Les généraux algériens sont dans l’impasse
Les généraux algériens sont dans l’impasse
Discuté par tous, Bouteflika se tait alors que la contestation, bien au-delà de la Kabylie, gagne tout le pays. Le sort du président est entre les mains des généraux qui l’ont installé au pouvoir. Mais le « système » tout entier est à bout de souffle.
Catherine Tardrew, Le Parisien, 19 juin 2001
«A Tizi Ouzou, c’est la bagarre entre gendarmes et policiers. Ces derniers ont refusé de protéger les locaux de la gendarmerie… » Idir, Kabyle installé en région parisienne, appelle plusieurs fois par jour au pays pour savoir ce qui s’y passe. Son inquiétude, mêlée d’espoir, est fondée. Loin de s’essouffler, la contestation, partie de Kabylie, gagne le reste du pays. La région de l’Est essentiellement. Après Beijaïa, Tizi Ouzou, les deux principales villes kabyles, la révolte touche Constantine, M’Sila, Biskra, Guelma, Kenchala et Annaba où, dimanche, des centaines de jeunes gens ont tenté de piller des magasins qui appartenaient, selon eux, à des généraux.
La fronde commence à prendre les allures d’une véritable insurrection. Les manifestants, que la moindre étincelle transforme en émeutiers, n’écoutent personne. Et surtout pas les partis politiques. Car les jeunes les accusent de collusion avec un pouvoir qu’ils rejettent, et haïssent désormais avec une vigueur accrue. Un pouvoir qui, jusqu’ici, n’a jamais tenté de lancer la simple amorce de dialogue. Mais peut-on parler avec des hommes dont l’un des slogans le plus répété est : « Ils ne peuvent pas nous tuer. Nous sommes déjà morts » ?
Manifestations interdites
Le gouvernement, pour le moment, refuse tout contact. Prenant prétexte des « débordements » et des pillages intervenus jeudi dernier à la fin de la manifestation monstre qui a rassemblé à Alger près d’un million de personnes, Yazid Zherouni, le ministre de l’Intérieur, a décidé d’interdire « jusqu’à nouvel ordre » toutes marches et manifs dans la capitale. Et il met en cause la « coordination des villages », qui avait organisé cette démonstration de force : ne devait-elle pas être pacifique ? « L’échec de Bouteflika est total. Il doit partir.
Mais c’est aussi l’échec de ceux qui l’ont désigné », déclarait hier à l’agence Reuter un ancien haut personnage du régime. Les partis d’opposition, qui aimeraient bien prendre en marche le train de la contestation, ne disent pas autre chose. Mais le retrait du chef de l’Etat changerait-il, sur le fond, la donne ? « Il ne s’agit pas du rejet de quelqu’un, mais du rejet total d’un système à bout de souffle. Si Bouteflika partait, ils en trouveraient un autre », constate un militant du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie). « Ils », ce sont, bien sûr, ces militaires qui concentrent entre leurs mains l’essentiel du pouvoir. Ce sont eux qui on fait appel à l’ancien ministre des Affaires étrangères de Boumediene, un homme du sérail, après la démission de Liamine Zéroual, en 1998, puis qui l’ont fait élire (laborieusement) en avril 1999. Que Bouteflika soit fragilisé par la colère de la rue en a (un temps) arrangé un certain nombre. Mais, aujourd’hui, alors qu’il y a péril en la demeure et qu’à tout moment l’Algérie peut basculer dans le chaos, oubliant leurs différends, ces hommes ont resserré les rangs. La rumeur à Alger veut que le président soit sur le départ. Mais Bouteflika bouté dehors, est-ce que cela suffirait à calmer des esprits surchauffés ? Les généraux eux-mêmes s’interrogent, au moment où les médias, eux aussi, se rebellent contre les « atteintes à leur liberté ».