Regain de tension en Kabylie
DES DELEGUES DES ARCHS ARRETES A TIZI OUZOU
Regain de tension en Kabylie
El Watan, 14 octobre 2002
Une opération coup de poing a visé, hier en début de matinée, des délégués du mouvement citoyen qui se trouvaient à proximité du tribunal de Tizi ouzou. quatre délégués, dont Belaïd Abrika, ont été arrêtés par un commando de la BMPJ et transportés dans un fourgon vers le commissariat central de la ville.
Il était un peu moins de 10 h, et de nombreuses personnes sétaient massées devant le tribunal de Tizi Ouzou où dix jeunes, dont des émeutiers arrêtés jeudi dernier par des policiers en civil, devaient être présentés devant le procureur de la République. Belaïd Abrika et Yazid Kaci, délégués de Tizi Ouzou, Nekal mohamed, délégué de ouaguenoun, et le délégué dAït Aïssi étaient mêlés aux citoyens, des parents des jeunes interpellés ainsi que des avocats. Subitement, deux Nissan de la BMPJ foncent sur la foule, provoquant un début de panique. Trois grenades lacrymogènes sont tirées simultanément. La foule fuit dans le désordre. Ceux qui étaient proches du portail du tribunal essayaient de trouver refuge à lintérieur du bâtiment. Cest à cet instant que les arrestations ont été opérées, et les CNS venus en renfort ont sauvagement tabassé tous ceux qui se trouvaient sur leur passage : avocats et avocates, simples justiciables venus pour affaire au tribunal, clercs davocats En moins de dix minutes, le tribunal ressemblait à un bunker et laccès y était interdit, y compris à la presse. Peu après, les quatre délégués de la CADC ont été transférés, par une porte dérobée, au siège de la sûreté de wilaya. Ces arrestations, notamment celle de Abrika, étaient attendues au lendemain des menaces proférées par le ministre de lIntérieur, M. Yazid Zerhouni, vendredi dernier à l’encontre des animateurs du mouvement citoyen, auxquels il avait brandi larme de «lapplication de la loi» et du «retour de lEtat» en Kabylie au lendemain des élections locales marquées par leur rejet par la population et les affrontements violents qui avaient opposé des centaines démeutiers aux forces de sécurité (notamment les CNS) dans plusieurs villages et villes de la région. Loption répressive, dont la mise en uvre la veille du scrutin de jeudi dernier, franchit avec ces arrestations un palier supplémentaire dans lescalade. La crise que vit la Kabylie en est à 18 mois et aucun signe de détente ne pointe à lhorizon. Cette réaction musclée du pouvoir à lencontre du mouvement citoyen complique davantage la situation. Comme ce fut le cas le 25 mars dernier, lorsque la permanence de la CADC (au théâtre communal de Tizi Ouzou) avait été prise dassaut et de nombreux délégués et citoyens arrêtés puis mis sous mandat de dépôt, laction dhier risque de raviver le climat de tension et démeutes qui a précipité la région dans linstabilité. Déjà, hier en fin de journée, le quartier les Genêts où résident Abrika et Kaci était barricadé, les habitants prêts à laffrontement et à lémeute.
Par D. Benabi
Tizi Ouzou : De notre bureau
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Des avocats brutalisés
Des faits dune extrême gravité se sont produits hier au tribunal de Tizi Ouzou. Cinq avocats faisant partie du collectif qui assure la défense des détenus du mouvement citoyen ont été malmenés et brutalisés par des policiers en civil, hier, à lintérieur du tribunal de Tizi Ouzou.
Les avocats habillés de leur robe, qui voulaient sinterposer à linterpellation de quatre délégués du mouvement citoyen, dont Belaïd Abrika, venus assister au procès de dix jeunes manifestants, se sont vu humilier par des hommes en civil qui nont respecté ni la tenue (robe) ni lenceinte où ils se trouvaient. Selon les témoignages des robes noires, une de leur consur, Me Khelfoun, a été tirée par les cheveux, maîtres Zaïdi et Hanoune ont reçu des coups de poing, à lestomac pour lun et aux reins pour lautre, afin quils lâchent Abrika et ses compagnons. Tout sest déroulé, selon Me Hanoune, qui a eu sa robe déchirée et de légères blessures à la main, sous lil dune caméra que portait un policier. En réaction à ce qui sest passé, le barreau de Tizi Ouzou, dans une déclaration transmise à la presse, considère que linterpellation des délégués sest effectuée «contre toute notion élémentaire de la liberté dautrui». Le barreau rappelle que lintervention des avocats avait pour finalité de rappeler les obligations les plus élémentaires dune interpellation policière. Le représentant des avocats de Tizi Ouzou précise quun grave dérapage a été commis par les policiers en civil «qui se sont livrés à des brutalités physiques occasionnant à certains dentre eux (les avocats) des blessures, des déchirures de robes et des insultes envers (ces confrères)». Le barreau dénonce, par la voix de son bâtonnier, «avec la plus grande fermeté ces faits inqualifiables qui nhonorent pas ses auteurs». Un des avocats maltraités, Me Saheb, estime quil y a eu atteinte aux franchises du tribunal. «Nous sommes partis dont lintention de libérer des citoyens injustement détenus. Force est de constater quil est temps de libérer la justice de lincurie du pouvoir.» Par ailleurs, Me Aït Larbi a réagi lui aussi à lagression dont ont été victimes ses confrères. Une agression qui témoigne, à ses yeux, de «la volonté du pouvoir de mener sa politique répressive jusquau bout». Les avocats de Tizi Ouzou ont décidé de tenir aujourdhui un sit-in à lintérieur du palais de justice et de déclencher une grève au niveau local.
Par Mourad Hachid
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LA KABYLIE RENOUE AVEC LE CYCLE INFERNAL DE LA VIOLENCE
La protestation relancée
La crise kabyle a tout lair dêtre relancée à la faveur des élections du 10 octobre. Les nombreux éléments sédimentés depuis létincelle davril 2001, via les fausses solutions mises en uvre par le pouvoir, les épisodes de violence et leurs cortèges de deuil et de blessures, léchec des cadres politiques classiques à amorcer luvre de «transformation» ou de «sublimation» (cest selon) de la révolte en projet politique, viennent dêtre aggravés par une échéance qui, en définitive, na fait quouvrir un nouveau front de contestation.
Les filiformes seuils de participation au vote placent les «vainqueurs» dans une position pour le moins inconfortable. Un parti comme le FFS pourrait bien entendu revenir sur les sales conditions dans lesquelles lélectorat a été convié à voter, pour expliquer labsence de répondant au mot dordre de participation, dans une région réputée pour être son fief et, partant, légitimer des élus, même sils nont été intronisés que par le truchement durnes où les bulletins ne se sont pas du tout amassés, quand elles ne sont pas restées vierges ou simplement brûlées. Ces arguments, pour étayés quils soient, ne peuvent cependant à eux seuls construire le bouclier politique qui prémunira les mal-élus des attaques des adeptes du rejet électoral, qui, eux, disposent de toute létendue océanique des électeurs qui ont boudé (aux alentours de 90 % dans la wilaya de Béjaïa), pour formuler des doutes sur la représentativité des nouveaux édiles. Beaucoup dentre ces derniers au demeurant et à en croire des indiscrétions qui ont tout lair dêtre fondées se retrouvent déjà mal à laise et cogitent des portes de sortie qui leur éviteront des mandats incertains et fortement contestés. Des listes se retrouvent ainsi projetées, au grand complet, Assemblée populaire communale, avec seulement 0,42 % de lélectorat municipal, soit quelques dizaines de voix, comme cest le cas dans la commune de Seddouk, ou encore avec linfinitésimal 0,03 % (des voix qui se comptent sur les doigts des mains) à Chemini, dans la wilaya de Béjaïa. Des listes élues donc, et cest à peine caricatural, par le nombre des suffrages des candidats. La majeure partie des communes où le vote a été comptabilisé est logée à la même enseigne, à quelques points de différence près. Dans la vingtaine dautres municipalités où aucun bulletin na pu être récolté, la situation sannonce encore plus compliquée. Jusquà hier en fin de journée, la commission juridique de wilaya planchait encore sur le sort administratif des localités où le compteur du scrutin est resté à zéro. Quelles que soient cependant les conclusions des juristes, le mouvement des archs, qui revendique le 10 octobre comme une date à inscrire au registre de ses victoires, semble bien décidé à rebondir en prenant appui sur la nouvelle problématique, pour relancer de plus belle la protestation. La structure na-t-elle pas conçu les retombés du rejet des élections locales (vacance du pouvoir local) comme moyen de pression politique sur le pouvoir ? Selon des délégués du mouvement, la protestation va se tourner désormais vers la contestation bruyante des staffs qui seront éventuellement placés aux commandes des APC où les élections nont pas eu lieu et vers la contestation, tout aussi bruyante au besoin, des staffs mal élus. La véritable crise à enchâssements que vit la région depuis bientôt 18 mois sépaissit donc dun nouveau facteur de pourrissement, en attendant une hypothétique solution politique.
Par M. Slimani
Béjaïa : De notre bureau