Quelle stratégie pour l’Algérie ?

LES ETATS-UNIS PREPARENT LA GUERRE TOTALE CONTRE LE TERRORISME

Quelle stratégie pour l’Algérie ?

Mounir B., Le Quotidien d’Oran, 15 septembre 2001

En 1994, Alger avait demandé à plusieurs états occidentaux, dont les Etats-Unis, de lui fournir des images satellites des concentrations terroristes dans les maquis algériens. Aucun état n’avait accepté alors d’aider l’armée algérienne à éradiquer les poches restantes. Aujourd’hui, c’est au tour des Américains de solliciter l’aide de certains pays arabes, dont l’Algérie.

Confrontée depuis une décennie à l’Internationale islamiste qui avait pour objectif d’installer un état théocratique et fondamentaliste au centre du Maghreb, l’Algérie a dû se battre seule. Alors que la diplomatie algérienne sollicitait les Occidentaux pour couper les vivres des islamistes réfugiés en Europe et aux Etats-Unis, ne pas leur accorder le droit d’asile et même à extrader les commanditaires du terrorisme en Algérie, Américains et Européens prenaient le chemin inverse, consolidant, par leur attitude laxiste, les bases arrières du terrorisme.

Pire, alors qu’Anouar Haddam revendiquait l’attentat du boulevard Amirouche, le département d’Etat américain le faisait venir, trois semaines plus tard, par avion spécial depuis Washington jusqu’à Rome, pour présider la réunion de Sant-Egidio, sous les auspices de l’agent américain de la CIA, Ronny Brown, où il fut demandé à l’Algérie une véritable capitulation en faveur du FIS. Cette logique de dialogue « forcé » avec les courants islamistes locaux, même les plus extrémistes, que Washington demandait incessamment à Alger depuis des années, va-t-elle changer ? Les Etats-Unis vont-ils demander aux Algériens de revoir leur politique à l’égard des islamistes après la concorde civile ? La réconciliation nationale qui suppose, selon certains, une intégration plus large des islamistes, aura-t-elle un sens après l’onde de choc américaine ? Quelle stratégie va adopter dorénavant Bouteflika ?

A ces interrogations, un début de réponse déjà. Celle d’Ahmed Ouyahia qui a récemment encore pris position contre le «chapitre clos» du FIS, rejetant toute idée d’élargissement aux islamistes extrémistes, mais qui demeure tout aussi attaché à la concorde civile qu’il considère comme « irréversible », car « c’est l’option efficiente, que personne ne peut remettre en question, car elle contribue à améliorer la situation sécuritaire et dévoiler, à la société, les criminels, les traîtres et les mercenaires ».

Cette politique a eu pour les experts sécuritaires un apport indéniable dans l’isolement des groupes GIA et GSPC «résiduels», qu’une source gouvernementale estimait récemment entre « 660 et 800 terroristes », surtout à travers l’apport technique de l’AIS dans la traque terroriste. L’expérience ayant réussi, les observateurs politiques s’interrogent sur le devenir d’une réconciliation nationale que certains, comme le général Attaïlia, confondent avec l’amnistie du GIA. Est-elle toujours viable au regard du contexte mondial impulsé par des représailles américaines pour une guerre totale contre les mouvements islamistes ?

Il est évident qu’Alger a vu ses thèses confortées par cette réaction internationale. Certains Européens et Américains revoient la situation algérienne sous un autre prisme, après avoir émis des suspicions illégitimes sur la qualité « islamiste » des actes terroristes perpétrés. Les sacrifices de la société algérienne commencent à être estimés à leur juste valeur par les états occidentaux, mais d’autres aspects vont influer, à l’avenir, sur la donne terroriste interne à l’Algérie, qui est en relation étroite avec la série de mesures que va prendre Washington.

Dans leur désarroi, les Etats-Unis sont à la recherche de coupables et des sources militaires ont confié au Washington Post que le Pentagone examinait la possibilité d’opérations des forces spéciales contre des terroristes au Yémen, au Soudan, au Pakistan et en… Algérie ! La confusion entre les états-parias qui soutiennent les terroristes et qui les abritent, avec des états meurtris par le terrorisme (plus de 120.000 morts) est monstrueusement farfelue, mais aussi dénote de l’embarras des Américains. Car, sur ce plan de l’entraide internationale et d’assistance mutuelle contre le terrorisme qui, selon Ouyahia « n’est pas une affaire politique mais un fléau contre l’humanité », les Américains ont d’autres options, notamment vis-à-vis de l’Algérie.

Washington devrait commencer par inscrire le GSPC de Hassan Hattab dans la liste des organisations terroristes du département d’Etat où l’organisation salafiste ne figure pas, malgré ses connexions avérées avec le mouvement d’Oussama Ben Laden (seul le GIA y est répertorié). Elle devrait aussi prendre en considération, dans le cadre de l’OTAN ou autre, les sollicitations algériennes à une aide militaire directe qui permettrait de mettre hors d’état de nuire les poches résiduelles du terrorisme en Algérie qui fait encore des centaines de victimes.

Les Etats-Unis pourraient également exercer des pressions sur les états d’Europe Occidentale afin de s’attaquer énergiquement aux réseaux islamistes qui alimentent les groupes locaux en armement. Probablement, ils n’auraient pas à le faire, d’autant plus que des réseaux islamistes sont, bizarrement, inquiétés aujourd’hui à Rome, Rotterdam, Hambourg ou Londres, du moment que l’attentat visait les Etats-Unis. Washington devrait, finalement, arrêter de cautionner tacitement les islamistes algériens, essaimés à travers l’Europe, et contraindre ses partenaires occidentaux à les isoler politiquement.

« Ces actes sont la marque ignoble du terrorisme aveugle qui frappe un peu partout dans le monde », avait écrit Bouteflika à Bush. Après les attentats américains, Washington n’a évoqué que la riposte, constatant dans sa chair qu’un dialogue avec les factions intégristes, est du domaine de l’impossible. Chose que les Occidentaux ne cessaient de reprocher précisément à l’Algérie dans sa lutte contre le terrorisme durant toute une décennie.