Témoignage: « Ce qu’on nous a demandé de faire »

« Ce qu’on nous a demandé de faire »

Le Matin, 24 juin 2001

Les témoignages sur les exactions qui ont suivi la marche du 14 juin à Alger continuent. Mourad raconte son calvaire.
Mourad Mammeri, 26 ans, a fait partie de ces nombreux manifestants passés à tabac puis incarcérés lors de la marche du 14 juin dernier à Alger. Habitant un village agricole dans la commune de Fenaïa Il Maten, le jeune homme ne regagnera son domicile que le dimanche 17 juin après quatre jours durant lesquels sa famille restera sans aucune nouvelle de lui.
Malgré toutes les tentatives de son entourage et d’autres manifestants qui ont fait le déplacement avec lui dans le carré du comité de Timezrit-Fenaïa, aucune autorité sollicitée, que ce soit à Béjaïa ou à Alger, n’a pu fournir la moindre information sur le lieu de détention du jeune homme. Le nom de ce dernier figurait sur la liste des « disparus » transmise le lendemain de la marche par la Coordination de la wilaya de Béjaïa aux services du ministère de l’Intérieur. « Le jour de la marche, raconte-t-il, je me trouvais à la place du 1er-Mai en compagnie d’autres jeunes de mon village lorsque, aux environs de 14 h, l’intensité des gaz lacrymogènes nous a contraints à fuir. » Selon lui, des CNS se sont acharnés sur eux à coups de matraque, se faisant aider par des jeunes armés de couteaux et de barres de fer. « Un groupe de ces voyous qui nous lançaient des obscénités telles que ouled (fils de p), nous ont pris à partie mes amis et moi. Nous étions trois sous le regard des CNS alors qu’un jeune garçon m’a asséné un coup de matraque à l’épaule », dit-il. « Des policiers sont intervenus alors avec une rare brutalité en me donnant plusieurs coups de pied. Ils m’ont arraché mon sac à dos, déchiré mes vêtements avant de m’embarquer dans un fourgon », ajoute Mourad. Les CNS le conduiront au commissariat de Belouizdad (VIIe arrondissement) en compagnie de cinq autres personnes. « Avant de descendre du véhicule, un policier m’a frappé avec la crosse de son fusil lance-grenades lacrymogènes sur la joue », raconte le jeune homme qui passera la nuit dans les couloirs du commissariat en compagnie d’une centaine d’autres personnes. Il y avait aussi une jeune fille, une infirmière, selon Mourad, qui a été malmenée et à laquelle on a subtilisé des médicaments qui se trouvaient dans son sac.
« On nous a photographiés et filmés devant une table sur laquelle étaient posées des armes blanches », dit-il. « Ils s’arrêtent de filmer et nous demandent de prendre les couteaux dans les mains. Par la suite, ils nous demandent de porter des tee-shirts avec l’inscription « Pouvoir assassin » et reprennent d’autres séquences », dit le jeune homme qui rapporte qu’au terme de plusieurs scènes, un commissaire est intervenu pour ordonner aux policiers d’arrêter. Le jeune homme poursuit son témoignage. Il affirme avoir été contraint de signer des procès-verbaux sans que personne ne lui en explique la teneur. Le lendemain, soit vendredi, ils seront transférés au commissariat central où ils seront incarcérés. Des civils parlant kabyle leur ont offert des sandwichs. Après une nuit passée en prison, ils ont été reconduits au commissariat de Belouizdad. Dans la même journée, on les transfère au Central, d’où ils sont libérés vers 18 h. « Tous mes papiers administratifs ont été confisqués », affirme Mourad qui passera la nuit à Kherrouba dans la cabine du semi-remorque d’un citoyen de Boumerdès qui a offert le gîte au jeune homme qui ne pouvait rentrer chez lui dans la nuit.
Dalil Y.

 

 

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