Grogne dans les rangs de la police
MANIFESTANTS CONTRE FORCES DE LORDRE / Grogne dans les rangs de la police
El Watan, 23 juin 2001
Le face-à-face forces de sécurité-manifestants perdure depuis plus de deux mois et risque, en labsence de décisions politiques qui mettraient fin à la colère de la foule, de provoquer lirréparable.
Aujourdhui, les troupes des CNS et de la Gendarmerie nationale nassurent plus leur mission de maintien de lordre public pour la simple raison quelles sont mises devant une insurrection populaire. Face à cette situation, deux solutions sont envisagées. Soit être à lécoute de la rue, et dans ce cas-là, prendre en charge politiquement les revendications légitimes des manifestants, ou, alors, faire appel à larmée et assumer tous les risques de dérapage qui découleraient dune telle mesure. A partir du moment où les premiers responsables de lANP refusent, à en croire des sources proches de linstitution militaire, «dêtre entraînés sur un terrain qui relève strictement du politique», il ne reste aux pouvoirs publics que la première solution. Malheureusement, les décideurs font «le dos rond» et donnent limpression de miser sur lessoufflement du mouvement de protestation. Une réaction très dangereuse qui risque davoir comme conséquence lessoufflement non pas des émeutiers mais celui des forces de sécurité. Dailleurs, et selon des sources crédibles, de nombreux policiers des écoles dEl Hamiz et de Kouba, à Alger, auraient «menacé de remettre leurs armes et cartes professionnelles», après les incidents qui ont marqué la marche du 14 juin à Alger. Les policiers contestataires «narrivent plus à supporter la pression de la consignation» quils subissent depuis le début des événements. Il aurait fallu, nous dit-on, lintervention du patron de la DGSN, Ali Tounsi, qui aurait décidé de leur accorder «des permissions tournantes de deux semaines», pour se reposer mais aussi pour «calmer les esprits». Du côté de la Gendarmerie, même si lon évite de parler de protestation, des sources informées indiquent que «la tension est tellement forte que le pire est à craindre». Les interlocuteurs affirment que de nombreux gendarmes, particulièrement ceux originaires de la Kabylie, auraient émis le vu de démissionner alors que beaucoup dautres exerçant dans les régions «chaudes» ont demandé à être mutés ailleurs. Réaction tout à fait légitime, quand on sait que le bilan des affrontements entre manifestants et forces de lordre ne cesse de prendre de lampleur. Pour ne citer que la wilaya de Tizi Ouzou, et à la date du 20 juin, le commandement de la Gendarmerie nationale a rendu public un communiqué dans lequel il a fait état de 966 gendarmes blessés, dont 273 graves et 22 brûlés au 3e degré, de 19 membres de familles de gendarmes blessés dont 3 enfants et 5 adolescents, de 258 véhicules détruits, 35 brigades attaquées dont 3 détruites à 80 % et 2 incendiées à 50 % , alors que 2 autres brigades nouvellement construites ont été démolies.
Lors de son intervention à lAPN, le ministre de lIntérieur, Yazid Zerhouni, a avancé un bilan général, arrêté au 12 juin dernier, selon lequel 1579 éléments des forces de lordre, entre gendarmes et membres de CNS, ont été blessés lors des affrontements, alors que 45 brigades de gendarmerie, et 5 commissariats ont été assiégés par les manifestants. Face à lentêtement du pouvoir à vouloir pousser au pourrissement, la foule est entrée dans une spirale de violence qui semble aller directement vers la radicalisation. Les attaques dirigées par les manifestants contre les brigades à laide de bouteilles d’acétylène, la destruction de réseaux de distribution de gaz de ville alimentant certains locaux de la gendarmerie, le lynchage public dun jeune militaire en plein centre de Tizi Ouzou, sont les signes dune situation des plus graves dont le pouvoir politique aura à assumer lentière responsabilité, tout simplement parce quil a failli à sa mission : celle de trouver une solution politique qui aurait pu mettre fin à la violence et éviter à lAlgérie le chaos.
Par S. T.