Le dialogue en Kabylie sera-t-il entamé?

LE DIALOGUE EN KABYLIE SERA-T-IL ENTAME ?

Vers un durcissement de la situation

Par D. Tamani, El Watan, 20 juin 2002

Le règlement de la crise de Kabylie à travers un dialogue «sans exclusive» avec les délégués du mouvement citoyen a constitué la substance des déclarations du chef du gouvernement au lendemain de sa reconduction à la tête de l’Exécutif. Un engagement officiel qui traduisait la volonté des autorités de trouver une issue à une crise qui a été au cœur de la vie nationale depuis avril 2001 et qui tient encore en haleine la population de toute une région.

A l’annonce de la composition de la nouvelle équipe gouvernementale et du maintien de Yazid Zerhouni au poste de ministre de l’Intérieur, l’enthousiasme qui a entouré les déclarations de Ali Benflis s’est soudainement estompé. La majorité des avis exprimés craignent un durcissement de la situation en lieu et place d’un assouplissement des positions. L’épisode de la deuxième session du bac en 2001, écartée initialement par le ministre de tutelle puis décidée par la Présidence de la République, montre que la décision politique réside en fin de parcours au plus haut niveau de l’Etat. Le dénouement de la situation en Kabylie demeure donc à la portée des pouvoirs publics. La persistance du blocage actuel aura des répercussions extrêmement négatives pour la région, puisqu’il se traduira par le rejet des prochaines élections locales prévues en automne. Une perspective porteuse de risques réels pour la stabilité de la région, qui, si elle est dépourvue aujourd’hui de représentation parlementaire, ne pourra pas se passer d’Assemblées communales, dont la vocation est de réguler la vie de la cité et d’assurer le fonctionnement des services publics de base. Des voix indépendantes se sont exprimées ces derniers jours, plaidant en faveur d’une démarche résolue dans le sens du règlement du problème et le déblocage de la situation. Le professeur Mohand Issad, qui a présidé la commission d’enquête sur les événements, a déclaré cette semaine : «Ce qu’ils (archs) demandent est légitime et n’est pas au-dessus des capacités de l’Etat. Cela dit, et pour débloquer la situation, il faut bien une rencontre. Appelez ça négociation ou dialogue, il faut bien qu’un jour les uns et les autres se rencontrent.» Quelles chances de réussite pour les futures démarches des autorités en direction du mouvement citoyen ? Elles paraissent suspendues à l’évolution de la position des archs, qui avaient annoncé, il y a une dizaine de jours, «retourner à la base pour recueillir son avis». L’issue du processus mis en place le 3 octobre 2001, autour de la «mise en œuvre de la plate-forme d’El Kseur», entre les représentants du gouvernement et des délégués du «mouvement des citoyens libres» montre que des négociations peuvent déboucher sur des résultats concrets mais être sans effet sur la crise lorsque les interlocuteurs des pouvoirs publics ne sont pas mandatés par la base citoyenne. Les quatre ateliers qui avaient planché pendant des semaines, en octobre et en décembre derniers, sur les différents volets des revendications ont abouti à des conclusions qui avaient surpris les observateurs, puisqu’elles s’inscrivaient dans l’esprit de la plate-forme adoptée par le mouvement de protestation. Après la remise des rapports au chef du gouvernement, un train de mesures a été annoncé par le président de la République. La fermeture d’une vingtaine de brigades de gendarmerie, la constitutionnalisation de tamazight et, plus récemment, la publication d’un décret portant statut et indemnisation des victimes, ont été les mesures les plus significatives. La grande lacune reste cependant le jugement des auteurs d’homicide commis pendant les événements qui constitue la revendication essentielle du mouvement de Kabylie. Les citoyens n’ont pas encore eu connaissance des procès annoncés, et assistent plutôt à ceux de jeunes manifestants sur lesquels pèsent des chefs d’inculpation complètement disproportionnés et injustifiés. Là est peut-être le véritable facteur bloquant.

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Entre bruits et démentis

Des contacts ont-ils réellement eu lieu entre des émissaires de M. Benflis et des délégués des archs à Béjaïa.
Des sources crédibles affirment que oui, alors que des animateurs de la Coordination de wilaya les démentent de la manière la plus formelle.

Des membres du collectif d’avocats, assurant la défense des délégués détenus, avaient laissé entendre dernièrement que leurs mandants n’excluaient point, dans l’absolu, le choix du dialogue comme option, à condition qu’il soit précédé de garanties officielles, clairement affichées par le pouvoir, quant à sa volonté de régler la crise. La libération de tous les détenus du mouvement et l’arrêt de toutes les poursuites judiciaires auraient été également posés comme préalable indiscutable. Ces informations, intervenant à la suite d’autres non vérifiées et faisant état de tentatives de prises de langue entre des représentants du chef du gouvernement et de certains délégués, pas nécessairement de Béjaïa, ont été vite démenties le lendemain par des membres des familles de détenus. Des proches des délégués détenus disent avoir rendu visite aux leurs, qui leur ont fait savoir qu’ils ne se sentent nullement concernés par les informations colportées à ce projet. Une déclaration rendue publique cette semaine par la Coordination intervillages de la commune d’Akfadou parle d’«intox» et de «volonté de semer la suspicion», et cite la famille de Farès Oujedi, un des délégués détenus, pour écarter toutes les velléités de dialogue prêtées aux animateurs incarcérés. Au-delà de tout le bruit fait autour de la volonté, fausse ou avérée, de certains animateurs du mouvement à ne plus voir en le dialogue une voie à écarter dans l’absolu, c’est toute la problématique propre au contexte et aux moyens de règlement de la crise qui est posée. D’aucuns affirment en effet que quels que soient la bonne volonté et le courage des animateurs ouverts au dialogue, leurs tentatives éventuelles de convaincre et leurs pairs et la rue manqueront probablement d’arguments face à l’attitude sinon répressive, du moins contradictoire du pouvoir vis-à-vis de la question. Le chef du gouvernement, qui semble avoir toujours carte blanche du président de la République, concernant ce sujet, a beau multiplier les déclarations de bonne foi, le maintien en détention de délégués du mouvement et les poursuites engagées contre d’autres ne sont pas faits pour créer la relation de confiance nécessaire. Ceci sans parler des antécédents répressifs et manœuvriers, à l’image de ceux qui ont vu un processus de «dialogue» engagé avec les fameux archs «dialoguistes», malgré l’opposition plus que démonstrative de la rue. La tenue, contre vents et marées, des législatives dans la région et la validation du scrutin malgré les 98 % de non-participation sont venues corser la situation et grossir les rangs, déjà bien épais, des irréductibles.

Par M. Slimani

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Un meeting réprimé à Tizi Ouzou

Le meeting que devaient animer hier des délégués de l’Interwilayas des archs au quartier des Genêts de la ville de Tizi Ouzou a été violemment réprimé par la police. Le premier intervenant n’avait pas encore terminé son intervention que des dizaines de CRS, précédés d’un camion chasse-neige, arrivent sur les lieux. La résistance des présents ne tient pas devant le déluge de grenades lacrymogènes qui s’abat sur la placette, où se tenait le meeting, et les balcons du bâtiment d’à côté, littéralement arrosés de gaz lacrymogènes. La dispersion a été totale. Les CRS et les policiers en civil ont fait le guet pendant plusieurs minutes.

Par M. H.