Dossier: Faut-il juger les généraux ?

Dossier: Faut-il juger les généraux ?
Les acteurs parlent

Le Matin, 4 septembre 2001

Tirs croisés

Sale temps pour les généraux depuis quelque temps. Mais c’est le général à la retraite Khaled Nezzar qui focalise toutes les attaques contre l’armée pour le rôle qu’elle a joué dans l’arrêt du processus électoral en janvier 1992. Un ancien « compagnon » de Nezzar, le général Attaïlia, et plusieurs hommes politiques se liguent contre l’homme fort de jadis. Les entretiens, les déclarations et autres communiqués de presse se succèdent et donnent le la à une campagne dont le but est de le faire juger par une instance internationale. Il y répondrait alors de ses actes : l’arrêt du processus électoral, ce qui est considéré comme le « coup d’Etat » qui s’en est suivi et les violences de ces dix dernières années.

Dans l’entretien qu’il a livré hier au journal El Youm, le général à la retraite Mohamed Attaïlia n’a pas pris de gants avec l’ancien militaire à la canne. « Dans le passé, Khaled Nezzar a occupé un poste important. Aujourd’hui, il doit assumer toutes ses responsabilités », a-t-il déclaré. En réponse à une question relative à l’arrêt du processus électoral, il affirmera que la concorde nationale et la réconciliation sont les seules voies de salut pour l’Algérie, qu’il n’y a pas de terroristes mais des Algériens. Un point de vue, fera remarquer l’interlocuteur d’El Youm, éloigné de celui de Nezzar « l’éradicateur ».

Hier encore, Abdelkader Boukhamkham, l’un des leaders du FIS dissous, a appelé sans ambiguïté à juger ce « vieillard malade qui a incité à l’arrêt du processus électoral, qui a usé de l’institution militaire comme d’un bien privé et qui l’a entraînée dans un face-à-face avec le peuple, causant des dizaines de milliers de morts et quelque 12 000 disparus ». Pour tous ces « crimes », le général Nezzar doit être jugé « avant que le moudjahid Abassi Madani et le fils de chahid Ali Benhadj » ne soient réhabilités dans leur statut de prisonnier politique. C’était hier aussi que des extraits de la lettre du député MRN ont été publiés dans la presse. Virulente attaque contre Nezzar, la lettre met ce dernier et Milosevic sur un pied d’égalité. Ils seraient coupables de crimes et d’épuration ethnique. Avec cette différence que Nezzar n’agit pas pour le compte de son pays. C’est un égorgeur à la solde des éradicateurs francophiles, ennemis jurés de l’Algérie, lit-on en substance dans le document de Hacène Arribi.

Et voilà que quelques semaines auparavant, le FFS, partisan d’une intervention internationale, avait tout de go établi la relation de cause à effet entre l’annulation du premier tour des législatives de 1991 et la violence qui dure depuis. Pour Ahmed Djeddaï, il n’est pas faux d’affirmer au vu du « bilan macabre qui a suivi (l’arrêt du processus électoral) que (Nezzar) a les mains tachées du sang des civils et des opposants », cela au même titre que les groupes armés.

Parmi toutes ces voix qui accablent Nezzar, une seule s’élève pour nuancer le propos. Ahmed Fattani, directeur du quotidien L’Expression, dit oui à la comparution du général devant un tribunal, mais un tribunal local.
K. D.

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Abdelhamid Djouadi :
« On a échappé au FIS »

Abdelhamid Djouadi était chef de la IVe Région militaire à Ouargla en 1991. Il avait été à la tête de l’opération militaire lancée durant l’été 1991 contre les premiers groupes terroristes, dont le chef était un élu local du FIS, qui avaient attaqué à l’époque la caserne de Guemmar. Il est aujourd’hui général à la retraite, mais il garde la même lucidité d’antan. Il s’exprime sur la campagne en cours contre l’armée et dit qu’il demeure convaincu de la justesse de l’action, jugée salvatrice, de l’arrêt du processus électoral en janvier 1992.

Le Matin : Comment tout d’abord expliquez-vous cette campagne médiatique et politique contre les acteurs de l’arrêt du processus électoral en 1992 ?
Abdelhamid Djouadi : Je demeure convaincu que l’arrêt du processus électoral est une action salvatrice pour le pays. Sans l’interruption de ce processus qui allait porter le FIS au pouvoir, l’Algérie aurait disparu aujourd’hui de la carte politique du monde. Le résultat est déjà là : le FIS dépourvu du pouvoir a mené, par le biais de ses groupes armés, une guerre génocidaire contre le peuple. On n’a qu’à méditer sur le résultat s’il avait eu le pouvoir. On aurait eu les solutions afghane et yougoslave réunies.

Donc l’arrêt du processus électoral était inévitable ?
Moi je l’avais dit en décembre 1991 et j’en reste convaincu. La preuve est là : si on avait laissé le FIS accéder au pouvoir, on aurait eu les massacres actuels multipliés par mille. Ceci dit, on devrait construire un Etat adapté aux exigences du monde nouveau. Même la lutte antiterroriste doit s’inscrire dans ce contexte. C’est-à-dire qu’il faut combattre ceux qui portent des armes, mais pas ceux qui défendent pacifiquement des idées.

Ce n’était pas le cas pour le FIS alors ?
Non, il avait déjà montré son caractère totalitaire et antirépublicain avant même de s’engager dans les élections législatives de 1991. L’attaque de la caserne de Guemmar avait eu lieu quelques mois avant cette élection et l’interruption du processus électoral.

Est-ce que l’armée seule assume la responsabilité de l’arrêt du processus électoral ?
J’étais à l’âge de 18 ans au maquis pour combattre le colonialisme et je connais parfaitement notre peuple. Je dis que la majorité de ce peuple était derrière son armée pour l’arrêt du processus électoral. C’était d’ailleurs une exigence de ce peuple. Ceux qui doutent n’ont qu’à le demander à cette majorité écrasante des citoyens.

Vous êtes donc solidaire avec Khaled Nezzar ?
Le problème ne se pose pas en ces termes. L’enjeu était, à l’époque, autour de l’existence ou non de l’Algérie. Certains cercles veulent aujourd’hui faire revenir le FIS sur la scène politique en accablant ceux qui ont combattu pour la sauvegarde de l’Algérie. Chose qu’ils ne pourront faire admettre au peuple algérien.

Propos recueillis par Youcef Rezzoug

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Le général Benyellès :
« Pour se sauver, l’armée doit lâcher Bouteflika »

Le général Rachid Benyellès est sans doute l’un des plus anciens haut gradés de l’Armée algérienne : ancien secrétaire général du ministère de la Défense nationale, il a dirigé la Marine nationale avant de devenir ministre des Transports et membre du bureau politique du FLN sous Chadli. Il est aujourd’hui à la retraite.

Le Matin : Comment recevez-vous ce qui se dit sur l’armée ? Une campagne aux buts politiques ou la dénonciation d’un abus de pouvoir qui ne peut plus durer ?
Général Benyellès : Buts politiques ? Sans doute. C’est même absolument certain. Vous savez, il y a tant de fausses analyses sur l’armée. Et souvent de bonne foi. Les gens croient absolument tout ce que l’on dit sur le compte des généraux : pouvoir totalitaire, corruption, monopole de la décision politique et manipulations de toutes sortes L’armée est l’objet de toutes les calomnies. Et le pire, c’est que l’institution ne fait rien pour se défendre. Il aurait fallu que l’armée réagisse

Comment ?
Qu’elle prenne des sanctions contre les généraux corrompus qui activent en son sein, par exemple. Qu’elle prouve que, contrairement à ce qui se colporte sur elle, c’est un corps sain dans sa majorité. Que l’essentiel des militaires et des officiers sont des patriotes honnêtes, dévoués à leur patrie et à leur peuple. C’est cela l’armée, pas ce qui se dit ici et là.

Vous donnez là une image d’une armée défendable
Absolument. Et mille fois plutôt qu’une. Oui, une armée qui n’est pas seulement
défendable mais qui, surtout, oui surtout, doit être défendue. C’est une institution clé du pays qu’il faut non seulement défendre contre ses détracteurs mais aussi contre elle-même. Oui, cela on a l’air de l’oublier : il y a des gens véreux dans l’armée, mais il y a surtout des personnes patriotes qui travaillent dans le cadre de la loi, qui sont scrupuleusement honnêtes et qui forment la majorité des militaires et des officiers. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain.

Vous dites que l’armée ne se défend pas ; mais alors que faites-vous des dernières sorties de Nezzar ? N’est-ce pas le point de vue de l’armée ?
Non, je ne le crois pas. Nezzar n’exprime pas l’opinion de l’armée. Il n’est pas, à ma connaissance, le porte-parole de l’institution. Il ne donne que son point de vue. Cela dit ce sont des points vue de haute dimension qu’il s’agit de prendre en considération car le général Nezzar a occupé de hautes fonctions dans ce pays et il n’est pas n’importe qui. Et puis, nous sommes en démocratie, n’est-ce pas ? Ou ce qui en reste. Enfin, disons que la parole reste libre

Selon vous, les généraux doivent donc se retirer de la politique
Et le plus tôt serait le mieux. Ils tardent à se retirer de la politique. Ils n’auraient jamais dû se mêler de politique. Non, jamais. L’armée n’est pas faite pour faire de la politique mais pour obéir aux hommes politiques. Elle n’a pas pour vocation de s’immiscer dans les affaires politiques.

On vous rétorquera que se retirer aujourd’hui, sous Bouteflika, c’est risqué pour le pays
Mais c’est surtout maintenant qu’il faut se retirer ! C’est maintenant et tout de suite que l’armée doit retirer son soutien à Bouteflika. Il faut que l’armée se démarque de Bouteflika et de sa politique si elle veut se sauver. Il faut qu’elle laisse Bouteflika assumer toutes ses compétences s’il en a. On verra ce qu’il faut faire. Il prétexte qu’il n’est que le trois quarts de Président ? Qu’attend donc l’armée pour dire publiquement qu’elle n’a rien à voir avec la stratégie de Bouteflika, qu’elle ne lui donne pas des ordres et qu’il est à quatre quarts, c’est-à-dire entièrement un Président ? Et qu’il doit assumer son échec tout seul ? Nous verrons alors que ce Président incompétent et velléitaire s’effondrera.

Entretien réalisé par A. Midouni

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Rédha Malek :
« J’irai témoigner »

«J’assume mes positions de principe à cent pour cent. Je suis prêt, si la demande m’en est faite, à témoigner dans le procès du général à la retraite Khaled Nezzar, l’ex-ministre de la Défense, contre le sieur Habib Souaïdia. Ce n’est pas Nezzar, en tant que personne, qui est visé par ceux qui sont derrière Souaïdia mais toute l’Algérie, particulièrement l’institution militaire. Même si je reconnais à Nezzar le droit d’aller en justice contre qui il veut, mais, dans cette affaire qui sera jugée par la justice française, c’est une affaire politique qui relève de la souveraineté nationale que certains croient utile de présenter comme une notion dépassée. J’assume en tant que démocrate et républicain et ancien Chef de gouvernement l’arrêt du processus électoral, un acte qui a sauvé l’Algérie de l’abîme dans lequel les intégristes voulaient la plonger. Cet arrêt juste, légitime et que j’ai applaudi a sauvé la République et, aujourd’hui, il est hors de question et inacceptable que ceux, ici ou ailleurs, qui se sont tus quand le terrorisme faisait des ravages viennent nous donner des leçons sur les droits de l’Homme. Depuis quelque temps, nous constatons que « certains » uvrent avec une politique confuse pour mélanger les cartes. On veut, ainsi, faire des victimes des bourreaux et de ces derniers des victimes. Ceux qui ont été chassés par la porte veulent maintenant, au nom de la réconciliation, de la concorde et de je ne sais quoi encore, revenir par la fenêtre. C’est kafkaïen. Mais quelque part, il y a comme un oubli des capacités de ce peuple et de ses institutions. Nous avons lutté et consenti de lourds sacrifices pour l’Algérie, et cela ne pourra pas être vain malgré les dérapages et les confusions. Ceux qui pensent courir à la curée de ce peuple se trompent. Les choses reprendront leur cours et l’Algérie n’aura bientôt comme choix que d’avancer. »
Propos recueillis par Djamel B.

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Sid-Ahmed Ghozali :
« J’assume tout »

«Les attaques contre l’institution militaire ne datent pas d’aujourd’hui. Elles ont commencé avec l’affaire de Guemmar quand une caserne a été attaquée, en novembre 1991. Le FIS, Front islamique du salut, qui était alors légal, avait attribué cette attaque aux militaires. Le FIS n’a jamais cessé de pointer un doigt accusateur vers l’institution militaire. La seule chose qui a changé depuis, c’est que, dans cette stratégie, il y a des responsables algériens qui la partagent en s’impliquant. La qualification de l’arrêt du processus électoral, comme cela a été fait officiellement en juin 1999 à CransMontana, de « première violence » a permis à cette stratégie, qui vise l’acquisition du pouvoir par la déstabilisation des institutions de l’Etat, dont l’armée, de rebondir et de passer à un autre stade. C’est une manière de légitimer le terrorisme en faisant endosser à l’ANP la responsabilité de la tragédie nationale et d’alimenter la propagande qui s’est développée à l’étranger par le biais de certains relais officiels et officieux, notamment des ONG internationales. Cette implication de l’armée, je dirai ce processus d’intimidation par sa culpabilisation, par une partie de l’Etat qui a légitimé l’action du FIS a donné un autre point de départ à ceux qui veulent déstabiliser l’institution militaire. Tout laisse accroire que les attaques qui se cristallisent actuellement autour de l’ancien ministre de la Défense, le général à la retraite Khaled Nezzar n’est qu’un épisode de cette stratégie. Il y a, faut-il le rappeler, deux ans que je répète qu’un dossier se confectionne contre l’armée. Les sorties de Brahimi, l’ex-Chef de gouvernement, de Semraoui et d’autres ne sont que des éléments parmi d’autres dans ce dossier. En tant que citoyen ou en tant qu’ex-responsable, j’assume sans aucune hésitation cet arrêt qui est, je le précise, une responsabilité du gouvernement que je présidais alors. »
Propos recueillis par Djamel B.

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Cela a commencé en 1999 avec Bouteflika

«L’arrêt du processus électoral est la première violence commise en Algérie. » C’est la déclaration du Président de la République devant le forum économique de CransMontana à peine deux mois après son élection. Deux mois plus tard, octobre 1999, devant un parterre de diplomates accrédités à Alger, à l’occasion de l’ouverture de la 32e Foire internationale, le chef de l’Etat, à la surprise générale, met en garde contre « des groupes de pression » qui, s’ils continuaient dans cette voie, le conduiraient à partir le 13 janvier 2000. Un jour auparavant, le Président avait inspiré l’agence officielle (APS) d’informer les Algériens que « Bouteflika avait été empêché par les militaires de mettre sur pied un gouvernement de son choix ».

La saga de la diabolisation de l’institution militaire ne faisait que commencer. Pourtant, celle-ci était perçue jusque-là comme « salvatrice du pays » du danger d’un Etat théocratique qui commençait à prendre forme un certain 26 décembre 1991. La décision d’arrêter le processus électoral était applaudie alors par les partis démocrates et républicains, la société civile, l’UGTA, les intellectuels algériens, bref les millions d’Algériens qui n’ont pas voté FIS. Comment a-t-on soudain tourné le dos à cette institution à laquelle s’accrochaient tous les Algériens ? Comment en est-on arrivés là ? La concorde civile de Bouteflika est sans doute la première étape de ces manuvres. Absoudre les terroristes de leurs crimes ne pouvait que leur ouvrir l’appétit. Les encourager à s’attaquer à ceux qui les ont privés d’édifier leur Etat. Ainsi commencent les cabales d’incrimination de Yous & co. Les ONG des droits de l’Homme s’en mêlent. On parle de scénario à la Pinochet. Des pétitions circulent pour réclamer ouvertement la saisine des juridictions internationales. Boukhamkham, un des responsables du parti dissous, se permet même de s’interroger sur l’identité des auteurs de massacres. Mieux encore, il parle de « groupes infiltrés ». L’affaire Bentalha est curieusement soutenue par le livre de Yous Nasrollah « Qui a tué à Bentalha ? » paru en décembre 2000. Deux mois plus tard, est édité le livre de Souaïdia, La Sale Guerre. Un nouvel épisode de la campagne anti-ANP. Ce dernier fait sortir la grande muette de sa réserve. Le chef d’état-major, le général Mohamed Lamari, affirmera : « Que ce soit dans les douars isolés, dans les zones urbaines ou partout ailleurs dans le pays, nul ne nourrit de doutes sur l’identité véritable des hordes sanguinaires, ni d’ailleurs sur celle de leurs défenseurs, soutien et relais inconditionnels, ici ou ailleurs. » Une déclaration qui remet les pendules à l’heure et met fin à un mois de polémique. La presse étrangère, qui s’est déplacée à Alger en masse pour confirmer les informations données notamment à propos d’un massacre commis par l’armée dans un village dénommé Zaâtria, n’a pu que constater que ce fait-là était tout bonnement fictif.

Le général Nezzar, parti en France pour présenter son livre, a été obligé de quitter le pays en hâte pour « éviter une crise entre les deux pays », a-t-il affirmé il y a une quinzaine de jours. La raison : une plainte qui a été déposée contre lui devant le parquet de Paris l’accusant d’être responsable du sort de certains disparus. Il y a trois jours, un autre général retraité, partisan de « la réconciliation nationale », en l’occurrence Mohamed Attaïlia, intime à Nezzar de ne pas parler au nom de l’armée. Hier, le député islamiste Arribi a appelé au jugement de Nezzar. Dans une longue contribution adressée aux journaux, cet ex-militant du parti dissous s’interroge sur « la relation entre les récents attentats et la dernière sortie de Nezzar. » Pis encore, il assimile le général à Milosevic ! Il poussera l’affront plus loin : « Si Milosevic est un héros pour son peuple, Nezzar est un égorgeur de son peuple au profit des éradicateurs francophiles, connus pour leur haine de la nation et de son histoire. » A cet instant précis, n’est-on pas en droit de se demander pourquoi l’institution militaire est la cible de ces tirs croisés ? Et à qui profiterait la déstabilisation d’une institution garante du caractère républicain de l’Etat ?

Ghada H.

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Nezzar : cette cible pratique

Le général Nezzar aurait-il commis l’imprudente erreur de briser sa carapace de militaire silencieux qui, même à la retraite, devrait observer la règle d’or du silence et rester attaché au devoir de réserve ? Pour avoir été l’homme fort du régime à un moment crucial de l’histoire récente du pays, l’ancien ministre de la Défense est évidemment exposé à toutes les critiques, d’autant plus qu’il s’est impliqué dans des décisions politiques fortement controversées. Mais ces critiques qui prennent les allures d’un impitoyable tir groupé le désignent comme l’unique responsable d’une décision politique majeure, celle de l’interruption du processus électoral de décembre 1991 et de la mise hors la loi du FIS, alors que Nezzar n’a jamais été perçu sous les attributs d’un potentat exerçant un implacable pouvoir personnel sur le pays. Les attaques qui le visent ne sont évidemment pas nouvelles même si, désormais, elles impliquent un ancien compagnon en la personne d’un autre général à la retraite, Attaïlia en l’occurrence. Mais ces attaques ne sont pas très anciennes non plus, puisqu’elles remontent à ces deux dernières années. Nezzar a pourtant quitté ses fonctions officielles depuis février 1994, avec la fin de mission du Haut-Comité d’Etat, dont il était l’un des cinq membres. Il avait cumulé cette fonction avec celle de ministre de la Défense de janvier 1992 jusqu’à juillet 1993, date à laquelle il avait cédé son portefeuille ministériel à Liamine Zeroual, rappelé de sa retraite. Le portefeuille de la Défense avait échu au général Nezzar en juillet 1990, alors que, depuis le 19 juin 1965, il était cumulé avec celui de chef d’Etat. Moins de deux années auparavant, il avait été chargé, en tant que chef des forces terrestres, de l’ingrate tâche de rétablir l’ordre lors des tragiques « événements » d’octobre 1988. Une mission qui semble l’avoir douloureusement marqué, alors qu’il assume sans regret l’interruption du processus électoral en estimant avoir évité le pire à l’Algérie ainsi sauvée de la menace d’un régime théocratique. Au printemps 1991 déjà, alors que se préparaient les premières législatives (annulées en juin), et dans l’éventualité d’un triomphe du FIS, il avait averti que « si des événements graves venaient à se produire et à mettre en péril l’unité de la nation, l’ANP interviendrait sans hésitation pour rétablir l’ordre et l’unité afin que force reste à la loi ». L’avertissement a fini par prendre force de décision en janvier 1992, mais une décision « collective », comme Nezzar a toujours tenu à le préciser, et qui a permis d’entreprendre le démantèlement du FIS et d’engager l’armée dans la lutte antiterroriste. C’est à lui que la sémantique politique doit le terme d’« éradicateur » découlant de ses engagements à éradiquer les groupes terroristes auxquels il avait d’ailleurs miraculeusement échappé. En février 1993, son véhicule avait été la cible d’une bombe actionnée à distance à El Biar. Les détails de l’attentat ont été narrés devant le tribunal d’Alger par Abdelhak Layada, ancien chef du GIA, aujourd’hui emprisonné à Serkadji. Lors de son procès, Layada avait d’ailleurs révélé que Nezzar avait échappé à une autre tentative d’assassinat minutieusement préparée. Attendu par un groupe équipé d’un lance-roquettes, le général avait, semble-t-il, changé d’itinéraire ce jour-là. Sept ans après avoir quitté ses fonctions, le « miraculé » est sommé d’assumer seul les conséquences de l’interruption du processus électoral que Boutelika s’entête à présenter comme une « violence » pour mieux justifier un projet de « concorde nationale » dont les prémices sont déjà là. Pour sa défense, Nezzar a lancé des appels pathétiques à ses compagnons de 1992 qui, pour l’heure, ne sont pas nombreux à se manifester.

Y. Kenzy

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Papa, c’est quoi le TPI ?

Les généraux algériens sont-ils passibles du TPI (Tribunal pénal international) ? La question revient souvent dans les propos et écrits d’ONG ou de partis politiques dans un contexte de véritable campagne contre les généraux qui avaient pris la décision d’interrompre le processus électoral en janvier 1992. Mais que sait-on au juste de cette institution ? Qui l’a instituée et pour juger quels crimes ?

Le TPI, organe ad hoc, dont le statut est défini par la Charte des Nations unies, a été créé par le Conseil de sécurité de l’ONU, institution dominée par les cinq grandes puissances de la planète, dont les Etats-Unis, afin de juger les crimes commis dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda. Le Conseil de sécurité n’a fait en réalité qu’avaliser les accords de Dayton de 1995, mettant fin à la guerre dans l’ex-Yougoslavie, et préconisant la création d’un TPI pour juger les auteurs des atrocités commises en Bosnie. Et de ces faits, l’article 48 de la Charte de l’ONU stipule que « tous les Etats doivent apporter leur pleine coopération au tribunal international ». C’est donc une arme redoutable, relevant du Conseil de sécurité, qui peut à tout moment en faire usage contre tel ou tel pays.

Le TPI, instance limitée géographiquement, créée pour juger des crimes contre l’humanité dans un pays donné, se compose de deux tribunaux spécifiques : le TPIR pour juger le génocide commis au Rwanda et dont le siège se trouve à Arusha, en Tanzanie, et le TPIY qui juge les crimes commis dans l’ex-Yougoslavie et dont le siège se trouve à La Haye, en Hollande. Les deux institutions sont présidées par la Suissesse Carla del Ponte, élue par l’Assemblée générale de l’ONU. Du fait donc de cette spécificité, le TPI ne peut se saisir de plaintes ou de dossiers émanant directement d’associations, de partis politiques. Seul le Conseil de sécurité peut, sur rapport du secrétaire général ou à la demande d’un de ses membres, et après vote unanime, décider de créer un TPI propre et particulier pour juger de cas de crimes contre l’humanité ayant eu lieu dans un pays donné.

Le fait qu’il a été créé sur décision d’un Conseil de sécurité dominé par les cinq puissances de la planète, et disposant du droit de veto, pose évidemment problème. Si par hypothèse, des ressortissants d’un de ces cinq pays avaient commis des actes qualifiés de « crimes contre l’humanité », il est clair que, disposant du droit de veto, le pays en question bloquerait toute décision du Conseil de sécurité de créer un TPI le concernant. D’où les critiques émises contre le TPI qualifié d’instance judiciaire des puissants à l’encontre des petits. De plus, si pour leur fonctionnement les deux TPI émargent au budget de l’ONU, en pratique ils dépendent entièrement des donations de certains Etats, en particulier les Etats-Unis. La recherche et les exhumations de certains charniers dans l’ex-Yougoslavie, employant des moyens humains et matériels nécessitant un financement élevé, sont le fait des grandes puissances. Ce qui leur permet d’influencer largement les investigateurs.

Pour Nuri Albala, juriste, membre de l’Association internationale des juristes démocrates, le jugement de Milosevic est « une justice politique », ajoutant : « On veut imposer une justice des puissants à un pays, la Yougoslavie, alors que, précisément, elle est devenue une démocratie » comme « condition à l’attribution d’une aide économique ». Nuri Albala est de ceux qui préconisent une véritable « justice internationale » indépendante.

Sans doute est-ce en raison des critiques émises contre le TPI et des limites de son fonctionnement qu’a été décidée la création d’une CPI (Cour pénale internationale) à Rome le 15 juillet 1998. Mais pour qu’elle devienne opérationnelle et se saisisse de dossiers de crimes de guerre et de torture, cette décision doit être ratifiée par soixante pays. Or, jusqu’ici, seuls trente-cinq pays l’ont ratifiée. Les Etats-Unis, la Chine et la Russie refusent de le faire. L’argument avancé par Washington, sans doute partagé par la Russie et la Chine pour ce qui les concerne, est qu’il est hors de question que des soldats ou des justiciables américains puissent être mis en cause devant une juridiction internationale. On le voit donc, une justice internationale indépendante, telle que la CPI, ne fait pas l’unanimité du moment où tous les Etats seraient mis sur un pied d’égalité.

Cependant, hors le TPI et la CPI, laquelle n’est pas encore entrée en vigueur, dans certains pays, des tribunaux nationaux se sont arrogé une compétence universelle, invoquant les traités et conventions internationaux ratifiés par leurs pays respectifs. C’est le cas de la Belgique qui est en train d’instruire le procès de quatre Rwandais impliqués dans le génocide contre l’ethnie tutsie. En France, le tribunal de Paris s’est également arrogé cette compétence dans la plainte contre le général à la retraite Khaled Nezzar. Dans ces deux cas, le caractère national de la juridiction pour juger de crimes extraterritoriaux est sujet à contestation. D’aucuns se demandent au nom de quoi certains Etats pourraient plus que d’autres s’arroger cette compétence. Au nom de leur poids politico-économique sur la scène internationale ? Sans doute.

Hassane Zerrouky

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Qui sont-ils ?

Larbi Belkheir, directeur de cabinet du Président Bouteflika

Né en 1938 à Frenda, le général à la retraite Larbi Belkheir est un ancien officier de l’armée française avant de rejoindre les rangs de l’ALN en 1960. Il fait l’essentiel de sa carrière politique et militaire dans le sillage du colonel Chadli Bendjedid. En 1975, il est nommé directeur de l’ENITA (Ecole d’ingénieurs et de techniciens supérieurs de l’armée). Tour à tour, il est président du HCS (Haut-Conseil de sécurité), secrétaire général de la Présidence de la République, puis directeur de cabinet de Chadli Bendjedid avant d’occuper, de septembre 1991 à juin 1992, le poste de ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Sid-Ahmed Ghozali. En octobre 2000, il devient directeur de cabinet du Président Bouteflika.

Mohamed Lamari, chef d’état-major de l’ANP

Né le 7 juin 1939, à Alger, dans une famille originaire de Biskra, Mohamed Lamari a été formé dans la cavalerie à l’Ecole de guerre de Saumur en France avant de rejoindre l’ALN en 1960. Il suivra plus tard une formation d’artilleur à l’Académie militaire de Frounze (ex-URSS), puis d’officier d’état-major à l’Ecole de guerre de Paris. Il a été officier d’instruction, directeur d’école, commandant d’unités opérationnelles, chef de région militaire, avant de devenir chef d’état-major de l’ANP en juillet 1993.

Smaïn Lamari, chef de la Direction de contre-espionnage (DCE)

Smaïn Lamari est né à El Harrach. Il fréquente le lycée d’El Harrach avant de rejoindre l’ALN (wilaya IV). A l’indépendance, après un bref passage dans les rangs de la police, il est envoyé en Egypte où il poursuit des études militaires. Il fait l’essentiel de sa carrière au sein de la Sécurité militaire (SM), de la Délégation militaire de prévention et de sécurité (DGPS) et du Département recherches et sécurité (DRS). Depuis 1992, il dirige la Direction de la sécurité intérieure (DSI), chapeautant, notamment, la lutte contre le terrorisme islamiste et le contre-espionnage. C’est lui qui a négocié l’accord qui a conduit l’AIS à déposer les armes, en octobre 1997.

Mohamed Mediène, directeur du Département recherches et sécurité (DRS)

Le général-major Mohamed Mediène, dit Tewfik, est né à Guenzet (Petite Kabylie).
Il rejoint très tôt les rangs de l’ALN. A l’indépendance, avec le grade de lieutenant, il est affecté à la IIe Région militaire, dirigée par le colonel Chadli Bendjedid.
Mohamed Mediène est nommé officier de sécurité de cette zone, puis attaché militaire à Tripoli en 1983. En 1986, il devient chef du Département défense et sécurité à la Présidence de la République. Lorsque la Délégation militaire de prévention et de sécurité (DGPS) est créée en mai 1987, il y devient directeur de la Sécurité de l’armée (SA). A la dissolution de la DGPS en septembre 1990, il prend la tête du Département de recherches et de sécurité (DRS) qu’il dirige à ce jour.

Mohamed Betchine, ancien ministre conseiller du Président Zeroual

Le général à la retraite Mohamed Betchine est né en 1932 à Constantine. Ancien officier de l’ALN, Mohamed Betchine fait toute sa carrière dans l’armée où il grimpe rapidement les échelons. Sous l’ère de Chadli Bendjedid, il est chef de la Ve Région militaire (Constantine). De 1988 à 1990, il est responsable de la DGPS, avant d’être démis de ses fonctions par le Président Chadli. Après une brève traversée du désert, qu’il met à profit pour créer un groupe de presse, il revient au premier plan grâce à l’élection de Liamine Zeroual à la tête de l’Etat. En 1995, il devient ministre conseiller de Zeroual. En 1997, il est l’un des artisans de la création du RND, avant de faire partie de sa direction, une année plus tard. Impliqué dans l’affaire Ali Bensaâd, et après l’annonce de la démission de Liamine Zeroual en septembre 1998, Mohamed Betchine est contraint de démissionner de son poste en octobre 1998, puis de se retirer du RND.

Réaction de Betchine du 05.09.01

L’Armée des uns et des autres

Par Mohamed Benchicou

Difficile de défendre l’armée ? Sans doute. Surtout quand elle se plaît à abriter des ripoux ­p; pas nombreux, Dieu merci – sans autre envergure que celle de grappiller des pétrodollars, des apprentis affairistes plus à l’aise dans le commerce que dans l’art de la guerre et dont le seul talent est de donner de l’institution l’image d’une coterie mafieuse qui condamne à mort des universitaires, qui s’empare des villas dans les villages touristiques, qui s’y connaît plus dans la bière que dans la technologie de la guerre et qui passe plus de temps au port que dans les casernes. Et lorsque cette armée-là, dans son infinie maladresse, parraine la candidature d’un homme sans relief et notoirement incompétent pour en faire le Président d’un pays déjà à genoux, elle commet alors le péché suprême qui l’expose, fatalement, à la violence du raccourci : la politique est trop sérieuse pour être confiée à des militaires. Surtout quand ce même Président s’amuse à multiplier les intrigues contre ceux qui l’ont fait roi, incapable de posséder la gratitude indispensable aux grands hommes. A l’argent sale ­p; qui salit, en réalité, plus l’armée que ses auteurs – vient s’ajouter, inconsidérément, la ruse naïve du soldat qui pense apprivoiser l’ennemi, l’AIS, les diables intégristes, par la poignée de main qui – pense-t-il – éviterait le combat et le sang, mais qui ne débouche, in fine, que sur l’humiliation et l’opprobre. La fatalité de ce pays réside en ce que les généraux s’occupent des deux questions sur lesquelles ils sont notoirement les moins qualifiés : la politique et l’économie.

Or, toute la méprise est là : ces généraux corrompus et analphabètes politiques ne sont le souci d’aucun média bouteflikien ou occidental. Voler ? Bof ! Capituler ? C’est bon signe. Volez encore, capitulez, capitulez Et il n’y aura ni Samraoui, ni Souaïdia, ni autre révélation handicapante pour vous menacer de juridictions internationales. Volez, capitulez, mais capitulez vite. Capitulez en regardant voler les oiseaux. Les généraux coupables de délit de corruption ou de la faiblesse assassine devant l’ennemi terroriste n’intéressent aucun média occidental. Encore moins Al Djazira. Non : le réquisitoire porte sur LE délit, le seul, l’unique : avoir empêché les islamistes de s’emparer de l’Algérie pour en faire un Afghanistan. Le plan-média élaboré contre l’Armée algérienne vise la perspective stratégique du pays. Qu’importe les généraux qui importent frauduleusement des conteneurs ! La preuve ? Voilà un général importateur, Attaïlia pour ne pas le nommer, spécialiste de la bière et de la viande hallal, qui se voit tendre tous les micros de la planète pour l’entendre ­p; ah, le pied !- dénoncer les « généraux éradicateurs qui cultivent l’obstination de combattre l’islamisme, les candides, au lieu d’ouvrir des boucheries et de fermer les yeux sur les autres boucheries qu’ouvre le GIA dans notre pauvre pays. Mais alors, la suspension du processus électoral dont cette même armée porte aujourd’hui le chapeau, est-elle l’acte arbitraire des seuls généraux autoritaires ? Un « crime contre l’humanité » passible de La Haye comme s’empresse de le dire le député intégriste Derbal ? N’est-elle pas aussi ce sursaut salutaire souhaité par une partie importante de la société, par chacun de nous ? N’est-il pas, je vous le demande, indigne de renier nos propres choix quand nous étions tous à deux doigts du règne des barbus ? Est-il moral de laisser le seul Nezzar assumer janvier 1992 quand nous étions tous ­p; oui, tous, à commencer par nous, ici, dans ce journal ­p; à souhaiter qu’on arrête la farce tragique ? Nous ne serons de cette indignité-là. Nous sommes tous des janviéristes. Et quand j’entends des éditorialistes au service du clan d’Oujda ­p; dont l’armée, il faut le dire et le répéter, a aidé à s’emparer du pouvoir ­p; souhaiter que les généraux soient jugés à Alger et pas à l’étranger, je me dis que la félonie repose sur un acte reproducteur dont les bouteflikiens sont, hélas pour nous, la parfaite illustration.
M. B.

 

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