Emeutes et interpellations en série

Béjaïa

Emeutes et interpellations en série

Quotidien d’Oran, 28 mars 2002

Le cycle de violence continue à Béjaïa, atteignant, ces dernières quarante-huit heures, une intensité inégalable jusqu’ici. Au même moment, une vague d’arrestations, sans précédent, est en train d’être opérée par les services de sécurité à travers toute la Kabylie. Après avoir joué la carte de l’apaisement, l’Etat semble, ces derniers jours, déterminé à rétablir l’ordre. Désormais, aucun attroupement n’est toléré sur la voie publique par les autorités, qui ont déployé des centaines, voire des milliers d’agents de l’ordre pour empêcher toute manifestation.

La marche à laquelle avait appelé la coordination intercommunale de Béjaïa n’aura finalement pas eu lieu hier. Initialement prévue à 13 heures, pour exiger la libération de tous les détenus, la marche sera sévèrement réprimée. Les «marcheurs», dans leur grande majorité, n’ont même pas pu atteindre les «Quatre chemins», lieu d’où devait s’ébranler la procession.

Dès les premières heures de la matinée, des barrages de CNS ont été installés sur toutes les routes qui mènent vers Béjaïa, en plus d’un important nombre de policiers anti-émeutes qui se sont déployés à travers toute la ville, particulièrement au niveau des édifices publics tels que le siège de la wilaya, le bloc administratif, le commissariat… Malgré toutes ces précautions, des dizaines de camions, des fourgons et même des semi-remorques bondés de monde ont pu «déjouer» la vigilance des barrages, en empruntant des pistes pour atteindre finalement la ville. Les manifestants sont déversés aux quatre coins d’une ville désertée par ses habitants dès midi. Les premières grenades lacrymogènes sont lancées et les affrontements commencent.

Des émeutes ont fait rage, hier, tout le long de la rue de la Liberté pour atteindre plus tard d’autres quartiers, notamment Amriou et Ihaddaden. L’air était, hier, irrespirable. Les gaz lacrymogènes ont enveloppé le ciel de la ville. A quinze heures, les manifestants étaient poursuivis jusqu’au stade de l’Unité maghrébine. Au même moment, d’autres camions déversaient des centaines de personnes sur la place jouxtant le stade, à proximité de la station de bus. Tout au long du boulevard, du Premier Novembre à la cité Seghir, des émeutiers sont poursuivis par les forces de l’ordre, qui ont procédé à des dizaines d’arrestations. Le Groupement de la gendarmerie subissait au même moment des attaques incessantes de jeunes et moins jeunes qui le bombardaient à coups de pierres et de cocktails Molotov.

Les mêmes scènes de violence ont été également signalées dans plusieurs localités de l’intérieur de la wilaya, notamment dans la vallée de la Soummam, sur la côte-est de Béjaïa.

A Melbou, une station balnéaire sur la côte-est, deux jeunes personnes répondant aux initiales S.A et B.Y, âgées respectivement de 23 et 21 ans, ont été touchées par des balles réelles au niveau des jambes, affirme une source dans cette localité, en proie depuis trois jours à de violents affrontements. A l’heure où nous mettons sous presse, les émeutes continuaient dans la ville de Béjaïa. Notons, enfin, que les principaux délégués des ârchs, arrêtés lundi dernier devant le tribunal de Béjaïa, étaient, hier, toujours en détention.

Z. Mehdaoui

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Tizi Ouzou

La tension persiste

Hier encore, la tension était vive dans plusieurs localités de Haute Kabylie où des foyers ont été enregistrés dans la ville des Genêts, Irdjen, Larbaâ Nath Irathen, Yakouren, Mechtras, Fréha et Azazga.

Vers neuf heures, la capitale du Djurdjura était déjà paralysée et les affrontements ont atteint leur pic, au cours de l’après-midi, dans les principaux quartiers du centre-ville et de la haute ville. Des citoyens nous ont signalé que la brutalité des CNS était sans pareil et qu’une jeune fille aurait été passée à tabac, devant la mairie, alors qu’elle voulait traverser la rue. Moins violents, les affrontements se sont poursuivis à Larbaâ Nath Irathen qui a enregistré son deuxième blessé grave, à la suite d’un passage à tabac. Des sources hospitalières indiquent que le jeune Ichir est hors de danger.

A Irdjen, dans la soirée d’avant-hier, un jeune, touché à l’oeil par une balle en caoutchouc, a été transféré sur Alger. Cette localité a renoué, hier encore, avec le climat d’émeutes au même titre que Fréha où les citoyens n’arrivent pas à admettre l’interpellation de près de dix-sept manifestants, la veille.

Par ailleurs, la CADC a tenu à marquer la journée d’aujourd’hui par une grève générale, suivie d’une marche à Tizi Ouzou.

D’autre part, les Ârchs demandent la réouverture de leur permanence et l’arrêt des interpellations. Ils dénoncent également la politique pratiquée, par le pouvoir, en Kabylie.

Mohand Maokli