La Soummam en ébullition
POURSQUITE DES MANIFESTATIONS A TRAVERS LA KABYLIE
La Soummam en ébullition
El Watan, 18 mars 2002
La situation continue de se dégrader dans certaines localités de la Soummam au gré des troubles dont lampleur semble aller crescendo. Cest le cas notamment de la ville dEl Kseur (20 km de Béjaïa) où la journée dhier fut, selon plusieurs échos, probablement la plus marquée par la violence et la densité des heurts qui, pour rappel, se sont déclenchés depuis la fin de la semaine dernière.
Des barricades fumantes ont obstrué les rues et ruelles de plusieurs quartiers de la ville, spécialement celui abritant le siège de la sûreté de daïra, point de confluence de la colère des émeutiers. Ceux-ci ont usé hier de lancers de cocktails Molotov et des inévitables jets de pierres face à des CNS qui ont arrosé les environs de grenades lacrymogènes. Hier, la brigade de gendarmerie a été pour sa part ciblée par les manifestants après avoir été «oubliée» durant les derniers jours. Une cinquantaine de blessés légers ont dû solliciter les services de la clinique locale, avons-nous appris auprès du comité local, qui nous informera par ailleurs quun jeune, atteint au visage par une grenade lacrymogène, a dû être évacué vers lhôpital de Béjaïa. Ces informations nont pu être vérifiées au niveau des structures sanitaires, dont les agents semblent avoir reçu des instructions pour éviter de communiquer avec la presse. A noter que les établissements scolaires ont été désertés avant la fin de la matinée par les collégiens et les lycéens qui, rapporte-t-on, ont formé le gros des «troupes» ayant déclenché les hostilités. La ville de Seddouk (70 km de Béjaïa) a, de son côté, connu une journée fort agitée. Dès les premières heures de laprès-midi, des grappes bruyantes de collégiens et de lycéens (encore eux !) investissent la rue et improvisent des attroupements qui, très vite, grossissent de dizaines dautres jeunes. Scindés en deux groupes, décrivent des témoignages, les manifestants sen prennent presque simultanément à la brigade de gendarmerie et au siège de lagence Sonelgaz. Celui-ci sera saccagé, puis incendié par des émeutiers qui, selon un employé de la société, nont même pas donné le temps aux agents présents de quitter les lieux. Lincident, le deuxième du genre après celui ayant ciblé lagence Sonelgaz à Akbou, il y a quelques jours, provoque lindignation des employés de lagence qui, si lon se fie à la réaction à chaud dun cadre, pourraient protester par le moyen dune grève générale dans les prochains jours. A Seddouk également, des manifestants auraient pénétré au siège de lAPC pour y dérober des urnes et les incendier. Linformation na été ni confirmée ni infirmée. Distante de quelques kilomètres dAkbou, la petite bourgade dIghram a également connu la naissance dun foyer de tension qui sest circonscrit au périmètre de la brigade de gendarmerie. Les descriptions et les récits communiqués par des sources locales concordent à affirmer que les hostilités ont été peu véhémentes. La ville dAkbou, quant à elle, et après trois jours «pleins» démeutes, semblait hier renouer avec le calme, malgré quelques timides tentatives de relance, vite étouffées. Akbou, néanmoins, retient son souffle à la veille de la grande marche des archs annoncée pour mardi prochain.
Par M. Slimani
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Des adolescents dans la rue à Tizi Ouzou
La ville de Tizi Ouzou ressemble aujourdhui à une décharge publique. Des sachets dordures éventrés jonchent le sol des grandes artères. Des odeurs nauséabondes rendent lair irrespirable. Tout cela est accompagné de gaz lacrymogènes et la fumée des pneus brûlés.
Hier encore, des jeunes ou plutôt des enfants dont l’âge ne dépasse pas les 11 ans, ont investi la rue aux environs de 13 h. Ils se sont rassemblés devant la brigade de la gendarmerie avant de commencer à jeter des pierres à lintérieur de son enceinte. La riposte des gendarmes ne sest pas fait attendre. Ils ont à leur tour riposté en lançant des bombes lacrymogènes pour tenter de disperser la foule. Têtus et surexcités, les jeunes, apparemment en quête de nouveauté, ne baissent pas les bras. Ils sont même allés jusquà arracher le couvercle dune bouche dégout située au milieu de lavenue principale et y ont jeté à lintérieur toutes les ordures, les poteaux électriques arrachés il y a quelques jours ainsi que les bombes lacrymogènes récupérées à temps. «Nous nous amusons bien», lance un jeune qui ajoute : «Tant que les gendarmes ne quitteront pas notre région, les affrontements continueront.» Celui-ci, tout en scandant «Ulach smah ulach» et «Gendarmes assassins», ramasse une bombe lacrymogène qui avait atterri juste devant lui et la renvoie à ses destinataires. Doù lintervention des brigades de CNS qui était plus que nécessaire. Ils ont, à laide de leurs camions, nettoyé toute la chaussée et refermé la bouche dégout. Un groupe de jeunes postés devant lagence CNEP sen sont pris à lédifice. Ils ont failli, par des jets de pierres, briser toutes les vitres de lagence en question sans lintervention dautres jeunes. «Ne vous acharnez pas contre ce bâtiment, ce nest pas notre cible. Si vous voulez frapper, vous avez les gendarmes devant vous, cest eux notre objectif», sadresse un jeune les poches pleines de pierres.Il est clair que la population, notamment les jeunes qui se sont encore une fois révoltés, na pas approuvé le discours du président de la République. «Le premier magistrat du pays doit nous expliquer comment il compte mettre en uvre toutes les mesures quil a décidées.» Rencontré à Beni Douala, le père de Massinissa, première victime de ce printemps noir, dira que le discours de Bouteflika est «vide et ne va pas dans le sens de l’apaisement». «Si la situation en Kabylie préoccupe réellement le chef de lEtat, il aurait dû au préalable reporter les élections et commencer par appliquer dune manière graduelle toutes les revendications de la population, en premier lieu le départ des gendarmes. Dans le cas contraire, la rue reste la seule voie pour ces jeunes réprimés», affirme-t-il. Par ailleurs, les émeutes se sont poursuivies jusque tard dans la soirée dhier.
Par Nabila Amir
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Peur sur Azazga
La ville dAzazga (à une quarantaine de kilomètres à lest de Tizi Ouzou) a vécu hier des moments dramatiques. Toute lagglomération était paralysée depuis le début de la journée avec lintervention musclée des éléments de la gendarmerie qui ont investi la ville, désertée dès le début des émeutes. Des gendarmes exhibant des armes à feu y ont fait leur apparition.
Aux alentours de la brigade de la gendarmerie, les affrontements avaient commencé dès la matinée, mettant aux prises des centaines de citoyens à deux escadrons des groupes dintervention de la gendarmerie. La situation avait dégénéré depuis la nuit de jeudi à vendredi et la nuit daprès lorsquune expédition punitive des gendarmes avait mis le feu aux poudres quand des magasins et des véhicules avaient été incendiés et une dizaine de jeunes passés à tabac, dont un policier en civil gravement blessé. Selon des témoignages recueillis sur place, la descente des gendarmes a créé la panique dans la ville. Des domiciles ont été violés malgré les protestations des propriétaires qui ont été agressés. Durant la journée, seuls les émeutiers occupaient les rues et lactivité de la ville était complètement paralysée. Hier, en début de matinée, la ville était entièrement coupée du reste de la wilaya et lévacuation des blessés, plus dune trentaine, a été empêchée, nous a-t-on dit, par les barrages des gendarmes installés sur les principales voies daccès. Aux échanges de coups de pierres entre les dizaines de jeunes et les gendarmes, dont certains était juchés sur la terrasse de la brigade, la présence dun photographe dEl Watan a déclenché un feu nourri de grenades lacrymogènes à bout portant. Un important renfort, positionné à lentrée de la ville, est vite venu au secours des dizaines de gendarmes dépassés par le flot de pierres qui leur étaient lancées. A la tête de cette escouade de fourgons verts, un véhicule aux couleurs de la gendarmerie transportait quatre hommes armés de kalachnikovs, qui ont créé un vent de panique au sein des citoyens qui étaient dans les parages et qui ont vite fait de rentrer chez eux. Plus, au centre-ville à 500 m de la brigade de gendarmerie, la même atmosphère était perceptible. Tous les magasins étaient fermés, les propriétaires redoutant dêtre agressés, comme ce fut le cas vendredi dernier. Le témoignage dun commerçant est éloquent à ce sujet : «Ils ont envahi la ville à la nuit tombée. Ils nont pas cessé de proférer des menaces et des grossièretés. Trois dentre eux appelaient les gens chez eux en leur disant : si vous êtes des hommes sortez. Même leur chef nétait pas obéi. Ce nest quaprès avoir vidé la ville quils se sont retirés.» Les mêmes témoignages recueillis hier font état de graves dépassements qui ont failli créer un incident avec des éléments de la police qui ont été la cible de ces gendarmes déchaînés et que rien narrêtait. Huit jeunes émeutiers ont été lynchés à lintérieur de la brigade, devenue méconnaissable depuis les émeutes davril 2001 où six jeunes de la ville dAzazga avaient été abattus par balles. Un sentiment de révolte plane toujours sur la ville. Mais la peur est revenue, le souvenir de la tuerie de lan dernier étant toujours présent. «Nous continuerons le combat jusquà leur départ», nous lance un jeune lycéen qui a déserté depuis jeudi dernier les bancs du lycée où il est en terminale.
Par D. Benabi