Les Kabyles défient Bouteflika

Les Kabyles défient Bouteflika

Tizi Ouzou : de notre envoyé spécial Arezki Aït-Larbi , Le Figaro, 5 juillet 2001

A l’appel de la Coordination des comités de villages, la Kabylie s’est massivement mobilisée, hier, pour une nouvelle journée «villes et villages morts». Magasins fermés, rues désertes, circulation automobile réduite au strict minimum, cet impressionnant couvre-feu en plein jour a plongé la région, qui suffoquait sous la canicule, dans une atmosphère de tristesse mêlée d’inquiétude.
A l’entrée de Tizi Ouzou, capitale régionale, la permanence de la Coordination des comités de villages, installée au théâtre municipal, est devenue un véritable poste de commandement. Derrière une table branlante, des bénévoles se sont relayés derrière l’unique ligne de téléphone pour recueillir les informations émanant des différentes communes. Dès 10 heures, les organisateurs ont pu crier victoire: la grève générale a été massivement suivie par la population et s’est déroulée dans le calme malgré la présence d’agents provocateurs qui ont tenté de créer ici ou là des incidents.

Dans le centre de Tizi Ouzou, des individus louches jouant aux chefs de guerre ont dressé un «faux barrage» pour empêcher la circulation, interpellant violemment les conducteurs «coupables d’avoir violé les consignes». Mustapha, un membre de la Coordination, est aussitôt intervenu pour mettre un terme à ce «dérapage». «La grève, a-t-il dit, est suivie par 95% de la population, qui a adhéré de son plein gré. Tenter d’imposer l’unanimité par la contrainte ou de punir les quelques récalcitrants relève d’une démarche totalitaire condamnable.»

En confirmant par cette action d’envergure sa représentativité dans la région, la Coordination des comités de villages légitimise ainsi la plate-forme de quinze revendications qu’une délégation d’environ 5 000 personnes regroupant les représentants de tous les villages de Kabylie tentera de remettre aujourd’hui au président Bouteflika. Parmi ces revendications, la reconnaissance du tamazight (berbère) comme «langue nationale et officielle» au même titre que l’arabe, et le départ de Kabylie des brigades de gendarmerie, accusées de provocations et perçues comme une armée d’occupation.

Il y a quinze jours, après avoir désigné la Kabylie, «manipulée par une main étrangère», à la vindicte populaire, Abdelaziz Bouteflika avait appelé au dialogue, tout en soulignant l’absence d’interlocuteurs. Pour les contestataires, cette offre est un piège : «Sous la pression internationale, le président, qui a amnistié des criminels islamistes, fait semblant de tendre la main aux jeunes de Kabylie, explique un universitaire. Mais en rejetant d’emblée leurs principales revendications, il a pipé les dés et n’hésitera pas à aller vers de nouveaux affrontements pour affirmer son autorité.» Signe de cette logique de confrontation, le débat sur les événements de Kabylie, la semaine dernière à l’Assemblée nationale, a dégénéré en attaques racistes, relayées, en direct, par l’unique chaîne de télévision publique.

Encouragés par les dérapages du président Bouteflika, les députés de la coalition «nationale-islamiste» ont multiplié les cris de haine et appelé à durcir la répression contre les Kabyles en accusant la France, «ennemie d’hier et d’aujourd’hui», d’être derrière l’insurrection.
Certains d’entre eux n’ont pas hésité à demander le retrait de la nationalité algérienne à Hocine Aït-Ahmed, principal opposant au régime d’Alger et chef historique de la guerre d’indépendance. Son «crime» : avoir demandé à l’Union européenne de conditionner un accord d’association avec l’Algérie au respect des droits de l’homme.

Lundi, le premier ministre, Ali Benflis, a rappelé devant les députés la disponibilité des autorités à recevoir «toute délégation représentative de la population», mais il a réaffirmé l’interdiction des manifestations dans la capitale. Cette mesure avait été prise à la suite de la marche du 14 juin organisée par les comités de villages. La manifestation, qui avait rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes, avait dégénéré en émeute. Des officiers de police, accompagnés d’«émirs» repentis des GIA, avaient mené une véritable chasse au Kabyle dans les rues d’Alger. Bilan: une dizaine de morts parmi les manifestants et, toujours à ce jour, une cinquantaine de disparus.

Hier, tout le monde s’interrogeait sur l’attitude qu’adoptera le gouvernement face à ce nouveau défi des contestataires. «Le 14 juin, le pouvoir n’avait pas hésité à faire couler le sang, en nous présentant comme des barbares venus saccager la capitale, rappelle Rachid, membre de la Coordination. Cette fois, il n’aura en face de lui que les représentants de la région, des hommes aux mains nues. Il portera alors l’entière responsabilité d’un éventuel dérapage.»

 

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