Ghazi Hidouci à LIBRE ALGERIE
INTERVIEW DE GHAZI HIDOUCI A LIBRE ALGERIE
LUNDI 4 JANVIER 1999
L.A: Le comité central du FLN a parrainé la candidature de M. Bouteflika aux prochaines élections présidentielles, laquelle aurait la sympathie d’une partie du RND. En tous cas, C’est le premier candidat quasi officiel pour ce scrutin. Est-ce que cela vous inspire un commentaire ?
G. Hidouci: …Je considère en premier lieu qu’un candidat qui a besoin du parrainage de l’actuel comité central du FLN a peu à voir avec la société dont il revendique les suffrages, car ce comité central du FLN ne représente que lui-même. En le faisant il commet une erreur politique et, pour le moins, une faute de goût. C’est vrai également qu’une partie de l’appareil du RND est une réplique du FLN. D’après ce que je sais, l’autre partie représente le courant apolitique de l’administration, tandis qu’une troisième sensibilité serait prête au changement. Tout peut arriver, surtout l’implosion, au cas où il y aurait une vraie campagne.
L.A : N’avez-vous pas l’impression que le choix de M. Bouteflika est celui du système ?
G. Hidouci: depuis juin 1991, le régime a échoué à établir les règles qui assurent sa stabilité, et encore sa reproduction. A plusieurs reprises, il a usé ses propres candidats. Ceux qui, au sommet du pouvoir réel, refusent toujours l’ouverture, souhaitent cette fois faire émerger un présidentiable qui affecte un pluralisme formel sans faire de concessions au choix démocratique et libre des citoyens. Cet objectif ne peut être atteint qu’en refusant que les élections soient précédées par le retour à la garantie des libertés d’expression et d’association, et, donc, par le maintien des lois d’exception.
Les candidats qui acceptent ces limites sont les candidats du système La préférence ultime pour l’un ou l’autre n’est alors qu’une question d’opportunité et d’équilibre des intérêts de ceux qui contrôlent le pouvoir. Monsieur Bouteflika a déjà été candidat en 1994, il a été exclu ou s’est retiré, au dernier moment. Attendons quand même le mois d’avril pour voir si le système choisit l’immobilisme et Monsieur Bouteflika l’accepte, ou s’il y a volonté concrète de changement de l’armée et de M. Bouteflika. Je considère que les manouvres qui se développent, dans l’intervalle, en Algérie et à l’étranger, dans les médias et dans les coulisses, font partie des bricolages habituels d’officines qui ont déjà fait, à plusieurs reprises, la démonstration de leur incompétence politique, même s’ils parlent au nom de l’armée.
L. A: on constate tout de même que cette candidature est celle d’une personne qui ne s’est pas prononcée politiquement sur la situation en Algérie depuis une vingtaine d’années…
G. Hidouci: Pour l’heure, M. Bouteflika, n’est pas, à ma connaissance, candidat. Pour reprendre votre propos, M. Bouteflika n’est pas le seul candidat qui « ne se soit pas prononcé sur la situation en Algérie ».
Je ne connais pas, depuis 1959, un dirigeant politique algérien coopté par les appareils qui ait exprimé les réalités de l’Algérie et des algériens. Pourquoi l’exiger uniquement de M. Bouteflika ? Le discours officiel a toujours été, malheureusement, préoccupé d’idéologie creuse, de volonté de subordination et d’infantilisation des hommes et des femmes de ce pays. Hormis la courte période entre octobre 1989 et décembre 1991, nous n’avons été abreuvé que de langue de bois et de démagogie.
L. A : En d’autres termes, il serait le profil requis pour ce système ?
G. HIDOUCI : Pour que ce candidat corresponde aux normes du système, il doit être le porte-parole de l’immobilisme, c’est-à-dire qu’il refuse le rétablissement des garanties de liberté et de responsabilité.
L.A: L’opposition politique hésite à se lancer dans cette bataille électorale. Selon vous, quel type de candidature pourrait correspondre à la démarche de l’opposition telle qu’elle s’est manifestée depuis 1992 ?
G. HIDOUCI : La démarche de l’opposition depuis 1992 consiste à proposer une issue politique à la crise par le dialogue plutôt que la rupture prônée par le pouvoir et la classe politique opportuniste qui utilise les appareils d’état comme bouclier contre la démocratie et la société. Faute de quoi le terrorisme demeurera toujours l’instrument de la violence politique et de la régression sociale. Depuis qu’elle s’est exprimée en 1992, puis lors contrat national de janvier 1995, cette opposition a vu la justesse de sa démarche se confirmer au fur et à mesure des échecs dans la gestion de la situation. De nombreuses initiatives ont été patiemment prises, en vain, par plusieurs courants de l’opposition pour tenter de forcer le destin en participant aux élections et en encourageant toute possibilité de retour à la paix. Aujourd’hui, l’opposition devrait s’unir, voire s’élargir, bien sûr pour obtenir, au moins, un véritable débat politique et s’exprimer devant la société, lors de la campagne. Bien évidemment, elle devrait le faire à travers le soutien à un ou deux candidats. Il serait, à l’évidence, plus efficace qu’il y ait consensus autour du projet public d’un candidat.
L. A: Intellectuellement, vous vous situez dans l’opposition. Quels seraient les grands axes d’un tel programme ?
G. Hidouci: Je me situe dans le camp de la société algérienne. Je me situe dans le camp d’un changement politique qui fait que tous les citoyens algériens ont le droit de contrôler les hommes politiques. Jusqu’à nouvel ordre, c’est le point de vue majoritaire en Algérie. Ce n’est pas le point de vue exclusif de l’opposition. L’Algérie a déjà eu une constitution démocratique, garantissant les libertés publiques et l’existence d’une justice indépendante. Nous ne souhaitons pas réaliser aujourd’hui une première tentative de transition. Nous voudrions sortir de l’exception pour revenir à la normale. Il faut, pour que les algériens, puissent voter valablement, qu’ils redeviennent des citoyens exerçant pleinement leurs responsabilités. Si cela est possible, il faut provoquer un mouvement dans lequel les algériens puissent s’exprimer librement sur la manière de mettre fin à la violence politique et de régler les problèmes concrets en suspens, tel que la question de la trêve.
L.A: Pensez-vous que l’élection d’avril 1999 est l’occasion d’enclencher un véritable processus de sortie de crise?
G.Hidouci: Pour le moment, je pense que l’acte politique important c’est d’obtenir un débat lors de la campagne électorale. Pour l’élection, les choses ne sont pas encore claires. Il faudra bien, d’abord, que ce ne soit pas une opération formelle, comme celles que nous avons déjà connu depuis 1995 pour avoir la chance d’enclencher une dynamique de sortie de crise.
L. A: Le futur président héritera, en tout état de cause, d’une situation. Au plan économique et social, estimez-vous que des progrès ont été accomplis ?
G. Hidouci : depuis quatre ou cinq ans, sauf dans certains emplois de l’administration, il n’y a pas eu, pratiquement, de création d’emplois. Il y a eu des licenciements qui ont dépassé le chiffre de 300 000 personnes. Le revenu par tête a diminué de 50%. Le pouvoir d’achat a diminué de plus de 60% en cinq ans. Enfin, près de 30% des Algériens vivent au-dessous du seuil de 600 dollars par an. Sur le plan social, le bilan est rapidement fait. La situation est dramatique. Nous sommes passés derrière nos voisins, Maroc et Tunisie, qui ne possèdent pas de pétrole. Nous sommes devenus un pays de pauvreté. Sur le plan économique, il y a trois facteurs importants à signaler. D’abord, dans un an et demi à deux ans, nous retournerons à une période de fort amortissement de la dette. Nous reviendrons à la période où nous atteindrons facilement les 8 milliards de dollars de remboursement annuel que l’on connaissait jusqu’en 1993. On s’achemine donc, à nouveau, vers une situation d’endettement élevé, avec si le prix du pétrole demeure bas, un service de la dette encore exorbitant. La marge de manoeuvre du prochain gouvernement est pratiquement nulle si la politique d’ajustement n’est pas fondamentalement modifiée. La fausse ouverture, qui n’est qu’une entreprise de retour à l’échange colonial de ces dernières années, est le second héritage empoisonné du futur gouvernement.
L.A: Qu’entendez – vous par fausse ouverture?
G. Hidouci : Nous avons engagé entre 1989 et 1991, une entreprise d’établissement d’une économie de marché qui s’appuie sur une dynamique économique interne, l’émergence d’entrepreneurs responsables et innovants dans les secteurs publics et privés ainsi qu’une politique financière au service de la production et de l’investissement productif. Nous n’avons pu achever ni passer le relais d’un programme de trois ans puisque nous sommes partis au bout de dix huit mois. L’organisation institutionnelle et juridique du passage au marché était cependant achevée. Nous avons même réussi à la faire accepter par les syndicats et la grande majorité des entrepreneurs. Nous nous étions engagés pour cela, en toute responsabilité, sur la voie difficile des entreprises durables, en refusant les artifices des fausses transitions. Le FMI a été obligé d’accepter qu’il n’avait pas de conditions à nous dicter. Nous avons refusa que l’administration assure la tutelle des privatisations, mais voulu que ces dernières soient réalisées par les entrepreneurs eux-mêmes à travers des fiduciaires de participation, même si l’atermoiement devant les règles commerciales caractérisait une majorité de l’encadrement. Nous avons, enfin, inscrit le contrôle par les salariés dans le cadre de lois sociales très avancées et la liberté syndicale. Malgré les réticences liées à la culture étatiste prégnante et en dépit des urgences, nous n’avons rien fait qui ne soit patiemment négocié.
Cette orientation a été très mal supportée par les privilégiés de tout bord ; elle sera remise en cause et ce que nous avons entrepris, démantelé avec une sorte d’acharnement haineux de juin 91 à avril 94 – date de l’accord avec le FMI. On est revenu sur le transfert de souveraineté économique vers le marché et ce retour en arrière s’est traduit par trois éléments importants.
- Le déclin rapide du secteur public. Ce secteur a été déstabilisé par le retour aux tutelles. Cela a entraîné la disparition de toute politique industrielle. Les responsables des entreprises publiques ont abandonné tout effort d’assainissement ou de restructuration de leurs entreprises, profitant de la reprise des subventions du Trésor public et du commerce protégé. C’est la période ou l’autoritarisme bureaucratique a suspendu les règlements du Conseil de la monnaie et du crédit …. Ce retour au dirigisme a entraîné l’irresponsabilité au niveau du secteur public du fait que les dirigeants des entreprises n’étaient plus obligés par les fiduciaires et les contrôles des conseils d’administration ;
- En deuxième lieu, le secteur privé s’est mis en position d’expectative. Lui aussi avait obtenu son autonomie à travers les chambres de commerce et une série d’action pour pouvoir passer au marché à travers, notamment, la réforme fiscale. Ce secteur, hormis les éléments insérés dans des clientèles, est revenu à une situation d’attente ;.
- L’inflation par la monnaie a repris accompagné de la réduction de la production, pénalisant les revenus fixes et les activités jusqu’à la cessation de paiement. L’accord avec le FMI a d’abord été vécu comme une délivrance, mais, très vite, salariés et producteurs déchanteront. Le cour des conditionnalités est simple : les responsables des entreprises publiques doivent cesser de se financer à crédit et abandonner toutes les activités qui n’étaient pas financièrement rentables. A travers cette politique financière à court terme, on a mis ces dirigeants en situation d’envisager les fermetures et les licenciements. Les conditionnalités du FMI entraînent des coûts de crédit extrêmement élevés et des restrictions de ce même crédit Les gestionnaires devaient se démettre d’un certain nombre de responsabilités directes qui étaient confiées, de nouveau, à des holdings contrôlées par les tutelles ministérielles. Ils se trouvaient donc dans une situation où ils ne pouvaient pas décider d’une stratégie à moyen terme pour leurs entreprises et où les coûts financiers de cette politique étaient exorbitants. L’effondrement du secteur public s’est accéléré à ce moment-là.
Le prochain responsable de l’économie va donc se trouver devant la situation où le secteur public a pratiquement disparu, toute l’activité industrielle est pratiquement en déshérence accélérée et où il sera obligé d’imaginer une nouvelle politique industrielle et une nouvelle politique financière, s’il veut sortir de la crise économique actuelle.
L.A: Justement, y a t il vraiment possibilité d’alternative ?
G. Hidouci : Evidemment. Elle est imaginable surtout dans les moments de grandes tensions. L’accord avec le FMI s’est achevé au mois de mai dernier. Le FMI a fort bien rempli sa mission qui consistait, rappelons le, à s’assurer que l’Algérie avait la capacité de rembourser les crédits consentis par les créanciers internationaux. Et ceci, le Fonds l’a fait en essayant de détruire le marché intérieur, par le ralentissement de la demande – seuls les travailleurs, les salariés, ont payé les effets de la dévaluation – et par la perte d’une politique industrielle et d’investissement. Le FMI a gagné. Les importations sont passées à un niveau en 1998 inférieur à ce qu’il était il y a dix ou quinze ans ! Le pouvoir d’achat a baissé de plus de moitié, la demande a donc fortement diminué. Le marché intérieur s’est réduit au profit de formes d’intermédiations spéculatives massives, cela aussi est un élément essentiel auquel va être confronté un gouvernement qui voudra sortir de la crise. Qu’est-ce qui a remplacé la dynamique interne ? C’est l’ancrage d’une faible minorité de privilégiés sur le commerce extérieur et la spéculation monétaire, fortement encouragée par la Banque d’Algérie. L’Algérie a ainsi échoué avec l’ajustement structurel et elle a radicalement échoué dans la construction d’un marché intérieur, et donc dans la construction d’une économie de marché. Mais une minorité d’algériens a réussi à s’intégrer au marché international, par des transactions spéculatives sur le commerce extérieur et sur la monnaie. Cette minorité s’apprête à transformer le produit du travail des algériens en « avantages comparatifs » comme disent les mauvais économistes, dans le cadre de détournements nationaux et étrangers sur les privatisations. Nous sommes un pays qui nourrit les marchés internationaux de spéculation financière, monétaire et commerciale sur la base du peu de valeur ajoutée qui reste sur le marché national. Le renversement de cette situation est l’alternative économique nécessaire en Algérie, pour reprendre l’investissement, la production et la croissance à partir de nos propres ressources. C’est l’obligation d’un gouvernement responsable.
L.A: Durant votre participation au gouvernement en 1989-91, vous aviez opté pour le reprofilage de la dette au lieu d’un accord FMI avec des conditionnalités. C’est toujours un sujet controversé, pensez-vous que cela aurait permis d’éviter les fourches caudines du FMI ?
G.Hidouci : Cela remonte, presque, à dix ans. Mais si cela demeure controversé, parlons-en.
Le choix du reprofilage se posait pour nous de la manière suivante : ne pouvant obtenir l’aval du FMI pour aller au club de Paris et au club de Londres sans conditionnalités, le seul recours était le marché privé des capitaux. En 1990 les réserves de l’Algérie étaient de 300 millions de dollars, elles sont estimées aujourd’hui à 8 milliards de dollars. Seule notre crédibilité pouvait nous apporter des financements, nous refusions d’abandonner la politique industrielle en contrepartie du rééchelonnement. Beaucoup de gens prétendaient que nous refusions les conditionnalités par patriotisme ou je ne sais quoi d’autre. Nous ne pouvions rééchelonner à cause des conditionnalités que nous refusions, pour deux autres raisons. Nous étions opposés à la gestion par injonctions du FMI, notamment en matière de politique monétaire. Nous considérions que le Fonds n’avait pas le droit de nous imposer ses méthodes ; la loi sur la monnaie et le crédit démontrait sans ambiguïté notre volonté de libéralisation de l’économie. L’autre raison, et ce n’est pas la moindre, était que nous étions aussi un gouvernement de transition. Nous étions dans un processus démocratique et nous n’avions pas l’autorité politique d’une assemblée élue dans le cadre de la nouvelle constitution. Pour ces deux raisons, nous étions obligés d’aller au reprofilage. Le reprofilage n’était pas une option, c’était la seule solution. Je crois que le débat là dessus a été biaisé, par incompétence ou par intérêt politicien.
Aujourd’hui, le problème de la dette extérieure et de sa gestion ne se pose pas de la même manière. Il y a eu rééchelonnement, sans examen par une assemblée élue, mais il y a eu rééchelonnement. A partir de ce moment, on peut passer plusieurs fois devant les clubs de Paris et de Londres, sans grand questionnement politique. La question qui se pose pour un futur gouvernement, comme elle s’est posée pour nous, est de savoir s’il peut passer devant le club de Paris et Londres sans conditionnalités. Je dis oui, à condition qu’un tel gouvernement soit l’expression d’un choix démocratique et libre, sans quoi il ne peut faire pression sur les créditeurs. Il doit mener aussi une véritable politique de transition vers le marché. Mais s’il persiste dans une politique indigne qui consiste à ne pas développer le marché algérien mais à soutenir l’intermédiation spéculative, comme au temps des comptoirs, entre des prédateurs algériens et les marchés internationaux, évidemment il est préférable pour lui de passer par des conditionnalités du FMI et de faire croire que c’est le FMI qui est le responsable de cette situation et non pas des Algériens. L’autre point, c’est que s’il y a un autre rééchelonnement, je préfère que, dans le cadre de la construction du marché, l’on négocie – le Maroc est en train de le faire – des transformations de dettes, plutôt que de contrôler l’argent de façon discrétionnaire et inefficace par les appareils d’Etat.
L.A. : Il n’empêche que le chef du gouvernement sortant M.Ouyahia a fait une allusion claire à votre période en qualifiant votre gouvernement, de « gouvernement de trabendo »…
G. Hidouci : Monsieur Ouyahia n’a pas succédé que je sache à notre gouvernement, pourquoi donc le prendre comme seule référence dans le bilan de sa gestion ? A l’entendre, l’économie algérienne n’aurait existé qu’entre 1989 et 1991, il a peut-être raison. De notre temps, lorsque j’avais présenté la deuxième loi de finances, un ancien président de l’assemblée avait parlé d’économie de bazar, ce n’est pas nouveau. Les gens qui se livrent au commerce « de la valise » prennent des risques et peuvent devenir des capitalistes sur un vrai marché. Contraints par le système à évoluer dans l’informel, cette catégorie d’acteurs économique paie des commissions. Faut-il le souligner ? Les trabendistes, eux, ne touchent pas de commissions, ils en paient. Ce que l’on appelle le trabendo c’est à dire le marché informel, n’est qu’un marché pré-capitaliste. Nous étions et je suis toujours pour que le trabendo intègre l’économie formelle. En revanche, je suis pour l’élimination de ceux qui prennent des commissions sur le dos du secteur public et du contribuable. C’est aussi en cela que nous sommes très différents de ce chef de gouvernement, qui ne doit parler de ce que nous avons fait que par ouï-dire. Ceux qui sont qualifiés de trabendistes sont des algériens qui essaient de gagner leur vie sur un vrai marché. Ce ne sont pas des bureaucrates cooptés ni des assistés sociaux, dont le seul rêve est de s’atteler aux intérêts étrangers au détriment de leur pays. Cette attitude de mépris du trabendo fait partie d’une culture pseudo – élitiste qui considère qu’il y a des citoyens de seconde zone. Nos alliés, ceux qui méritent le respect, sont dans le trabendo, ils ne sont pas dans la prédation du secteur public et le trafic d’influence.
L.A : Il y a un autre sujet controversé qui a fait, et qui continue, d’être l’objet de manipulations. Ce sont les rapports du ministère de l’économie d’alors avec le bureau d’études ACT. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point?
G. Hidouci : A l’époque, je n’aimais pas parler de cette affaire parce que j’avais honte que l’on puisse insulter, et de quelle façon méprisable, des gens parfaitement respectables et mêler un membre du gouvernement à des débats lamentables. Au sommet de la bureaucratie où ce genre de campagne était organisé, beaucoup n’étaient pas honorables. J’avais fait venir deux bureaux grands par leur qualité, mais petits par la taille. ACT, c’était cinq personnes et le bureau Georges Corm, qui se résumait à deux personnes. Il faut que les algériens sachent qu’il ne s’agit pas de grandes firmes de consulting qui passent leur temps, pour plusieurs millions de dollars, depuis trois ans – sur financement de la banque mondiale, payée par l’Algérie – à faire le bilan comptable des entreprises algériennes. Le bureau ACT a travaillé pour 1’Algérie pendant un an et demi. A cet égard, il n’est pas inutile de noter que le bureau ACT n’a d’ailleurs pas été payé pour sa consultation. Personne n’a donc bénéficié de retombées financières. Le reproche que l’on m’a fait, ouvertement, à l’époque, c’était que celui qui venait travailler pour ce bureau prenait des libertés, allait à des réunions au ministère, etc… Certes, ce ne sont pas les « libertés » prises depuis par les experts du FMI et les bureaux d’études de la banque mondiale. Eux n’assistent pas aux réunions des cadres techniques ; ils donnent des conférences télévisées à ces cadres. Enfin…Dans cette logique aberrante, notre administration aurait donc tant de choses à cacher qu’elle peut payer des consultants sans qu’ils assistent aux réunions de travail. Ce serait payer des consultants et omettre de les informer…. Personnellement, je considérais qu’un consultant dont nous avions besoin devait tout savoir au moins pour mériter le salaire qu’il percevait. Les autres reproches se sont exprimés dans des journaux par des supplétifs bien connus auxquels je n’ai pas répondu à l’époque. On nous reprochait également le fait que l’un de ces experts était juif, comme d’ailleurs Georges Corm a été traité de… chrétien. Un document de l’OLP attestait par ailleurs que Raymond Benhaïm (ACT) était membre de l’organisation palestinienne. Tout cette campagne cachait deux réalités importantes. Nous étions en train d’expérimenter des formules qui allaient obliger les monopoles importateurs algériens de passer à des transactions transparentes sur les marchés. En même temps, nous demandions aux exportateurs vers l’Algérie de venir s’installer en Algérie, de façon à ce qu’ils ne paient plus de commissions.
Ces deux éléments éliminent, à terme, les commissions du circuit des grands produits de consommations qui relevaient de marchés publics. C’était, cela reste, une source essentielle de commissionnement contre laquelle les algériens impliqués et leurs fournisseurs ont attaqué notre gouvernement. Ils ne pouvaient pas nous attaquer sur les formules que nous voulions expérimenter ni sur la pertinence d’une approche qui voulait – tout simplement – que l’algérien achète ses produits comme dans n’importe quelle société organisée. On nous a attaqué sur des références fascisantes qui font partie d’une très longue tradition totalitaire dans une partie des classes moyennes algériennes – on l’a fait parce que à l’époque, on avait cru que les islamistes allaient – selon les mêmes réflexes totalitaires – attaquer notre gouvernement sur ce plan. Les Islamistes n’ont pas marché dans cette combine. Par contre, dans les relais traditionnels du pouvoir, et dans leur presse, cet instrument de guerre psychologique a plutôt fonctionné. Et si cela reprend aujourd’hui, cela signifie que les mêmes cercles sont encore là et que la même culture est encore vivace. Après l’abandon de la souveraineté économique au FMI, après la participation de l’Algérie à la conférence de Charm Ech Cheikh pour la sécurité commune avec, entre autres, Israël, on continue de dresser les mêmes rideaux de fumée, en traitant les autres de sionistes et je ne sais quoi encore…
L. A. : Récemment un quotidien de l’ouest algérien disait en substance que vous vivez sur un grand pied grâce à vos relations passées avec le bureau d’études ACT. Pourquoi ne réagissez vous pas ?
G. Hidouci : Tant qu’il y a des lois d’exception, que les libertés publiques sont quotidiennement bafouées et qu’il n’y a pas de justice indépendante, il serait ridicule de réagir. D’ailleurs, beaucoup de vos confrères affirment que la justice est asservie et manipulée. Aller devant cette parodie de justice que des juges ont dénoncé cet été ? Je crois que, comme beaucoup de citoyens honnêtes, je n’ai aucune garantie face à un tel appareil.
L. A: Vous iriez en justice si la situation venait à s’améliorer ?
G. Hidouci : Cela va de soi.
L.A. : Après l’expérience démocratique de 1989-91, vous avez quitté rapidement le pays. Vous vivez en exil à Paris. Est-ce pour des raisons personnelles ou politiques
G.Hidouci: J’ai été parmi ceux qui ont, pendant plusieurs années, avec détermination, tenté de trouver une formule pour que l’Algérie connaisse un régime de libertés. Le 5 juin 1991, j’ai vu que nous retournions à un régime de non liberté, de non droit. J’ai considéré assez brutalement et rapidement que j’avais passé l’âge de supporter, dans mon propre pays, l’arbitraire d’un régime de non liberté. Je préfère l’exil.
Entretien réalisé par M. Hamena
Bio :
Haut-fonctionnaire dans l’administration économique de 1965 à 1982, Ghazi Hidouci rejoint la présidence de la République à la fin de 1984 où, il tentera, pendant quatre ans, de mettre en place la modernisation de la gestion économique. Les événements d’octobre 1988 permettront alors à l’équipe qu’il forme avec Mouloud Hamrouche de faire avancer réformes politiques et réformes économiques de front. Il sera ministre de l’économie du gouvernement formé par M. Hamrouche de fin 1989 à juin 1991.
A la fin de la même année, G. Hidouci choisit de s’exiler. Depuis sept ans, il mène, d’une part, une activité de consultant, pour l’ONU en particulier, en matière de transition économique et, d’autre part, d’enseignant contractuel d’économie financière internationale en France.