L’Ambassadeur français en Algérie: «Nous n’avons aucune frilosité à l’égard du marché algérien»

Son Excellence Hubert Colin de Verdière, ambassadeur de France en Algérie, à la Tribune

«Nous n’avons aucune frilosité à l’égard du marché algérien»

Depuis une année ou plus, l’Algérie et la France ont retrouvé un terrain d’entente avec la volonté affichée des deux parties de s’engager davantage dans une coopération économique, politique et culturelle plus approfondie. Une année après, où en est-on ? Il est vrai que les visites et les contacts se sont multipliés mais des difficultés demeurent, selon bon nombre d’observateurs qui vont même jusqu’à récuser le concept de refondation lancé en 1999 d’un bureau du Quai d’Orsay. Dans cet entretien, qu’il a bien voulu accorder à la Tribune, l’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, défend le concept de refondation et le considère toujours comme pertinent. Il admet l’existence de difficultés, mais elles sont, pour une large part, tributaires, dit-il, de la passion qui a toujours gouverné les relations entre les deux pays ainsi que du processus très particulier et délicat de transition par lequel l’Algérie passe aujourd’hui. Entretien

Par Abdou B. et Noureddine Azzouz, La Tribune, 29 novembre 2001

LA TRIBUNE : Des observateurs affirment que depuis la visite de Bouteflika à Paris, rien de concret ne s’est passé dans les relations entre l’Algérie et la France. Partagez-vous cet avis ?

Hubert Colin de Verdière : Evidemment non. Je crois au contraire que depuis 18 mois, nous avons énormément avancé sur des dossiers qui précisément avaient été évoqués au moment de la visite de Bouteflika à Paris. Sur le plan politique, nous avons mené à bien des négociations qui n’étaient pas simples. Je parle notamment de celles qui nous ont conduites à actualiser l’accord datant de 1968 sur la circulation et le séjour des Algériens en France. En l’an 2000, tout le monde évoquait les difficultés d’accès aux visas d’entrée en France. On en parle encore, parce que nous ne pouvons pas tout faire du jour au lendemain, mais bien des choses ont été réalisées. Nous avons, par exemple, multiplié nos capacités d’accueil ici à Alger. Dans la perspective d’une demande plus forte d’année en année, nous y avons d’autres projets d’investissement. A Annaba, nous avons ouvert un consulat pour traiter une demande qui est également en forte augmentation. A Oran, les travaux de construction de nouvelles structures ont commencé et devraient être terminés plutôt que prévus. Dans la foulée, permettez-moi d’ajouter que dans le domaine de la coopération culturelle, nous sommes en train de lancer les travaux du nouveau lycée international à Ben Aknoun qui nous permettront de lancer les premières classes à la rentrée prochaine. Le tout s’est passé en très peu de temps.

En 1999, on avait, à propos des relations franco-algériennes, le concept de refondation. Pensez-vous qu’il demeure toujours pertinent?

Mais très profondément ! Le concept vaut ce qu’il vaut mais il recouvre bien le progrès que nous avons enregistré dans les négociations de dossiers d’intérêt commun. Si en 1999, nous avons lancé ce concept, c’est parce qu’il y avait une forte impulsion confirmée par la visite de Bouteflika à Paris. Elle est encore nécessaire. Les Algériens comme les Français vont avoir besoin de cette incitation politique. A terme, il s’agit de faire plus. Il existe aujourd’hui un ensemble d’éléments ainsi qu’un grand nombre de réalisations communes qui montrent comment la donne entre l’Algérie et la France s’est profondément modifiée. La société française comme la société algérienne continuent de faire des choses dans le sens de ne pas entraver cet exercice de refondation.

Un des points importants du débat à l’époque portait sur la coopération économique. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Je dirais qu’en ce qui concerne la coopération économique, nous sommes portés par les réformes que vous avez lancées et leur développement. L’Algérie est dans une phase de transformation radicale à terme. C’est un processus difficile et progressif. C’est même une dialectique : il y a des tensions et des résistances de la même façon qu’ailleurs dans les pays qui ont changé de culture économique. Ces expériences là, hormis quelques rares exceptions, nous montrent qu’on ne change pas en un jour vers une économie de marché. Il faut en tenir compte sachant que nous revenons de loin.

Aujourd’hui, croyez-vous que la situation a changé ?

Déjà, la situation n’est plus la même qu’il y a trois ou quatre ans. A cette époque, l’Algérie était encore au tout début du processus de transition. Notre coopération visait à épauler pour un temps cette transition. Ce qui a changé, c’est qu’on va pouvoir agir afin d’appuyer plus fortement les réformes que les Algériens veulent faire aboutir. La volonté de changement est plus forte et plus perceptible. Et c’est parce qu’il y a une volonté de changement que nous pouvons adapter nos mécanismes, les développer et les focaliser sur les articulations de votre changement.

Vous voulez sans doute parler des privatisations…

Naturellement. Ces opérations ne se font pas en un jour. Et je comprends qu’une privatisation ne se fait pas facilement, en raison des remous et des secousses qu’elle provoque. Une privatisation doit se faire dans les meilleures conditions possibles. Cela dit, il y a une volonté politique forte qui s’est traduite, entre autres, par l’adoption par ordonnance d’un texte la concernant et qui doit être mis en œuvre.

On reproche à la France une certaine frilosité à s’intéresser au marché algérien…

J’ai entendu ce terme, mais sauf s’il exprime une attente extrêmement forte, il ne correspond pas à la réalité. Pour citer quelques exemples, nous avons conclu des contrats de coopération dans le domaine stratégique de l’eau : une station de désalinisation d’eau de mer qui doit voir le jour bientôt près d’Oran. L’Agence française de développement participe au financement du projet. Mais avant de continuer, j’aimerai poser une question : êtes-vous allé cette année à la Foire internationale d’Alger. Est-ce que vous avez vu la proportion des entreprises françaises par rapport au reste des entreprises. Il y avait à peu près 300, les autres devaient tourner autour de 120 entreprises.

D’accord, mais vous trouverez toujours des gens qui, à juste titre, vous diront qu’une présence pareille n’est pas représentative d’un processus de coopération économique, non ?

Je suis d’accord, mais on ne peut pas nier que cette présence forte est quand même tributaire de l’intérêt profond que portent les opérateurs français au marché algérien. Pour l’essentiel, il s’agissait de PME qui ont repris le chemin d’Alger. Un grand nombre d’entre elles travaillent aujourd’hui sur le terrain avec des PME algériennes. Il y a de la part de ces PME françaises un appui important en matière d’équipement, de marketing et de management. Cette coopération, croyez-moi, pousse à l’éligibilité des entreprises algériennes aux critères de l’économie de marché. Je ne parlerai pas des autres domaines d’activités telles que l’agriculture, l’aménagement du territoire, l’habitat sur lesquels nous travaillons ensemble. A ce titre, nous proposons des programmes qui nous engagerons non plus ponctuellement mais sur des périodes allant de 3, 4 à 5 ans. Je préciserai que nous travaillons en coordination avec d’autres programmes tels que ceux développés par l’Union européenne dans le cadre du programme Meda, non pas pour faire double emploi, mais pour les accompagner, les compléter ou les consolider.

Les critiques concernent davantage les grandes entreprises…

On dit que les grandes entreprises sont frileuses ? Je n’en suis pas sûr. Et je pense même le contraire. A ce propos, je me réjouis que le groupe Danone ait récemment confirmé la finalisation de sa prise de participation majoritaire dans le groupe Djurdjura. Cette opération constitue un très bon signal en matière de coopération dans des domaines susceptibles de créer de grandes richesses. Je le dis, parce que comme vous le savez, le secteur de l’agroalimentaire est un secteur stratégique. Il connaîtra dans les prochaines années un accroissement considérable et ses potentialités demeurent énormes. Il en est de même pour les hydrocarbures, un secteur clé de l’économie algérienne : les contrats stratégiques signés par Gaz de France et par TotalFinaElf, notamment pour la construction d’un gazoduc devant relier le sud-ouest algérien à Arzew constituent aussi des indices importants d’une coopération qui va crescendo et qui pourrait atteindre des proportions très importantes en fonction des besoins de l’Algérie. En résumé, nous ne pouvons pas donc parler de frilosité. Si l’Etat algérien a déclaré ces entreprises adjudicataires de ces projets, c’est parce qu’elles se battent pour être les meilleures sur tous les plans pour arracher des marchés. Encore une fois, tout cela s’est passé en peu de temps.

Depuis 18 mois, on parle beaucoup de la nécessité du dialogue politique. Se poursuit-il au rythme voulu par les deux pays ?

On peut toujours faire mieux. En fonction du moment, en fonction des besoins. Les deux parties insistent sur la nécessité du dialogue politique sans lequel la coopération économique ne peut pas être conçue efficacement. Lors du colloque qui s’est tenu le mois dernier à Paris, une manifestation à laquelle ont participé les ministres Mourad Medelci et Noureddine Boukrouh ainsi qu’un nombre important de chefs d’entreprise algériens, les opérateurs français ont exprimé, comme jamais auparavant, leur intérêt pour le marché algérien. C’est là aussi un signe fort que nous ne sommes qu’au début d’un processus devant impliquer plus étroitement les opérateurs français et algériens. Concrètement, nous travaillons actuellement à renforcer la coopération avec les institutions qui sont au cœur de la problématique des réformes : je parle de la coopération dans le domaine de la réforme de la justice. A ce propos, nous travaillons avec des organismes tels que le ministère de la Justice, la Cour suprême, la Cour des comptes, l’école des magistrats. Nous travaillons en coopération sur la mise en place de brigades judiciaires. Un programme qu’il s’agit de finaliser sur plusieurs années.

Pourtant, il subsiste toujours des malentendus. La réforme de l’école, qui n’a pas encore vu le jour, a fait les frais d’un procès contre la langue française. On a accusé la France de vouloir imposer sa langue.

Je ne me prononce pas sur cette question.C’est aux Algériens de savoir quelle est la place d’une langue étrangère comme le français en Algérie. Bien sûr j’ai mes souhaits, mais ils restent personnels, c’est mon affaire si je puis dire. L’important est que les Algériens fassent des choix conforment à la logique de réformes qui prévaut dans leur pays. Je dis cela en pensant que la réforme de l’éducation, et du système universitaire bien entendu, constitue un segment très important dans la logique générale des réformes. Entreprises dans le pays et que sa réussite pourrait faciliter le reste. Une université performante est d’un atout considérable pour un pays qui s’apprête à s’insérer dans l’économie internationale. La signature de l’accord d’association avec l’Union européenne est à ce propos une échéance majeure, très significative. Du partenariat. Lorsque les choix seront faits, et parce que nous sommes un partenaire majeur de l’Algérie, nous serons là pour appuyer toute réforme faisant de l’université un outil de performance, capable de donner les cadres qu’il faut pour bien négocier les défis de l’avenir. Nous serons là dans la maîtrise des langues étrangères, le français en est une.

Les consignes de sécurité que publie le Quai d’Orsay aux voyageurs français n’ont pas été comprises par les Algériens. Certains les ont même perçues comme une forme d’ostracisme politique…

Deux éléments d’information ! La première est que nous avons une obligation légale d’informer nos citoyens sur les risques qu’ils courent lorsqu’ils voyagent dans certains pays, l’Algérie compris. Nous ne pouvons pas prendre la responsabilité, lorsqu’ils s’en remettent aux services du ministère des Affaires étrangères, de leur dire voyager sans risques dans des pays qui, justement, présentent des risques. Nous serions pénalement responsables si nous prétendions qu’il n’y a pas d’attentats en Algérie et qu’il s’agit pour tout le monde de faire des voyages en Algérie n’importe quand, n’importe où et n’importe comment. Nous ne pouvons pas maquiller la réalité. La seconde information : si vous regardez de près le site du Quai d’Orsay, vous remarqueriez qu’il a beaucoup évolué par rapport à il y a 7 ou 8 ans en fonction justement de la bonne évolution des choses. Par ailleurs, je vous rappelle qu’en 1999, le gouvernement français a publiquement insisté devant les opérateurs français à revenir en Algérie.

Il y a toute une polémique autour du refus d’Air France de desservir l’Algérie. Certains parlent d’embargo…

Je vous le dis tout de suite : il n’y a pas d’embargo aérien sur l’Algérie. Air France est une entreprise économique qui évolue selon ses propres règles et sur lesquelles je n’interfère pas. C’est aux compagnies aériennes de régler leurs problèmes elles-mêmes, conformément aux cahiers des charges établis par la Direction française de l’aviation civile et par le ministère algérien des Affaires étrangères. Je peux émettre un avis ou un souhait, mais sans plus. Je me réjouis que d’autres compagnies aériennes se proposent de desservir prochainement l’Algérie.

La crise en Kabylie, son ampleur, a provoqué une certaine crispation dans les relations algéro-françaises. A demi-mots, la France a été accusée d’ingérence…

Il y a eu énormément d’émotion autour de cette affaire kabyle et c’est parfaitement normal je dirais, car, nous avons en France des opinions qui sont très sensibles à ce qui se passe en Algérie : nous avons une très forte communauté d’origine kabyle, plusieurs centaines de milliers, qui s’est exprimée avec passion et s’est émue du nombre de morts et de victimes. C’est son droit. Il y a eu un débat au sein de la classe politique, il y a eu des faits qui ont été relatés sous la responsabilité des médias français. Mais pour ce qui est du gouvernement, il a observé beaucoup de retenue que possible dans ses commentaires. Je crois pouvoir constater que dans ces commentaires, il n’y pas eu d’ingérence, encore moins une volonté de la susciter.

Y a-t-il eu des demandeurs d’asile aussi nombreux comme on le dit ?

Je demande à voir. Il y a des organismes qui sont là pour faire de la publicité autour de phénomènes qui, à ma connaissance, restent pour l’instant tout à fait marginaux.

Des observateurs estiment que le 11 septembre a rendu plus audible le point de vue de l’Algérie en France. Est-ce le cas ?

Ce qui s’est passé le 11 septembre a obligé tout le monde à réfléchir sur le terrorisme et les menaces nouvelles qu’il brandit. Inévitablement, je m’en réjouis, à reprendre la réflexion sur ce que l’Algérie a vécu et vit aujourd’hui. Il est normal que nous ayons des échanges accrus avec un pays comme l’Algérie dans la foulée de ce sentiment par lequel chacun prend conscience que le terrorisme demande de nouveaux moyens et de nouvelles approches de lutte. Je voudrais quand même vous dire que nous n’avons pas attendu le 11 septembre pour travailler avec l’Algérie contre le terrorisme. Les épreuves que nous avons subies lorsqu’en 1995 les attentats ont frappé Paris, nous avions eu recours à la coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. On peut toujours faire mieux et cette coopération se poursuivra.

2003 sera l’année Algérie en France. Quel commentaire avez-vous là-dessus ?

Il y a là une occasion formidable de concrétiser tous les projets de coopération dans le domaine culturel mais également économique. Je suis frappé par l’intérêt que suscite cette manifestation qui, déjà, ne ressemble à aucune autre parmi les manifestations que nous avons l’habitude d’organiser