Premier anniversaire de l’assassinat de Massinissa Guermah et du «printemps noir»

Premier anniversaire de l’assassinat de Massinissa Guermah et du «printemps noir»

Une commémoration dans le calme et la douleur

Par Nordine Benkhodja, Le Jeune Indépendant, 19 avril 2002

«La boucle s’est refermée sur une année de combat contre «les forces répressives» du pouvoir, mais aussi sur l’assassinat du jeune Guermah Massinissa dans les locaux des «indésirables», des «assassins»… des gendarmes. C’est en cette journée printanière et ensoleillée du 18 avril qu’on allait, un peu partout en Kabylie, célébrer ce double anniversaire».

En prenant la route vers la ville des Genêts en ce jeudi 18 avril, on ne pouvait ne pas imaginer qu’en Kabylie la journée signifiait bien plus qu’un simple jeudi ensoleillé.

En milieu de matinée, Tizi-Ouzou donnait l’image d’une ville calme où les citoyens vaquaient ordinairement à leurs activités quotidiennes. Aucun rassemblement, aucun signe d’une quelconque tension. Ici, tout le monde sait que le grand rassemblement allait avoir lieu au village même de Guermah Massinissa, où on attendait une marée humaine pour marquer l’événement. En traversant la ville, on s’aperçoit réellement que tout est calme, étrangement calme même. En sortant de la ville des Genêts, nous arrivons au niveau d’un embranchement où une plaque nous indique «Beni Douala 15 km», que nous prenons pour gagner le village de Guermah, une route qui nous rappelle aussi l’assassinat du chantre de chanson kabyle. En effet, c’est sur ce même sentier en virages qu’est tombé, en 1998, Matoub Lounès.

En nous engageant sur des chemins qui montent», c’est l’ivresse des montagnes de Kabylie qui nous berce. Le printemps faisant, la nature s’offre à nous avec toutes ses splendeurs. Après à peine quelques dizaines de minutes de route, nous rejoignons une file interminable d’autobus, de fourgonnettes et de véhicules ornés de l’emblème tricolore de la Kabylie (jaune, vert et noir) marqué au centre du symbole amazigh, et d’où fusaient «Kabylie Chouhada», «pouvoir assassin» et «ulac smah ulac». Sur les murs de tous les villages que nous avons parcourus (Taourirt Moussa, Beni Douala, Tizi Hibel…) on pouvait lire des transcriptions en peinture. «Guermah on ne t’oublieras jamais», «Pouvoir assassin», «alerte aux gendarmes». Une fois au village, la foule était immense. Plusieurs milliers de personnes s’étaient rassemblées à Beni Douala pour descendre vers la demeure des Guermah. A la tête du cortège, des jeunes filles portaient une gerbe de fleurs, entourées par un cortège de «vigilance» très efficace. Rien n’était laissé au hasard. Lorsque, vers 11h, le cortège arriva à Agouni Arous, une foule déjà immense attendait sur place. C’est au chant de Daghurou (trahison), l’hymne national version Matoub que le cortège arriva. Les parents de Guermah et ses proches étaient là, scandant «pas de pardon pour les assassins».

«Jamais les élections n’auront lieu en Kabylie»

Devant les différents délégués des aârchs de l’inter-wilayas, en présence d’un grand nombre de journalistes et de personnalités politiques, à l’instar de MM. Said Sadi et Ahmed Djeddaï (qui avait un rassemblement le jour même au stade Oukil-Ramdane de Tizi-Ouzou), la mère de Guermah et ses proches inaugurèrent la tombe de leur enfant sous les slogans de la foule fustigeant le pouvoir. Des dizaines de gerbes de fleurs seront déposées par certains en criant vengeance, d’autres en manifestant une tristesse silencieuse. Les parents du jeune Massinissa prendront la parole pour remercier les gens qui sont venus les soutenir, pour ceux qui ont construit la tombe afin qu’elle soit prête pour la date anniversaire, mais surtout pour rappeler que le combat continue, que «la Kabylie refuse le joug d’un pouvoir maffieux et assassin, corrompu et corrupteur». Le père de Guermah, Khaled, lancera enfin à la foule : «Nous sommes tous des Massinissa, le combat continue, il n’y aura jamais d’élections en Kabylie.»

Les délégués des aârchs prendront quant à eux respectivement la parole pour, bien sûr, rendre hommage à Guermah Massinissa et au «printemps noir», avec le lourd tribu qu’il a payé, mais aussi pour porter un discours «circonstanciellement» engagé. Ils fustigeront les responsables du pouvoir, les gendarmes, les «dialoguistes» aussi dont le délégué d’Alger, Lyès, dira : «Ils ne sont là que pour manger dans la main du pouvoir.»

Les discours des différents délégués se voulaient un appel à la conscience générale pour dire «Non au scrutin d’un pouvoir illégitime, la Kabylie ne tombera pas dans la mascarade électorale». Une position qui se voulait claire, forte et sans appel. Par ailleurs, les différents délégués ont lancé un appel pour la tenue, aujourd’hui, d’un grand rassemblement à Tizi-Ouzou. C’est en début d’après-midi que la foule s’est dispersée dans le calme et la sérénité, mais surtout avec la nette conviction, nous dirons les citoyens, que le combat ne cessera jamais dès lors que ce pouvoir se maintient. La marche et la cérémonie se sont déroulées dans un calme absolu et en l’absence de toute force de sécurité. Sur le chemin du retour, nous avons trouvé la ville de Tizi-Ouzou comme nous l’avions laissée. Aucun incident, aucun trouble. Une ville plus que jamais vivante, mais qui, malheureusement, cache l’ombre de la mort. La tragédie d’une année d’insurrection avec plus d’une centaine de morts. N. B.

Deux anniversaires. Deux dates, symboles d’un combat démocratique, identitaire et social, ont mobilisé des milliers de citoyens pour commémorer le vingt-deuxième anniversaire du printemps berbère et du premier anniversaire de ce qui est désormais appelé le «printemps noir», déclenché par l’assassinat de Guermah Massinissa. Un double anniversaire qui intervient dans un contexte marqué par une tension tendue en Kabylie où les manœuvres et les manipulations restent de mise.

En vingt-deux ans de tourmente et d’insurrection, l’état des lieux dans cette région révèle que les solutions préconisées par les pouvoirs qui se sont succédé en Algérie n’ont pas eu l’effet escompté. Flash-back. Le printemps berbère de 1980 a eu son lot d’arrestations. Celui de l’année passée a été marqué d’abord par la mort du jeune Massinissa, et ensuite par les événements dramatiques ayant coûté la vie à une centaine de personnes, sans omettre de signaler les dégâts importants qui en ont découlé.