Violence sociale: situation préoccupante

Violence sociale: situation préoccupante

Par Daouadi Miloud, Le Quotidien d’Oran, 17 janvier 2002

La bulle sociale en Algérie continue dangereusement de s’enfler, et chaque jour apporte son lot de mouvements de protestations, parfois très violents comme cela a été le cas à l’université de Constantine ou Djanet, une oasis réputée calme et politiquement «correcte». Comme pour mieux montrer la dangerosité actuelle de ces mouvements de protestations, dont les événements de Kabylie ne forment que les grands contours sociopolitiques, le monde du sport a été également pris, de plein fouet, dans cette tourmente qui n’épargne pratiquement plus aucune ville du pays. Que des jeunes, même sans emploi, désoeuvrés mais néanmoins demandeurs en puissance de besoins sociaux incompressibles, prennent prétexte un match de football pour extérioriser toute leur rancoeur face à un avenir incertain, même si cette forme d’expression ne les disculpe pas pour autant d’actes de vandalisme, est en soi inquiétant.

A Tizi-Ouzou ou à Oran, et bien avant à Alger, de jeunes supporters, peu importe à quelle galerie ils appartiennent, en viennent à tout saccager, à affronter les forces de l’ordre et mettre sens dessus dessous une ville et exacerber les tensions sociales dans des villes déjà prêtes à exploser au moindre choc, cela est devenu tout simplement préoccupant. Les forces de l’ordre, ainsi qu’un système judiciaire aussi rodé soit-il, ne peuvent logiquement répondre par un arsenal juridique coercitif à un mouvement de contestation sociale qui a pris des formes aussi diverses que dangereuses pour la stabilité du pays. Bien sûr, les forces de l’ordre, ainsi que le corps de la magistrature, restent en réalité le dernier rempart contre une forme de violence dont les solutions sont ailleurs, loin des postes de police, ni des salles de tribunaux.

La crise sociale est patente, d’autant que les élus aussi bien que les responsables au niveau des wilayas n’arrivent pas à trouver les solutions idoines pour gérer cette tension. En fait, la situation sociale est devenue très dangereuse, inquiétante autant par les effets pervers qu’elle véhicule que par les conséquences de la production d’un immense mouvement de contestation à l’échelle nationale porteur de graves dérives politiques. La fracture sociale est là, alors que le pays traverse les débuts d’une profonde crise sociétale qui appelle en urgence une prise en charge politique pour sa gestion et son règlement… avant les premiers contrechocs socioéconomiques qui devraient fatalement suivre l’application de l’accord d’association avec l’UE et avant celui en cours de négociations avec l’OMC.

Certes, le gouvernement est, ces dernières semaines, au «four et au moulin», la gestion de la crise kabyle n’est pas chose facile, répondre aux besoins énormes d’une demande sociale qui a accumulé un retard d’une dizaine d’années en équipements collectifs, emplois, logements, etc… ne peut être réalisé du jour au lendemain. Mais le chef du gouvernement ne semble pas avoir été aidé par la providence, ou par des élections municipales antérieures qui ont fait émerger certains édiles dont la tâche prioritaire ne semble pas avoir été celle de répondre aux besoins de leurs administrés, ni d’atténuer les carences socioéconomiques de leurs communes. Les révoltes (spontanées ?) dans plusieurs communes du pays, et jusqu’à celle de la paisible Djanet, expriment en fait un besoin pressant de larges franges de la société, notamment les jeunes, pour un retour urgent vers des objectifs de développement moins ambitieux et au-dessus de nos moyens actuels, pour d’autres plus proches de la réalité actuelle: du pain et un toit. Le reste, tout le reste, suivra…