Le mouvement refuse le dialogue avec le pouvoir

Proposé comme une issue à Azeffoun

Le mouvement refuse le dialogue avec le pouvoir

 

Par Lakhdar Siad, La Tribune, 9 juillet 2001

La rencontre non-stop des délégués des coordinations de la société civile de la wilaya de Tizi Ouzou, tenue les vendredi, samedi et hier à Azeffoun pour faire le bilan de la marche interdite du 5 juillet et engager un débat sur les perspectives du mouvement, a fait apparaître, pour la première fois en plénière, le vocable «dialogue avec le pouvoir». Dans un médiocre document intitulé «canevas d’avant-projet de charte», il est écrit dans le point «Voies et moyens d’action» ce qui suit : «Marches, sit-in, meetings et autres […] Comment faire aboutir la plate-forme de revendications, dialogue avec fermeté, pas de dialogue, pas de négociations ?» Après un chaud débat contradictoire qui a duré jusqu’au petit matin d’hier, ledit document, n’ayant pas fait consensus, a été tout simplement retiré. Néanmoins, des questionnements persistent sur cette nouvelle terminologie qui ne recoupe pas du tout avec les aspirations populaires et les intentions d’une bonne partie des délégués piégés par la commission réflexion-action, auteur du document et dont la composante dans sa majorité a été prise à contre-pied par une dizaine de membres de la commission composée de trente-neuf personnes. Pour mieux cerner les contours du «dialogue», il est intéressant de revenir en arrière et d’interroger certains faits qui se sont produits quelque temps après le déclenchement de la dynamique dont les meneurs sont d’horizons «hétérogènes» mais a priori unis par la plate-forme de revendications d’Illoula Oumalou et celle interwilayas d’El Kseur.Cela dit, il n’y a pas de doute sur la volonté du pouvoir d’amorcer un dialogue avec le mouvement. Usant parfois de canaux officieux avec la complicité de certains leaders au sein du mouvement et d’autres fois, officiels, en appelant au dialogue «dans le cadre de la Constitution et des lois de la République». Ce qui exclut du dialogue certaines revendications telles que le départ des brigades de gendarmerie et la reconnaissance du triptyque tamazight identité, langue et culture. La première de ces tentatives de dialogue «underground» s’est produite à Béjaïa puisque le ministère de l’Intérieur a tenté de changer l’itinéraire de la marche du 14 juin réprimée dans le sang. En effet, la veille de la marche, le ministère a rendu public un communiqué annonçant un nouvel itinéraire en concertation avec le président de la réunion d’El Kseur. Malgré le démenti dudit président, des questions restent sans réponse. Pourquoi le ministère de l’Intérieur a-t-il choisi la coordination d’El Kseur pour négocier l’itinéraire ? Pourquoi Ali Gherbi, porte-parole d’El Kseur, n’a-t-il pas apporté de démenti le jour même attendant quelques jours pour le faire ? Pourquoi une conférence de presse pour le faire ? Il est certain que les comités populaires de Béjaïa ont toujours entretenu un dialogue avec les autorités locales, le wali entre autres, et il est clair que certains délégués de cette wilaya veulent s’autoproclamer porte-parole du mouvement à des fins, selon certains analystes de la région, de créer un parti politique à la faveur de cette dynamique ou pire, servir localement le pouvoir. A Tizi Ouzou en revanche, le mouvement a montré jusqu’à la réunion d’Azeffoun, un refus catégorique de tout dialogue ou contact avec les autorités. Dans ce sens, il a été rappelé lors de la réunion interwilayas de préparation de la marche du 5 juillet, tenue à Tizi Ouzou, qu’«aucun contact avec le pouvoir» n’est admis mais depuis, certains délégués sont soupçonnés d’entretenir des liens officieux avec le pouvoir pour différents objectifs et le dernier conclave du week-end a révélé les intentions de chacun des groupes pour le dialogue nullement en contradiction dans les objectifs avec Béjaïa. Cependant, cette option a soulevé des passions à Azeffoun. En effet, à en croire ces mêmes observateurs, trois clans acquis au dialogue se disputent le mouvement. Le premier fait l’impossible pour coopter certaines personnalités politiques, dissidents de partis politiques ou nouvelles têtes trop ambitieuses. Le deuxième tente de ramener le mouvement dans sa direction pour créer un parti politique et le troisième veut se servir en favorisant la stratégie des autorités vis-à-vis du mouvement. Des tractations avec le système et des réunions secrètes sont tenues pour aiguiser chacun sa stratégie de récupération du mouvement. Lors du conclave d’Azeffoun où l’abcès a été crevé, ces mêmes groupes ont influé sur la commission réflexion-action pour lui faire accepter le principe du dialogue avec le pouvoir, mais la vigilance de quelques coordinateurs a déjoué leurs visées et le document en question retiré du débat. Toutefois, il apparaît que le mouvement dans son ensemble est respectueux des plates-formes de revendications mais opposé au dialogue mais pas n’importe quel dialogue et pas n’importe comment. Un membre engagé nous a déclaré que pour qu’il y ait dialogue, il faut que «le pouvoir montre son entière disponibilité dans un cadre d’un dialogue officiel et sur la base de nos revendications. Nous nous opposons à ce dialogue dans le cadre de la Constitution et des lois de la République qui excluent tamazight et l’exigence du départ des gendarmes». Chose qui n’est pas en contradiction avec tous les sacrifices consentis par les jeunes assassinés lors des émeutes. «Nous ne faisons que notre devoir de respect de la mémoire des assassinés», ajoute-t-il.En conclusion, il est évident que les «dialoguistes sans exclusive» n’ont pas la mainmise sur le mouvement et le contexte actuel fait de répression, d’abus de pouvoir, d’injustice, hogra, déni identitaire… ne favorise pas les auteurs de cette tendance complice du pouvoir et jeunes, surtout que les jeunes, majoritaires, ne permettront pas à ce que leurs délégués les «vendent» encore une fois, une fois de trop.Par ailleurs, le mouvement refuse le dialogue avec le pouvoir. Lors du conclave de Makouda tenu le 25 juin dernier, un participant au fait des tentatives de négociations de quelques délégués avait annoncé que «200 milliards sont débloqués par le pouvoir pour dévoyer le mouvement de ses objectifs et de la plate-forme de renvendications».

 

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