Bouteflika rejoint la francophonie ?

Bouteflika rejoint la francophonie ?

El Watan, 1 octobre 2002

Le président de la république, Abdelaziz bouteflika, sera probablement présent au 9e sommet de la francophonie, prévu du 18 au 20 octobre à Beyrouth au Liban. officiellement, cette participation n’est pas confirmée. L’agence APS (officielle) a, dans une dépêche datée du 29 septembre, répercuté un message du général Emile Lahoud, président du Liban, portant une invitation au sommet.

«Après le sommet arabe pour lequel vous m’aviez fait le plaisir d’accepter mon invitation (…), le Liban accueillera, pour la première fois en terre arabe, plus d’une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement venus des cinq continents et dont les peuples partagent à des degrés divers une langue, le français. Comme je vous l’avais dit lors de ma visite dans votre cher pays, je serais particulièrement heureux de vous compter parmi mes invités personnels à ce rendez-vous», a écrit le président libanais qui avait visité l’Algérie la fin juillet 2002. Pour Emile Lahoud, l’Algérie, «ancrée dans sa culture et son identité arabes», peut témoigner par sa présence au sommet de «la vigueur de sa personnalité aux côtés de ses nombreux amis africains qui seront à Beyrouth». Pivot de la francophonie au Moyen-Orient, le Liban milite au sein de cette entité linguistique depuis 1973, date de son adhésion à l’ACCT, devenue aujourd’hui l’agence intergouvernementale de la francophonie. La Présidence de la République algérienne n’a pas indiqué si le chef de l’Etat a accepté cette invitation.L ’agence française AFP a remarqué, dans une dépêche datée d’hier, que la publication du message d’Emile Lahoud «laisserait penser» que le président Bouteflika pourrait se rendre à Beyrouth. Les observateurs relèvent que l’ information circule à Alger au moment où s’ouvre une importante réunion d’ hommes d’affaires français du Medef. Simple coïncidence ?

L’Algérie ne fait pas partie officiellement de la Francophonie, reconnue comme institution politique depuis le sommet de Paris en 1986. Depuis son arrivée à El Mouradia, Bouteflika n’a pas cessé de plaider en faveur de l’ouverture sur les langues étrangères, notamment le français. En se rendant à Yaoundé, au Cameroun, en janvier 2001, au sommet France-Afrique,forum différent de la Francophonie, Bouteflika a cassé un tabou, puisqu’il a été le premier président Algérien à le faire. Le président français Jacques Chirac, qui a rencontré Abdelaziz Bouteflika au moins quatre fois, a souhaité que l’Algérie «franchisse le pas» et adhère à la Francophonie. Paris considère l ’Algérie comme l’un des plus grands pays francophones. Bouteflika a, dans ses nombreuses déclarations, avancé l’idée «d’échanges» : le français en Algérie, l’arabe en France. «Nous avons maintenant un lycée international français. Pourquoi n’aurions-nous pas une branche de l’ENA française ? Les gens ont besoin d’être un peu bousculés. Chacun s’est créé son fonds de commerce : le libéralisme, le régionalisme, la religion. Il faut en sortir. Je ne sais pas si je bouscule trop de tabous. Mais dès que j’en vois un, je ne résiste pas à l’envie de le remettre en question.

C’est tellement dur de changer des mentalités», a déclaré Bouteflika dans une interview au quotidien français Le Monde en février 2002. Il avait, en 1999, soutenu, dans une autre déclaration à la revue France-Pays arabes, que les relations de l’Algérie avec la France doivent transcender «tant les humeurs que les pesanteurs de l’histoire». Aspirant, depuis son arrivée au Palais d’El Mouradia, à se rapprocher de Washington, Bouteflika ne veut pas entendre parler de la Francophonie comme «ensemble» politico-culturel hostile au monde anglo-saxon. La Francophonie est, généralement, définie comme «une communauté linguistique regroupant tous les pays où le français est parlé comme langue maternelle, secondaire ou d’adoption». Née en 1950, l’Union Internationale des journalistes et de la presse de langue française (UIJPLF) est la première organisation à se réclamer de la francophonie. Le sommet de Beyrouth sera inscrit sous la thématique du «Dialogue des cultures». «Après les événements du 11 septembre 2001, ce dialogue est impérieux face aux risques d’intolérance et de renfermement (…) La Francophonie se doit d’aménager un nouvel espace de concertation et de plaider en faveur d’une approche ouverte et plurielle de la culture et des civilisations», estiment les organisateurs du sommet. Beyrouth accueillera, parallèlement au sommet, le Forum francophone des affaires et la réunion de l’Association internationale des maires francophones.

Par Fayçal Métaoui

————

SOMMET DE LA FRANCOPHONIE / Le poids du passé

La présence probable du président Bouteflika au 9e sommet de la francophonie qui se tiendra dans la capitale libanaise, Beyrouth, du 18 au 20 octobre, si elle se confirme, ne manquera pas de susciter en Algérie de vives réactions tant cette question sensible est fortement controversée.

L’Algérie est l’un des rares pays francophones à ne pas adhérer à cet ensemble à l’origine à vocation culturelle avant de s’ouvrir sur de nouveaux horizons, politiques, particulièrement depuis le sommet de Chaillot, en France en 1991. Le poids douloureux du passé explique les réticences, voire les résistances féroces opposées à l’entrée de l’Algérie dans cette organisation, particulièrement dans les milieux islamo-conservateurs. Le sentiment de rejet fut exacerbé à un point tel que le seul fait de s’ exprimer dans la langue de Molière suffit pour être catalogué de «parti de la France» (hizb frança) et désigné à la vindicte publique. C’est dire les effets ravageurs provoqués par l’instrumentalisation et «l’idéologisation» de cette question, source de division de la société en courants de pensée antagonistes entre arabophones et francophones sur fond d’accusation de dépersonnalisation pour les uns, et de conservatisme primaire pour les autres. Au milieu de ce choc culturel qui n’est pas sans conséquence sur la cohésion sociale, un homme, nanti d’un rare courage politique, le président Boudiaf, décida de tutoyer l’histoire en remettant à zéro les compteurs du débat sur la question linguistique en Algérie à travers l’initiative très décriée par les milieux islamo-conservateurs du gel de la loi sur la «généralisation de la langue nationale». Sans aller jusqu’à s’impliquer aussi loin en assumant sans complexe et sans fioriture cet héritage culturel, Bouteflika a, d’une certaine manière, cassé un tabou qui a fait jaser dans les chaumières des partisans de la purification linguistique en s ’adressant en français dans ses discours aux Algériens et aux partenaires étrangers. Cette audace lui a valu de vives critiques de ces mêmes milieux qui avaient fait flèche de tout bois pour dénoncer ce qui fut considéré comme le signe annonciateur d’une volonté de préparer le terrain à un retour en force du français et de la France en Algérie. En fin manœuvrier, Bouteflika a réussi à se sortir sans encombre de cette passe d’armes avec les tenants du panarabisme pur et dur, un geste politique qui a fortement séduit à l’extérieur, notamment en France. Certains animateurs en vue de ce courant furent vite neutralisés selon la bonne vieille recette du sérail en les intégrant dans le système, en leur confiant des responsabilités dont ils sont si friands. Mais pour autant, le débat est loin d’être clos. Sans nul doute, la présence de Bouteflika au prochain sommet de la francophonie ne manquera pas d’être perçu par ces milieux comme un premier pas vers l’ adhésion de l’Algérie à cette organisation, même si le pays hôte et les responsables en charge de la francophonie, conscients de la charge émotionnelle qui entoure ce dossier en Algérie, ont pris le soin de mettre les formes en donnant à l’invitation de Bouteflika un caractère de visite d’ Etat l’invitation émane du président libanais sans vraiment l’être. L’ initiative risque fort de raviver le débat et de lui donner d’autres prolongements. La réforme du système éducatif peine à voir le jour du fait du tir de barrage des conservateurs qui n’ont pas caché tout le mal qu’ils pensaient de la commission Benzaghou qui a planché sur le dossier. Certaines mesures conservatoires d’urgence sont annoncées pour très prochainement. La présence de Bouteflika au sommet de la francophonie est d’une certaine manière une aubaine politique pour les islamo-conservateurs pour retarder ou tenter de faire échec au projet de réforme du système éducatif. L’issue de ce dossier ne laissera pas indifférents nos partenaires traditionnels, notamment la France, qui suivent avec intérêt l’aboutissement et l’ approfondissement de ces réformes.

Par S. B.