La Kabylie honore Matoub dans le calme

La Kabylie honore Matoub dans le calme

Pas d’incident pour le 3e anniversaire de la mort du chanteur.

Par Florence Aubenas, Libération 26 juin 2001

Depuis trois ans, c’était devenu «une tradition». Pour commémorer l’assassinat du chanteur Lounès Matoub, le 25 juin 1998, dans la montagne entre Tizi Ouzou et son village natal, «la Kabylie avait instauré un jour férié de révolte», raconte un chômeur de Bejaïa (1). «On crachait du feu, on jetait des cailloux, on criait « pouvoir assassin » et on ramassait des victimes: comme une répétition de ce qui se passe maintenant.» Mais cette année justement, où les émeutes en Kabylie ont déjà fait une centaine de morts en deux mois et gagné du terrain, l’anniversaire de la mort de Lounès fut la journée la plus paisible depuis longtemps. «Comme il faut toujours que cette date soit spéciale, cette année, c’était spécialement tranquille, dit un médecin. On a voulu faire la démonstration que la violence ne venait pas de la population mais du pouvoir.» Le calme. Le mot revient sans cesse, dans les communiqués, les conversations, même durant les enterrements des six gamins, fauchés par les balles des gendarmes à la fin de la semaine dernière, près d’Akbou. Mais «un calme intelligent», dit un associatif.

Hier matin, plusieurs dizaines de milliers de personnes s’avancent dans les rues de Tizi à l’appel de la fondation Lounès Matoub, qui réclame la «vérité et la justice» dans une enquête qui n’eut jamais lieu. Plus que jamais, les morts se mêlent, celui d’hier, ceux d’aujourd’hui, côte à côte dans les banderoles qui proclament: «Gloire à nos martyrs». Au centre-ville, les magasins ont tiré de vagues ferrailles sur ce qui reste de leurs vitrines depuis que raids et pillages des gendarmes sont devenus incessants ces dernières semaines. Plus on se rapproche du siège de la gendarmerie, plus la ville paraît abandonnée, immeubles désertés, d’autres barricadés. Ici, comme partout, les uniformes font des virées nocturnes, tabassages, insultes, arrestations, pour vider systématiquement les zones autour de leurs brigades. Les bâtiments publics ont été transformés en bases stratégiques, où parfois, dans un éclat de soleil, on voit briller le fusil à lunette d’un tireur d’élite embusqué.

Le cortège s’avance en chantant Matoub. «De toute façon, cela fait trois ans qu’on ne chante plus que Matoub», dit Aziz, un lycéen. Il vient de Beni Douala, cette bourgade un peu plus haut, juste à côté de l’endroit où Lounès fut tué. Là aussi, le 18 avril dernier, Massinissa, lycéen, fut mortellement blessé dans la brigade de gendarmerie. Son agonie dura deux jours et, juste avant de mourir, il dit: «Mon père, ils m’ont tué.» Depuis, «c’est tous les jours le 25 juin en Algérie», continue Aziz. Le défilé s’approche de la brigade. «Ils nous attendent.» Le cortège oscille. Quelques-uns, «les plus chauds», «visages défigurés de rage», paraissent s’attarder. Et puis la foule les entraîne, se replie. «On n’ira pas. Ils ne nous auront pas comme ça aujourd’hui.».

(1) Tous nos interlocuteurs ont été joints par téléphone, Alger refusant de délivrer un visa à Libération.

 

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