuse directement les réformateurs et cite des noms. Quel est votre commentaire et avez-vous l’intention de vous défendre, surtout se préparent d’ores et déjà pour vous ester en justice.
Le général Nezzar, en bon fasciste, n’a jamais parlé qu’en affichant, sans se démonter les pires incohérences et les pires mensonges. Comment pourrait-il se supporter s’il faisait l’effort, une minute, de capacité de réflexion et de discernement ? Ce qu’il dit, médit ou contredit à longueur de temps, importe peu, sauf pour les amnésiques qui aiment bien, pour leur confort, les vérités toutes faites ou ceux qui refusant de faire travailler leurs méninges, se nourrissent des clichés les plus contradictoires.
Je saluerais par contre chaudement l’initiative de cette association des victimes des évènements d’Octobre si elle venait à se concrétiser. Toute victime a le droit à la vérité même si elle commence par désigner de faux coupables. Je suis donc prêt, pour cela, à jouer le rôle de l’accusé. La recherche de la justice ne doit pas faire de différence entre les victimes. J’encourage donc l’association à me poursuivre également pour les victimes d’après octobre, car j’ai continué à exercer des responsabilités et à agir dans un sens que le général Nezzar considère comme source de tous les maux du pays jusqu’à aujourd’hui.
La seule vraie question en l’occurrence, est celle du choix du tribunal. Il ne faudrait que ce soit un tribunal reconnu présentant les garanties du droit commun et non du droit d’exception.
2 – Où situez-vous le discours du Président Chadli le 19 septembre 88 et êtes-vous de l’avis de ceux qui disent que ce discours a été la mèche qui a fait éclater une situation précoce ? On dit aussi que c’est Ghazi Hidouci et Hamrouche qui ont préparé ce » pamphlet « . Qu’en dites-vous?
Nous avons, comme c’était notre rôle, préparé au président un discours radical dans le fond et non dans la forme. Dans les conditions de crise économique et de décomposition des appareils politiques et administratifs de l’époque, nous proposions que le Président devait signifier aux protagonistes qui se démenaient pour partager le pouvoir après un nouveau congrès du F.L.N dans le Gouvernement et l’Armée qu’il refusait de négocier avec eux un nouvel équilibre au pouvoir parce que les démarches politiques sociales et économiques sur lesquelles ils se positionnaient aboutissaient toutes à l’impasse. Forts de l’observation du blocage par les différents clans des réformes économiques depuis 1986, nous lui proposions de commencer à annoncer un nouveau contrat social et politique plus ouvert à la société et au monde. Le président a fait un discours radical dans la forme et non dans le fond. Il a préféré menacer tout le monde sans proposer de changement. C’était politiquement inefficace et cela a entraîné la levée des boucliers. En réalité nous avons été déçus par ce discours. J’avais personnellement compris que Chadli voulait peut être le changement, mais qu’il avait alors l’illusion de le faire avec les siens.
3 – Les évènements d’octobre 88 ont été sanglants. Qui a ordonné de tirer sur les jeunes ? Lorsque l’on parle des évènements d’octobre 88, on parle de manipulation. Vous avez été conseiller du Président Chadli, à l’époque. Qui manipulait qui ? : l’armée, le FLN, la Présidence. Où se situaient les centres de décisions?
Ce que je peux dire d’abord des événements d’octobre, c’est que je ne les ai pas vus venir sous la forme qu’ils ont prise, comme je pense beaucoup de ceux qui les utilisent depuis à des fins politiciennes. Si on réfléchit une minute, ce qui demeure incontournable,, c’est que s’il y a eu manipulation des manifestations et négociations avec les organisateurs, seuls les responsables des manifestations, les services de police et les » missi dominici » qui sont chargés dans ses conditions de faire les intermédiaires le savent. Pourquoi ne pas les chercher depuis 14 ans pour les faire parler ? Il y deux explications : c’est qu’ils sont encore là, autour du pouvoir et empêchent la vérité de se manifester ou qu’il n’y a pas eu grande manipulation, mais des petites manuvres à la petite semaine qui se sont retourné contre leurs auteurs.
Il faut chercher ces exécutants pour remonter aux responsables, on saurait alors qui a ordonné de tirer mais aussi de torturer et comment. On peut aussi questionner efficacement les membres de la cellule de crise dont je parlerai plus loin.
Pour ma part, je pense qu’une action militaire ne peut être décidée à un niveau subalterne, cela parait évident. Une telle possibilité mettrait en permanence l’armée au bord de l’implosion, elle n’est pas envisageable. Par contre une délégation du président à l’Etat Major peut aboutir à un excès. Si tel avait été le cas, il y eu couverture, ce qui revient au même. Je pense que je vous ai au moins donner des indications précises sur les lieux où vous devez faire vos investigations pour être sérieusement informé.
Ce que je dirais ensuite, c’est qu’en bonne politique, lorsque de pareils événements se produisent, il faut tenter lorsqu’on en a l’opportunité, de les exploiter pour faire avancer ses objectifs. De ce point de vue, dès le premier jour, l’équipe des réformateurs à la présidence, comme on l’appelle, a tenté de faire avancer ses idées. Pendant deux jours, une cellule chargée de gérer l’Etat d’urgence (composée du cabinet du Président, des responsables civils et militaires et de certains ministres,) a fermé le jeu aux réformateurs comme à l’ancien premier ministre Brahimi, à Messaadia du F.L.N, victimes expiatoires désignées de l’opération Le mot d’ordre était à la répression. Le troisième jour, le Président consulte Hamrouche avant de prendre une décision dans son discours à la nation. Nous avons alors réussi, là, et non en septembre, à placer notre discours de rupture avec le système annonçant le multipartisme et la sortie de la constitution de 1976. Chadli a fini par choisir une solution politique. La chance nous a souri, parce que c’est ce discours qui désarmera les tenants de la répression. C’est pour ce là que s’il y a eu manipulation, ses auteurs en ont été pour leurs frais.
4 – On vous reproche d’avoir permis au FIS des contacts avec le Président Chadli. Qu’en est-il?
Le général Nezzar m’a plutôt reproché d’avoir reconnu au tribunal que j’ai participé à aider le FIS à gagner les élections communales. Il ne dit pas comment j’ai pu le faire. J’ai dit au tribunal que les élections communales avaient été libres et qu’il ne fallait pas être clerc pour prévoir que le FIS allait les gagner et les rentiers politiques les perdre. Je n’ai pas bourré les urnes. J’en tire avec certitude la conclusion que le général pense que des élections libres sont une entorse à sa compréhension de la démocratie et une aide aux islamistes. Il le montrera très bien tout au long de sa carrière politique.
5 – Les réformes économiques que vous avez mises en place restent 14 ans après la seule référence au niveau du plan de développement de l’Algérie. Les résistances d’hier à la réforme existent-elles encore aujourd’hui ? Dernièrement, le patronat français était à Alger à l’invitation du président Bouteflika qui ouvre grande les portes et les richesses du Pays aux étrangers pour qu’ils viennent investir. Que pensez-vous de cette politique ?
Il y a certainement d’autres références depuis douze ans, mais il est vrai qu’elles n’ont pas tenu la route et que les gens les ont oubliées. Je pense toutefois pour ma part qu’il y a un programme qui a été concrétisé avec zèle depuis au moins 1994, à aujourd’hui, c’est celui dicté par le F.M.I. Les directions politiques qui se sont succédé ont été bien heureuses de fuir leurs responsabilités et de se conduire en domestiques dociles de l’organisation internationale, lui faisant porter le chapeau, comme si c’était une fatalité. Même avec $ 20 milliards gelés stupidement depuis trois ans, ils n’osent pas imaginer prendre la moindre initiative sérieuse. Cette couardise est le premier niveau de résistance. Le second, vient de ce que l’ajustement structurel avec son faux passage au marché ne décourage pas le dépeçage du capital minier, industriel et foncier immobilier existant, et détruit l’arbitrage d’Etat, c’est à dire de la société au profit de celui des clans de prédateurs. Sans changement fondamental de régime, le pays demeurera longtemps piégé par ce pouvoir, ennemi des réformes de 1990.
Le président Bouteflika n’est qu’un rouage marginal dans ce mouvement ; il sert plutôt qu’il n’initie ou orchestre. Il s’agit de toute une classe sociale qui contrôle le pouvoir et le gère de haut en bas dans un objectif de cannibalisation de la force de travail et du patrimoine appartenant à la collectivité. Le patronat français ou autre le sait et ne peut faire aucune confiance à ce type de régime pour lui confier ses capitaux. Ils prendront ce qu’ils peuvent prendre de force sans rien engager de durable par manque de confiance.
6 – On parle de privatiser la SONATRACH qui dégage de très gros bénéfices. Les Américains semblent vouloir imposer son démantèlement. N’est-ce pas là, malgré la mondialisation une ingérence intolérable pour tous les Algériens qui se respectent, mais cette ingérence semble avoir l ‘aval de Bouteflika. Qu’en pensez-vous ?
Je ne vois pas pourquoi les multinationales pétrolières s’empêcheraient de prendre le contrôle d’une manne qui s’offre à eux. A ma connaissance, elles n’ont fait aucune pression visible sur l’Algérie dans ce but, par ailleurs, aucun officiel algérien n’a fait état de ce type de pression. La formule du « partage de la production donne, de l’aveu officiel entière satisfaction (plus de vingt contrats d’exploration en deux ans sans aucune contrainte de financement). Son abandon pour un système de concession ne se justifie pas. L’argument également avancé de la pression des institutions internationales pour la privatisation et le démantèlement des barrières n’est pas crédible. Les réserves financières de l’Algérie ne l’obligent aucunement à adopter un mot d’ordre de ce type venant du F.M.I. Quant aux obligations vis à vis de l’O.M.C, elles sont loin de s’imposer aujourd’hui. Il s’agit d’une décision unilatérale dont la raison est à rechercher ailleurs enfin que dans l’ » agressivité impérialiste des multinationales « . Très peu de pays O.P.E.P envisagent aujourd’hui ce type d’abandon de souveraineté sur les hydrocarbures, qui, sous couvert de privatisation de Sonatrach, abandonne toute prérogative de puissance publique. On peut valablement défendre l’opinion qu’il s’agit d’une décision anticonstitutionnelle, inspiré par un zèle excessif à vouloir, pour des raisons obscures, se coucher plus vite que les autres et avant terme devant les tenants du capitalisme global.
7 – Votre témoignage au procès de Nezzar vous a fait sortir de l’anonymat. Vous payez le fait d’avoir participé au procès Nezzar – Souadia. Regrettez-vous d’avoir participé ?
Je ne comprends pas ce que vous appelez » sortir de l’anonymat « .. Est-ce que cela veut dire que la censure ne joue plus contre moi du fait du procès. Ce n’est pas mon problème. Je me suis toujours exprimé en Algérie et à l’Etranger et je ne pense ni être anonyme ni manquer de relais.
Vous parlez aussi de » payer » pour le procès. Qu’est ce que je paye ? Nezzar est-il toujours chargé de représailles ? Mon point de vue est que j’ai défendu la justice et de ce fait l’honneur de l’armée en défendant Souadia, un soldat qui a le courage d’assumer ces responsabilités devant le peuple algérien.
8 – Pourquoi vous n’avez plus les pieds en Algérie depuis l’arrêt du processus électoral ? Avez-vous reçu des menaces de mort ou sentez-vous que vous pourriez être la cible d’un acte de violence ?
Qui n’est pas la cible d’un acte de violence ? J’ai quitté mon pays parce que je ne peux m’y exprimer librement et j’ai besoin de m’exprimer librement pour faire mon devoir de patriote et de citoyen. A l’instant où les garanties de cette expression sans entraves seront réunies, je retournerai.
9 – Gardez-vous toujours le contact avec votre ancien chef de gouvernement et avec le Président Chadli Bendjdid ?
Oui j’ai toujours le contact avec Hamrouche, mais aucun avec Chadli depuis le départ du gouvernement.