Tamazight constitutionnalisée

Sans aucune voix parlementaire contre le projet de révision de la loi suprême du pays

Tamazight constitutionnalisée

Toutes les sensibilités politiques représentées dans les deux chambres du Parlement, hormis le RCD et le FFS, ont voté en faveur de «tamazight langue nationale» tel qu’il est indiqué dans le désormais article 3 bis de la Constitution

Par Younes Hamidouche, La Tribune, 9 avril 2002

Les membres des deux chambres du Parlement (Assemblée populaire nationale et Conseil de la nation – Sénat) se sont réunis, en première session du genre, hier au palais des Nations (Club des Pins à Alger), et ont procédé à l’adoption du projet de révision de la Constitution portant ajout d’un article nouveau formulé «article 3 bis» stipulant que «tamazight est également langue nationale» et que «l’Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national».Cette adoption s’est effectuée à main levée et a vu les députés et les sénateurs présents voter quasi unanimement en faveur de cette révision de la loi suprême du pays.Cette constitutionnalisation de la langue tamazight s’inscrit, selon la tendance générale des interventions enregistrées lors de cette session du Parlement, dans le souci de «consolider les composantes fondamentales de l’identité nationale que sont l’islam, l’arabité et l’amazighité». Hormis le RCD et le FFS qui avaient décidé la veille de cette session de boycotter la première réunion des deux chambres du Parlement, toutes les autres colorations politiques de cette institution étaient présentes (RND, FLN, MSP, Ennahda, MRN, PT, PRP et indépendants) et ont approuvé la démarche de constitutionnalisation de tamazight. Le parti de Saïd Sadi avait indiqué que «le RCD, qui a toujours refusé les surenchères, ne saurait s’impliquer dans un processus dévoyant une préoccupation nationale démocratique et légitime au profit de manœuvres politiciennes destinées à tenir des élections truquées» alors que la formation de Hocine Aït Ahmed avait décidé de «ne pas s’associer à cette manœuvre grossière qui menace l’unité nationale et la cohésion nationale» en soulignant que «les germes de la division et de la fitna sont insidieusement introduits», selon le FFS, dans l’article, objet de cette révision constitutionnelle. Pour le chef du gouvernement, Ali Benflis, intervenant hier dans une double allocution -au début et à la fin des travaux de cette session parlementaire-, l’intégration de tamazight dans la Constitution en tant que «langue nationale» se présente tel un mea-culpa de l’Etat. A ce titre, Ali Benflis a souligné que «l’Etat n’a pas toujours bien appréhendé et évalué correctement certaines réalités linguistiques et culturelles de notre population». «Le moment est donc venu de bâtir une nouvelle politique en matière linguistique et culturelle qui fait du peuple algérien un peuple fier des multiples dimensions de son patrimoine culturel et linguistique», enchaînera le chef de l’Exécutif avant de préciser que «tamazight, dans ses variétés d’expression en usage dans toutes les régions du pays, doit retrouver sa place dans les différents secteurs éducatif, culturel et de communication» et pour qu’elle soit mise «à l’abri de l’utilisation politicienne». De la bouche du chef du gouvernement : «Le moment est venu de lui [tamazight, NDLR] ouvrir grandes les portes de l’école et des médias, permettant ainsi sa diffusion et de lui accorder toute la place que nous lui reconnaissons désormais.» «Les générations d’aujourd’hui ont le devoir d’épargner aux générations futures les risques auxquels nous étions jusqu’ici exposés», relève encore Ali Benflis.«Aujourd’hui, le Parlement est, dans sa pluralité politique, mais aussi dans sa conception partagée des intérêts supérieurs de la nation, interpellé pour donner corps à une revendication identitaire légitime», a indiqué Benflis à l’adresse des 464 députés et sénateurs présents. Son appel a reçu un écho des plus favorables. En effet, sur la totalité des suffrages exprimés (les présents et une vingtaine de procurations), seules deux abstentions ont été relevées alors qu’aucune voix contre n’a été exprimée. Or, il ne fallait, pour atteindre les trois quarts exigés pour que cette révision soit légale, que 386 voix. Hier, un excédent estimé à une centaine de voix a été enregistré. Reste à savoir maintenant si la colère citoyenne s’arrêtera à cet acquis-là seulement et à celui, annoncé la veille, de signer un décret relatif aux statuts des «droits des victimes des événements ayant accompagné le mouvement pour le parachèvement de l’identité nationale» ? Cela d’autant que les revendications du mouvement citoyen des archs, telles qu’inscrites dans la plate-forme d’El Kseur, ont connu des réponses jugées «partielles», ce qui explique la poursuite de la contestation dans la rue non seulement en Kabylie mais également dans d’autres régions du pays. En somme, et comme la majorité des présents hier au palais des Nations, le chef du gouvernement a qualifié ce lundi 8 avril 2002 de journée «historique». Des qualificatifs du genre ont également été associés à d’autres dates récentes. C’est le cas notamment du 12 mars dernier, date de l’engagement solennel du président de la République à constitutionnaliser tamazight et, à un moindre degré d’historicité, concernant les 1er et 3 du mois en cours, dates qui ont vu, successivement, ledit projet présenté au Conseil des ministres et, ensuite, le Conseil constitutionnel rendre son avis favorable relativement à ce texte.