Bouteflika: l’annonce faite aux berbères

Bouteflika: l’annonce faite aux berbères

Le projet de reconnaissance de leur langue ne convainc pas.

Par José Garçon, Libération, 5 octobre 2001

La langue tamazight (berbère) va devenir «langue nationale» en Algérie «lors du prochain amendement de la Constitution»: annoncée mercredi soir par un communiqué du gouvernement, cette décision du chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, marque-t-elle une avancée décisive dans la reconnaissance du pluralisme linguistique et culturel de l’Algérie? Jusqu’ici, en effet, seul l’arabe est langue officielle dans la Constitution, l’«amazighité» n’étant reconnue que comme une «dimension de la personnalité algérienne» avec l’arabité et l’islam.

Scepticisme. «Effet d’annonce pur et simple», s’irrite un militant berbère de Tizi Ouzou. Interrogé hier par téléphone, comme tous nos interlocuteurs (1), il reflète la froideur et le scepticisme avec lesquels la décision d’Abdelaziz Bouteflika a été accueillie en Kabylie. «Vingt et un ans après avoir réprimé violemment le Printemps berbère d’avril 1980 et six mois après les émeutes qui ont enflammé la Kabylie avant d’essaimer dans le reste du pays, on nous parle de faire de tamazight non pas une langue officielle au même titre que l’arabe, mais la langue nationale qu’elle est déjà de fait avec la place qu’elle a acquise ces dernières années dans la société, estime-t-il. La seule nouveauté, c’est qu’on inscrira cette évidence dans la Constitution.»

Même s’il s’agit de beaucoup de bruit pour rien, Abdelaziz Bouteflika pourra néanmoins se targuer d’avoir créé une certaine surprise, lui qui n’a jamais fait mystère de son hostilité à l’égard d’une reconnaissance de la langue berbère. «On me passera sur le corps avant que tamazight soit langue officielle», avait-il ainsi lancé au cours d’une visite officielle au Canada. Aujourd’hui, son annonce semble avant tout relever de l’un de ces scénarios à plusieurs bandes dont le pouvoir algérien raffole. «Bouteflika, estime un homme d’affaires, espère ainsi reprendre l’initiative et déplacer le débat qui, depuis les attentats du 11 septembre, se cristallise d’autant plus sur l’échec de sa politique dite de concorde civile que la violence a repris à grande échelle. En annonçant que les victimes des émeutes [de Kabylie] bénéficieront d’un « statut particulier » et d’une « juste indemnisation », il sait qu’il va semer la discorde dans le pays et dresser arabophones contre berbérophones.»

Vieux projet. Le chef de l’Etat vise en outre à utiliser la demande de reconnaissance de tamazight pour mener à bien un projet qui lui tient à cœur depuis son installation aux affaires par les «décideurs» militaires: une modification de la Constitution qui lui conférerait plus de pouvoirs encore. Jusqu’ici, son conflit avec les généraux ne lui a pas laissé les mains libres en la matière et il tente de relancer ce projet de refonte constitutionnelle. «On fait miroiter un amendement aux berbérophones pour en faire passer plusieurs autres dans la foulée, à commencer par un renforcement des pouvoirs présidentiels qui sont déjà césariens», regrette un opposant.

Dernier objectif, mais pas le moindre, poursuivi par le chef de l’Etat: rendre nulle et non avenue la marche prévue aujourd’hui à Alger par les archs, les comités de villages et de tribus de Kabylie, pour remettre à la présidence leur plate-forme de revendications. Estimant que celles-ci sont désormais en grande partie satisfaites, le gouvernement a d’ailleurs annoncé hier son interdiction. Non sans avoir auparavant créé une belle confusion au sein des archs en affirmant que certains de leurs représentants avaient rencontré mercredi le Premier ministre, Ali Benflis. «Manipulation pour casser le mouvement de contestation», ont protesté hier des responsables de la coordination de Tizi Ouzou et de Béjaïa, tandis que l’un des responsables du mouvement donnait la mesure du manque de confiance qui prévaut actuellement au sein des archs. «Si rencontre il y a eu, les auteurs de cette trahison seront lynchés», affirmait-il au quotidien le Matin…

Nouveaux morts. Pendant ce temps, les violences faisaient de nouvelles victimes. Le sous-préfet de Sidi Aïch, une ville proche de Béjaïa, et le procureur de Bougaa, dans la région de Sétif, étaient tués sur une route de Kabylie alors qu’ils voyageaient dans le même véhicule. Trois personnes étaient par ailleurs égorgées à Boubazi, dans la région de Jijel, à l’est du pays.

(1) L’Algérie refuse d’accorder des visas aux journalistes de Libération.

Le régime algérien en procès

Le procès intenté à France Télévision et à l’ancien officier Habib Souaïdia, l’auteur du livre la Sale Guerre, par le général Nezzar, l’ex-homme fort du régime algérien et ancien ministre de la Défense, aura lieu les 12, 13 et 19 février prochain. Ces dates ont été fixées mardi par le tribunal correctionnel de Paris. Dans cet ouvrage à succès (plus de 70 000 exemplaires) publié en février 2001, Habib Souaïdia met en cause l’armée algérienne dans des massacres de civils. Le général Nezzar revendique d’avoir été l’un des principaux artisans de l’annulation du processus électoral de décembre 1991 remporté par les islamistes du FIS. Membre de la direction collégiale qui a dirigé le pays, il a conservé son portefeuille de la Défense jusqu’à sa démission le 10 juillet 1993.

Les avocats constitués par Habib Souaïdia, Mes William Bourdon et Antoine Comte, ont communiqué au tribunal une liste des trente-cinq témoins qu’ils entendent faire citer en défense lors d’un procès qui s’annonce comme celui du régime algérien. «Par ces témoignages, par sa détermination personnelle à mener jusqu’au bout le combat pour la vérité et la justice, Habib Souaïdia tient à faire reconnaître que ce procès dépasse largement sa seule personne, de même que la généralité des mises en cause de Nezzar montre que ce dernier se pose en défenseur de l’ensemble du pouvoir algérien et des actes dont celui-ci est responsable», remarquait hier un communiqué de La Découverte, éditrice de la Sale Guerre.

 

 

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