Attentats du RER: deux accusés et des absents
Attentats du RER: deux accusés et des absents
Bensaïd et Belkacem ne reconnaissent plus les assassinats.
Par Patricia Tourancheau, Libération, 02 octobre 2002
Le greffier a détaillé notamment les 8 assassinats et 149 tentatives imputés à Boualem Bensaïd dans le RER à la station Saint-Michel ; les 31 tentatives d’assassinats non loin du métro Maison-Blanche le 6 octobre 1995. lus de «Allah Akbar» intempestifs, plus de revendication publique d’une nationalité «musulmane» et d’une appartenance au GIA. Boualem Bensaïd et Smaïn Aït Ali Belkacem, âgés de 34 ans, se sont présentés hier à la cour d’assises spéciales de Paris en accusés respectueux et policés, pour répondre de trois attentats commis à Paris en 1995. Les deux Algériens, en juin 1999, au tribunal correctionnel de Paris, refusaient la justice des hommes, réclamaient moult pauses pour la prière, s’affichaient en militants politico-religieux et artisans du Jihad (guerre sainte) contre la France. Si Smaïn Aït Ali Belkacem a gardé sa barbe fournie, Boualem Bensaïd l’a rasée, à l’exception d’un bouc, et roule ses muscles sous un tee-shirt immaculé. Profession ? «Educateur sportif». Belkacem, lui, est «infirmier». Décontractés, les deux comparses se rapprochent et échangent un sourire, un geste que cent dix victimes massées dans la salle ne supportent pas.
Bonbonnes de gaz et désherbant. Sur le banc des accusés, un troisième homme manque : Rachid Ramda, le financier présumé, «retenu depuis sept ans par les autorités britanniques qui n’ont pas exécuté l’extradition», souligne le président Jean-Pierre Getti qui «disjoint» son cas de ce procès. Exit donc la comptabilité retrouvée à Londres à l’adresse de Ramda, qui listait les envois de fonds à «Mehdi», Boualem Bensaïd, et à «Tarek», Ali Touchent, émir supposé du GIA en Europe et en fait agent double de la sécurité militaire algérienne. Selon ses calculs, la campagne d’attentats en France (un assassinat, cinq attentats et trois tentatives) entre le 11 juillet et le 17 octobre 1995 a coûté 123 959 francs, en voyages, logements, bonbonnes de gaz, poudre noire, désherbant, piles, réveils, ampoules, et «friandises», c’est-à-dire les clous et boulons, la mitraille des bombes. Voilà donc un procès amputé de deux accusés de poids. Ali Touchent, recherché par Interpol, a échappé à toutes les polices avant de se réfugier… en Algérie, sous la protection des militaires, et de mourir dans des circonstances obscures en 1997. Ramda fera l’objet d’un futur procès par contumace (en son absence) à Paris.
A l’appel des dix-huit experts et des quinze témoins (sept policiers, un armurier, deux logeurs, des passagers du RER, etc.), l’accusateur principal de Bensaïd dans l’attentat meurtrier de Saint-Michel le 25 juillet 1995, ne répond pas, volatilisé. Nasserdine Slimani, petit soldat de l’islam, basé à Vaulx-en-Velin, qui a été condamné à huit ans de prison pour «association de malfaiteurs terroristes», a disparu à sa libération et risque de ne plus balancer son chef au procès. L’avocat général Gino Necchi l’a bien compris qui ne l’a pas cité. Alors, la défense l’a fait. Le président ordonne de rechercher Slimani.
Plus tard, un vieil avocat algérien demande à se constituer partie civile in extremis, au nom d’une certaine «Fédération internationale des victimes du terrorisme» montée en Algérie en 1999, qui intrigue le président et Me Holleaux, avocat des victimes : «Nous ignorions l’existence de cette association et nous nous méfions de la compassion dans la publicité». La demande de ce suspecté sous-marin de l’ambassade d’Algérie a été rejetée. En marge de l’audience, Françoise Rudetzki, présidente de SOS-Attentats, a qualifié cette tentative d’intrusion «d’opération diligentée par le gouvernement algérien qui, d’ailleurs, n’a jamais coopéré avec le juge Bruguière sur le détournement de l’Airbus d’Air France en décembre 1994». Invité à s’exprimer sur cet incident, Bensaïd lance à demi-mot une attaque contre les autorités de son pays qui jette le trouble sur la paternité exacte des attentats : «Ce sont les premiers accusés qui viennent se constituer en victimes et ça, c’est le monde à l’envers.»
«Logique». La lecture, durant quatre heures, des 95 pages de charges qui pèsent sur Bensaïd et Belkacem, a monopolisé la première audience de ce procès prévu jusqu’au 31 octobre. Le greffier a détaillé les 8 assassinats et 149 tentatives imputés à Bensaïd dans le RER à Saint-Michel ; les 31 tentatives d’assassinats non loin du métro Maison-Blanche le 6 octobre 1995 ; sa complicité dans l’explosion du RER à Musée d’Orsay le 17 octobre (27 blessés dont 7 mutilés), et la pose de la bombe par Belkacem lui-même. Mais les deux accusés ne reconnaissent plus du tout les faits. «La logique veut que je conteste, a déclaré Bensaïd, il y a trop de contradictions dans la lecture, et ça confirme le refus d’autres nations d’envoyer à la justice française certains témoins ou accusés.» Belkacem a renchéri : «J’ai la preuve que je n’étais pas présent».